La question mérite réflexion. Quand il s'agit d'un livre que j'ai reçu je n'en parle pas, par loyauté. Si je l'ai emprunté dans une bibliothèque ou acheté chez un libraire tout dépendra de la puissance de ce que j'ai à en dire. Quand il s'agit d'un spectacle la situation est plus délicate.
Il m'est arrivé de ne rien écrire. En général il y a toujours une ou deux qualités à pointer. Et c'est davantage sur mes freins que je construis la chronique que sur les défauts de la pièce. En gros, j'explique pourquoi je n'aime pas ou je donne les raisons qui font que je n'ai pas apprécié.
Des spectateurs m'avaient soumis cette interrogation juste avant de monter les marches conduisant à la salle du Théâtre de Belleville pour découvrir Feu ³ la mère de madame. En redescendant l'escalier 1 heure 30 plus tard je savais que j'étais dans le pétrin. Mais pas question d'en sortir broyée ...
Je suis la première responsable, en ayant lu le titre un peu trop vite. J'avais envie de détente. Feydeau me semblait le bon cheval. J'avais déjà vu la pièce, mise en scène par Jean-Luc Moreau, en lever de rideau de la cérémonie des Molière 2010. Emmanuelle Devos y interprétait une bourgeoise au bord de la rupture. Patrick Chesnais était clownesque à souhait. Christine Murillo campait une Bécassine à l'accent alsacien. Sébastien Thiéry était le valet de mauvaise augure.
Or le spectacle programmé au théâtre de Belleville est "d'après" cet auteur. Comme il pourrait également être "d'après" Barthes, Resnais, Neruda, Aragon ... ce ne sont pas les références culturelles qui manquent.
Je n'avais pas noté (et je parie que vous non plus) le petit 3 accolé au premier mot. A la réflexion j'aurais plutôt titré Racine carré de Feydeau car ses textes y deviennent des radicandes au cours d'une soirée somme toute radicale.
On nage en pleine irrationalité sous une apparence de vérité. Et la promesse d'un Feydeau Puissance 3 est exagérée. Il n'empêche que le travail sur les textes est plutôt bien réussi. Quelques scènes bien senties comme le monologue du régisseur (Géry Clappier), muet jusque là, et qui intervient à la fin pour livrer ses états d'âme. Ou encore la danse des deux pseudo-scientifiques, (Claire Quet et Julien Large) qui se déchainent sur Iron, du premier album de Woodkid sorti en 2013, The Golden Age.
Aucun reproche aux comédiens, presque tous issus de l'école Claude Mathieu, qui sont d'excellents interprètes. La volubile optimiste (Claire Pouderoux) et le timoré (Damien Prévot) ne déméritent pas non plus. Les choix musicaux sont remarquables (et mériteraient d'être cités, ce qui hélas ne se fait jamais au théâtre, allez savoir pourquoi).
C'est le parti pris de mise en scène que je condamne. On sait bien que le vrai n'est pas toujours vraisemblable, mais le faux n'a pas le droit de se révéler d'emblée. Le spectacle commence dans l'escalier en faisant traverser au public un double rideau de plastique opaque et en lui distribuant un petit carré de papier portant un numéro.
Nous voilà prévenus, une fois assis qu'un tirage au sort va sélectionner deux d'entre nous pour une expérience hors du commun. On comprend immédiatement le tour de perlin pinpin et on s'agace déjà de devoir bêtement brandir comme un seul homme notre papier alors qu'on a deviné que c'est pour de faux. Comment croire au reste ensuite ? Ce jeu de dupes a perturbé ma capacité à suivre le jeu.
Ce qu'il aurait fallu ? Davantage de suspense ... peut-être un tirage au sort non truqué dans un premier temps. Le spectateur "élu" aurait peut-être accepté de faire quelques pas en pleine lumière. On lui aurait donné un texte (ou mieux suggéré de lire un prompteur ...). Il suffisait de quelques minutes ... et par un artifice quelconque (enfin pas si quelconque) on lui aurait proposé de se faire remplacer par une doublure, c'est-à-dire un vrai comédien. Et là on est était prêt à mordre à tous les hameçons et à suivre toutes les expériences.
On ne peut pas prétendre faire traverser le quatrième mur au public sans tenir un temps sa promesse. J'ai des souvenirs très fors de spectacle qui ont parfaitement joué sur cette lame, comme le Palais de Justice de Jean-Pierre Vincent, ou plus récemment Viktor Lazlo interprétant Billie Holiday au Théâtre Rive Gauche, ou encore Cucinema que j'ai vu au Théâtre de l'Onde. A chaque fois on se laisse prendre en oubliant qu'on est au spectacle. Ce soir non.
Mais le plus honnête serait de vous livrer la bande-annonce :
Feu 3 La mère de madame - Bande Annonce par Theatre_de_Belleville Feu ³ la mère de madame, d'après Georges Feydeau au Théâtre de Belleville
94 rue du Faubourg du Temple, 75011 Paris
Avec Géry Clappier, Julien Large, Claire Pouderoux, Damien Prévot, Lise Quet
Collaborateur artistique Florent Bresson
Scénographie et costumes Alexandra Epée
Lumières Julie Duquenoÿ
Jusqu'au 2 février, du mercredi au samedi à 21 h 30, le dimanche à 17 heures
Tous renseignements sur le site du théâtre ou par téléphone 01 48 06 72 34