Une manifestation d'agriculteurs à Dunkerque
Environ 250 personnes (selon l'AFP), dont une majorité d'aigriculteurs (comme disait François Terrasson) avec au moins 150 tracteurs et une trentaine d'élus locaux, (l'année 2014 sera une année électorale) ont foulé le pavé devant la mairie de Dunkerque (Nord) pour manifester contre quelque chose...
Non, ils ne manifestaient pas contre les causes du réchauffement climatique qui pourrait un jour couvrir leurs polders d'eau salée. Point de prédateurs encore dans ch'nord, alors? Juste un projet régional qui veut favoriser la biodiversité en créant notamment des zones humides et en reboisant des espaces. Il aurait pour conséquence, selon eux, "d'innonder des terrains". "Immonder" devrais-je écrire. Et comme le projet est dit "écologique", alors ça râle contre le Schéma régional de cohérence écologique (SRCE), un projet du Conseil régional du Nord/Pas-de-Calais, motivé par la loi Grenelle 2.
Devant tout le monde, les syndicats agricoles, FDSEA en tête. L'enquête publique sur le projet a duré du 18 novembre au 2 janvier, c'était donc l'occasion de sortir les tracteurs. "L'écologie abusive ne va pas nourrir la planète", avaient écrit les manifestants sur une banderole.
Une délégation a été reçue à la Communauté urbaine de Dunkerque puis à la sous-préfecture. Une pétition a été remise au représentant de l'Etat : "C'est du délire, cela va détruire 50% du territoire agricole. L'exemple le plus flagrant c'est sur le territoire des wateringues où le schéma préconise l'arrêt des pompages. Si on fait ça, en quelques mois des villages seront complètement inondés", a déclaré Denis Bollengier, vice-président de la FDSEA 59 et agriculteur à Esquelbecq (Nord).
(NDLB: Un wateringue est un fossé ou un ouvrage de drainage à vocation de dessèchement de bas-marais, de zones humides ou inondables).
"Globalement, c'est la moitié du territoire du Nord/Pas-de-Calais qui sera menacé. C'est de l'inconscience de la part des élus du Conseil régional". "Cela fait quatre siècles que Les Moëres essaient de trouver une place sur terre parce qu'avant on était sous un marais. Il a été asséché pour éliminer les maladies, les odeurs... Et aujourd'hui on veut nous rayer de la carte!", a lancé le maire des Moëres, Hervé Lanier. "On n'élimine pas tout un village comme ça! Dans le projet, entre le canal qui rejoint Bergues à Dunkerque et la frontière belge, il y aura 3.500 hectares sous les eaux. Les Moëres sont les terres les plus basses, elles sont donc les plus faciles à inonder.
Source : Le Figaro
" Il semble que les agriculteurs prennent de moins en moins de pincettes pour dénoncer les projets absurdes des pouvoir publics. (...) Tout cela au détriment d’une bonne partie des territoires agricoles de la région mais aussi de villages et de terres assainies au cours des siècles. " écrit Gil RIVIERE-WEKSTEIN sur son site.
J'ai trouvé dans le dernier livre de Jean-Claude Génot : "François Terrasson, penseur radical de la Nature" (un de ceux qui est sur ma table de nuit) une réponse parfaite à cette actualité.
Jachères. Laissez pousser
" L’agriculture productive est une nécessité. Tous ceux à qui il est arrivé, soit de n’avoir pas à bouffer, soit de voir ceux qui n’en ont pas, n’en douteront pas un seul instant. La production des denrées agricoles est un métier légitime, respectable, qui doit être payé. Il doit être payé par la vente des produits et non par l’assistanat. Il existe un conditionnement écologique de la production. Sans une certaine présence d’éléments des systèmes naturels, l’agriculture est foutue. Le passage à la friche de certaines terres n’empêche pas de produire sur les autres. La crainte de la vermine, de la maladie et de l’envahissement général relève, sauf cas exceptionnels, de la pure imagination. " (François Terrasson, Jachères. Laissez pousser, Combat Nature n° 112, 1996)
L'avocat de la nature méprisée
Jean-Claude Génot (NDLB: entre guillemets, JCG cite François Terrasson) : François Terrasson s’est fait l’avocat de cette nature mal aimée: “Il y a des mots qui ont l’air méchant. La friche, cela évoque quelque chose d’agressif, d’envahissant, de volontairement hostile.” La friche est vécue comme un échec, l’homme ne dominant plus la nature: "La déprise, comme on dit, c’est qu’on lâche quelque chose qu’on tenait, qui avait tendance à se débattre, mais qu’on domptait par la force. (…) Le désert vert, voilà ce qui nous est prédit, en provenance de sources les plus diverses; monde agricole et citadin confondus. C’est la panique! Des terres sans hommes qui produisent des avalanches, des incendies, la fin du paysage et celle de la nature par la même occasion. "
(…) “Non, la friche n’est pas un danger pour la nature! […] Il y a bien longtemps que les naturalistes ont regardé pousser les herbes sauvages dans les parcelles oubliées. Sans voir pindre fa moindre apocalypse! [… ] C’est une chance, un miracle, une merveilleuse surprise. Toute cette belle végétation, ces fouillis inextricables, ces épines acérées, ces fondrières remplies de menthes et d’épilobes, ces bourdons affairés, mouches floricoles et rats des champs, couleuvres et vipères, rainettes dans les saules marsault sont une reconquête."
(…)"L’inquiétude n’est pas d’ordre écologique, mais culturelle. Le rejet de fa friche est typiquement, sur le plan ethnologique, un rituel d’exclusion magico-religieux. Le diable est à nos portes, le loup est dans la bergerie." Cette réaction virulente face aux friches relève de la psychiatrie puisqu’elle est liée à notre “obsession paranoïaque du controle, cette maladie mentale collective”, car “le seul dogme qui compte : la nature a besoin que l’homme continue à tout contrôler”. Cette haine de la friche puise ses ources dans la psychologie et la peur de la nature : “Laisser exister la friche ou le marais, c’est laisser vivre en soi ses émotions. Toutes les émotions, même les plus désagréables, les difficiles, les négatives”. Face à ce paradigme enraciné, une seule répose : “La nature a existé pendant des centaines de millions d’années avant l’homme. Il serait étonnant qu’elle ait besoin de lui.” “Allons voir les prés reconquis par l’épine dans le massif central, les prairies basses qui retournent au marais. C’est gênant pour notre orgueil. Mais, moins il y a d’hommes, mieux ça marche! Encore une fois, nous avons pris nos désirs pour des réalités. Nous vivons sur une idéologie qui fait de nous, dernier animal apparu, l’indispensable conducteur des processus naturels.”
Marécages et zones humides
Marais de Saint-OmerJean-Claude Génot: Impossible de parler de nature méprisée sans évoquer les marécages et autres zones humides. Qu’on ces lieux maudits de si épouvantables? “C’est par exemple, pour la peur du marais, le passage en vrac dans les esprits de toutes les répugnaces associant la vase, le venin, la pourriture, la vermine, les excréments, tout ce qui se faufile, rampe, englue, colle, suinte et glisse (…) La vase croupissante, les êtres serpentiformes et gluants, les masses visqueuses accrochées aux herbes sont une espèce d’exposition imprudente d’une “organicité biologique” à laquelle l’homme veut oublier qu’il participe.” Plus que tout, le marais appartient au sauvage : "Désert organique, immensité traîtresse, la zone humide est un des refuges ultimes du non-humain. Notre problème est de ne plus pouvoir tolérer ce non humain.” les zones humides renvoient à des images mentales effrayantes : "Les milieux humides sont d’une organicité absolument impudique, ils ne sont pas marqués par la puissance de l’homme, leur étrangeté fleure le piège et le traquenard”.
(Jean Claude Génot, “François Terrasson, penseur radical de la Nature”, L’avocat de la nature méprisée)
Lire
- Comment faire vivre les wateringues ? Le CESR vote des préconisations
- Schéma régional de cohérence écologique, trame verte et bleue Nord-Pas de Calais
- Dans la même région : Les phoques? Tous des pédés!
Extrait du projet
Milieux humides et aquatiques
Jadis, la région Nord–Pas-de-Calais avait une forte proportion de zones humides. Celles-ci ont largement été modifiées ou détruites pour la création de nouvelles terres exploitables. Par ailleurs, à l’exception de quelques-unes unes (comme Dunkerque), toutes les grandes villes régionales se sont développées dans le lit majeur des principaux cours d’eau régionaux. Une grande partie d’entre eux a également été profondément modifiée pour lutter contre les crues ou bien pour utiliser la force de l’eau.
Ainsi, il existe très peu de milieux humides et aquatiques indemnes de la main de l’homme et la faune et la flore en place sont bien souvent le fruit de cette exploitation. Il en résulte donc un appauvrissement de la faune et de la flore, lié à l’artificialisation (canalisation, berges artificielles, pollution, etc.) des rivières et des fleuves où leur dynamique est bloquée.
Toutefois, ce sont des milieux très résistants, qui sont capables, moyennant des mesures de restauration, de voir se développer rapidement des espèces animales et végétales caractéristiques (même si dans certains habitats sensibles comme les milieux tourbeux, certaines espèces ou communautés végétales peuvent être irrémédiablement détruites – les exemples ne manquent pas).
Ainsi, la plupart des rivières traversant les villes de la région sont canalisées et leurs berges sont bétonnées. Ces conditions défavorables à la faune et à la flore aquatiques et hygrophiles sont souvent dégradées davantage par la mauvaise qualité de l’eau.
Au niveau des canaux, l’amélioration de la qualité de l’eau et la restauration de berges naturelles favorables à la flore et à la faune des milieux humides et aquatiques constituent un enjeu important pour restaurer les continuités écologiques de milieux humides au sein des villes. Si peu de villes se sont déjà engagées dans cette voie compte tenu des coûts importants et de la complexité de telles opérations, elles ont créé ou amélioré des zones humides ponctuelles au sein de leurs espaces verts. Ainsi, de nombreuses villes engagées dans une politique de retour de la nature en ville ont notamment créé des mares favorables à la faune et la flore des zones humides.