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Pourquoi les débats de société virent à l’hécatombe au Québec?
Publié le 05 janvier 2014 par Shadlaw @rachadlawLes Québécois semblent ne pas être habitués aux débats difficiles et contradictoires. C’est un fait remarquable dans toutes les sphères de la société et sur toutes les tribunes médiatiques. Impossible de débattre des sujets difficiles sans que l’émotivité et les douleurs identitaires prennent le dessus. Même la grande Denise Filiatrault n’a trouvé d’autre façon de contribuer au débat qu’en traitant les musulmanes voilées de folles. La grande classe quoi.
Quand on analyse sérieusement le débat en cours sur la charte de la laïcité (pour faire court), c'est inapproprié de parler de groupes réellement opposés de pro-charte en d'anti-charte. Dans la réalité, les gens qualifiés d'anti-charte ne sont contre que d'une infirme partie de la charte qu'ils trouvent dommageables pour les libertés individuelles, celle concernant l'interdiction des signes religieux ostentatoires...Pourtant le débat est traité comme entre deux groupes qui n'ont rien en commun, divisant la population, favorisant les dérapages et les manifestations de propos et de comportements clairement haineux.
Concernant les débats sur l’immigration et les questions culturelles ou religieuses, le Québécois moyen a deux refuges stratégiques pour clore tout débat qui lui échappe. Ca ressemble globalement à ces deux lignes : 1- Nos parents se sont battus pour nous libérer de l’emprise de la religion et nous avons peur que ces étrangers nous l’imposent de nouveau…. 2- Si nous autres allons chez vous, on fait comme chez vous, donc si vous venez ici, vous devriez vivre comme nous ou retourner chez vous. Ces deux argumentaires sont les plus populaires dans les forums, les blogues, les autres médias sociaux et lignes ouvertes.
Pourtant mon fameux Québécois moyen se présente comme l’être le plus tolérant de la terre mais veut que son pays imite l’Arabie saoudite en prônant l’assimilation et non l’intégration. Il n’a probablement jamais mis les pieds dans le pays de l’autre, sinon il saura qu’il peut mener une vie aussi débridée en Tunisie, Maroc, Algérie que lors de ses voyages dans le Sud. Et mieux, il défend avec force le maintien du crucifix à l’Assemblée nationale (le cœur du pouvoir politique) même si cet objet est justement le symbole le plus ostentatoire de l’Église qui a opprimée les femmes québécoises pendant des décennies et des décennies.
Comment expliquer cette difficulté à mener des débats publics sereins et respectables?
Je sais que nous préférons nous jeter des fleurs au Québec que pointer les vrais problèmes. Mais ne venez pas me dire que j’insulte le Québec car je vais parler ici des faits réels et concrets. Nous avons trop d’analphabètes fonctionnels dans la belle province. Selon les chiffres officiels, "Ce sont 49 % des Québécois qui ont des difficultés de lecture, qui cherchent à éviter les situations où ils ont à lire et, lorsqu'ils parviennent à décoder une phrase,qui n'en saisissent pas forcément le sens ». La ministre de l'Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) parle du «drame de l'analphabétisme». Si vous bloguez, fréquentez les forums de discussions comme moi, vous avez remarqué comment ce problème s’exprime dans toute sa splendeur (incapacité et incohérence d’argumentation, difficulté à saisir des nuances, généralisations et affirmations gratuites, conclusions lapidaires sans preuves et fondements, etc.).
L’autre facteur dommageable, c’est une méconnaissance affligeante des faits migratoires. Je dois expliquer à des collègues de plus de 50 ans les fondements de l’immigration au Canada, le processus d’immigration au Québec.
On se demande souvent où sont ces immigrants musulmans modérés de la majorité? Pourquoi ne se manifestent t-ils pas? Premièrement, les médias préfèrent donner le micro à un iman extrémiste, enflammé et imbécile qu’à un musulman modéré car c’est plus rentable.
Mais la raison la plus fondamentale, c’est que le musulman modéré qui fait partie de la classe des immigrants qualifiés (la majorité des immigrants viennent au Québec avec le statut de « travailleurs qualifiés ») n’a pas de temps pour ces chicanes de société. Il a horreur autant de ces histoires de déchirement que du mini-club de barbus qui ternit son image et pourrit sa vie.
Son objectif d’immigration est l’amélioration de sa situation économique en contribuant au développement du Québec. Il est à la recherche d’un travail décent qu’il peine à trouver, il doit nourrir et assurer l’éducation et l’épanouissement de ses enfants. Il n’est pas venu au Québec pour aider à l’indépendance du Québec, ni apaiser les peurs et les problèmes identitaires profonds des Québécois, qu’il ne peut pas comprendre en si peu de temps de toute façon. Si je vous dit après 10 ans de vie ici que je suis devenu un indépendantiste convaincu, traitez-moi de petit arnaqueur. C’est une conviction qui doit venir des tripes au-delà des calculs économiques.
Donnez-lui le temps à cet immigrant de vivre, de faire vivre sa famille. Une fois que ses objectifs primaires seront atteints, vous verrez bien qu’il aura le temps de s’impliquer socialement. Et ces enfants nés ici, qui peuvent se présenter comme de vrais Québécois auront déjà plus d’outils pour mieux appréhender, mieux partager les aspirations d’un Québec riche des ses différences et résolument tourné vers un avenir prometteur.
Bonne et heureuse année 2014