Charley’s War est un chef-d’œuvre de la bande dessinée britannique, paru sous forme d’épisodes dans la revue britannique Battle entre 1979 et 1986. Excepté quelques épisodes publiés dans les magazines “Bengali” et “Pirates”, cette histoire réalisée par Pat Mills et dessinée par Joe Colquhoun n’avait pas encore réussi à franchir la Manche. Grâce au label Delirium, fruit d’une collaboration entre les éditions Ça et Là et 360 Media Perspective, cette véritable perle du neuvième art est dorénavant disponible chez nous.
Alimentée par des faits authentiques, ce récit qui traite de la guerre 14-18 invite à suivre les aventures de Charly Bourne : un jeune « Tommy » de 16 ans qui, en mentant sur son âge, se retrouve au front, à quelques jours de la terrible bataille de la Somme. Le fait de suivre les pas de ce jeune britannique un peu stupide, mais courageux et foncièrement bon, permet non seulement de plonger le lecteur dans le quotidien de la Première guerre mondiale, mais surtout de lui faire découvrir le point de vue anglais.
Après trois tomes relatant la fameuse bataille de la Somme, qui coûta la vie à plus d’un million de victimes pour seulement quelques kilomètres de terrain gagnés ou perdus, Pat Mills décide de s’intéresser à la bataille de Verdun, délaissant ainsi les soldats britanniques pour s’intéresser de plus près à l’armée française. En ramenant son héros à Londres en fin de tome précédent, l’auteur était non seulement parvenu à montrer la différence de perception entre les soldats et une population civile incapable d’imaginer l’inimaginable, mais il avait également abandonné Charly au sein d’une usine bombardée par de gigantesques zeppelins allemands.
Si ce quatrième volet montre l’issue de ce terrible bombardement pour Charly et sa mère, la suite délaisse les terribles conséquences de la Grande Guerre sur la vie civile pour se concentrer sur une terrible bataille à laquelle Charly n’a pas participé. Pour ce faire, l’auteur invite Charly à croiser le chemin de Blue, un membre de la Légion Étrangère Française poursuivi pour désertion dans les rues de Londres. Cette pirouette scénaristique qui oblige l’auteur à répéter à chaque début de chapitre que Charly se contente d’écouter l’histoire de Blue permet donc d’évoquer ce moment clé du premier conflit mondial.
Si le changement de narrateur peut surprendre, voire décevoir, ce procédé permet néanmoins de plonger le lecteur au cœur de l’atrocité de la bataille de Verdun et de montrer le lourd tribut payé par les soldats français. Au fil des pages, ce nouveau personnage central gagne en épaisseur et l’empathie augmente sans pour autant atteindre le capital sympathie éprouvé envers Charly. Si le récit permet également de découvrir la réalité des mercenaires de la Légion Étrangère, il dénonce surtout une nouvelle fois toutes les horreurs perpétrées sur le front. De l’utilisation d’armes chimiques aux barbelés, en passant par les missions suicides, tous les moyens semblent bons pour prendre quelques mètres à l’ennemi… même si c’est surtout la cruauté qui semble gagner du terrain…
Si le réalisme de ces scènes tirées de faits réels impressionne, c’est surtout l’humanité dégagée par cette œuvre qui fait mouche. Au sein de la Grande Histoire, Pat Mills invite en effet à découvrir les petites histoires de simples soldats. Multipliant les détails et les anecdotes (comme celle de ces soldats ensevelis sous la boue la baïonnette à l’air), Pat Mills restitue la dureté du conflit avec grand brio. Le graphisme noir et blanc de Joseph Colquhoun fourmille de détails et contribue également à dépeindre le quotidien des tranchées avec énormément de réalisme. Quant aux quelques pages en couleurs présentes dans ce tome… elles démontrent surtout que parfois, c’est quand même mieux de lire une BD en noir et blanc.
L’une des meilleures bandes dessinées jamais écrites sur la guerre et un album que vous retrouverez dans mon Top comics de l’année !