L’assouplissement du crédit documentaire (Credoc) contenu dans la loi de finances algérienne de 2014 aura-t-il un impact positif sans une autre
gouvernance ? La loi de finances 2014, modifiant l’article 69 de la loi de finances complémentaire 2009, rétablit conjointement le Remdoc comme moyen de
financement des paiements extérieurs, mais uniquement pour les produits finis. Pourquoi ne pas généraliser aux matières premières et aux équipements des PME/PMI, ne dépassant
pas un certain montant ? Or, entre janvier et juillet 2010, soit près de quatre années, j’avais mis en garde le gouvernement de l’époque sur les
effets pervers de la généralisation du Credoc. Le 10 novembre 2013 dans le quotidien gouvernemental Horizons j’avais émis le souhait à ce que le gouvernement révise sa position
et assouplisse cette procédure. Alors qu’entre 2010 et 2013, bon nombre de soi-disant experts ainsi que certains responsables de l’ABEF en pleine ENTV avaient applaudi et
prédit que le Credoc allait permettre une baisse substantielle des importations et dynamiser la production hors hydrocarbures. Que de pertes de temps et d’argent pour l’Algérie de la part
de ces responsables qui à l’image de Narcisse n’écoutent que ceux qui leur font des louanges.
Historique
Le Credoc a été imposé du temps du Premier ministre, Ahmed Ouyahia pour contenir le flux grossissant des importations et garantir la traçabilité. Or, que ce soit
pour le Credoc ou le Remdoc , il est utile de rappeler que, déjà en date du 16 février 2009, en vue de prévenir toute infraction à la réglementation des changes, la direction générale des changes
auprès de la Banque d'Algérie a adressé aux banques et aux établissements financiers intermédiaires agréés une note relative au règlement des importations (note n°16/DGC/2009) qui concernait, en
fait, le contrôle des importations de biens réglés par crédit documentaire (Credoc) ou par remise documentaire (Remdoc). Par ailleurs, le moins que l’on puisse dire depuis quatre ans et
depuis la promulgation de loi de finances complémentaire 2009, le bilan est mitigé allant vers 60 milliards de dollars d’importation de biens fin 2013, si l’on poursuit le même rythme qu’au
premier semestre, (officiellement près de 48 milliards de dollars de biens uniquement pour les 10 premiers mois de 2013) auquel il faudra ajouter plus de 12 milliards de dollars de
services. Le Premier ministre Abdelmalek Sellal, au mois de septembre 2013, serait remonté contre les effets inattendus et «pervers» du crédit documentaire (Credoc) qui n’aurait pas
tenu ses promesses. Il y voit une des sources qui a fait exploser la facture de l’importation. Est-ce l’unique raison? Il faudrait nuancer, car 50 années après l’indépendance politique, l’Algérie
n’a toujours pas d’économie productive: 97/98% des exportations sont le fait d’hydrocarbures en important 70% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées dont le taux
d’intégration ne dépasse pas 15%. Avec la programmation de 500 milliards de dollars de dépenses publiques dont 70% pour les infrastructures, la non maîtrise de la gestion des projets avec
des surcoûts exorbitants, l’augmentation généralisée des salaires et traitements, faute d’une stratégie de production hors hydrocarbures, de mécanismes de régulation et d’organismes de contrôle
favorisant des pratiques occultes de surfacturation, il fallait s’attendre à une explosion des importations.
Le fondement du Credoc
Le crédit documentaire (Credoc) est tout engagement pris par une banque pour le compte d’un tiers (donneur d’ordre) ou pour son propre compte de payer à un
bénéficiaire (prestataire de service, vendeur, fournisseur…) un montant déterminé sur présentation, dans un délai fixé, des documents conformes aux termes et conditions fixés dans le contrat. La
remise documentaire (Remdoc) est une technique de paiement ou d’encaissement par laquelle l’exportateur donne mandat à sa banque de remettre des documents à la banque de l’importateur. Celle-ci
les présentera à son client, soit contre paiement comptant, soit contre acceptation d’un paiement à terme sur les titres de paiement convenus. La remise peut être à l’import ou à l’export.
Le crédit documentaire est lié au paiement de factures relatives à une importation et peut être à l’import ou à l’export. Les différents documents exigés d’un dossier sont une demande de crédit
documentaire, une facture pro format objet du crédit et la copie originale de la facture ; la constitution de la provision ; une décision du comité de crédit en cas de non constitution de
provision par le client ; le message Swift d’ouverture ; le paiement effectif si le paiement est à vue ; les commissions d’acceptation pour le cas de paiement par traite ; la copie du
connaissement ; la provision extourne et la déclaration d’importation (D.I) domiciliée. Nous avons quatre intervenants pour assurer la sécurité de l’opération: a) L’acheteur/importateur = donneur
d’ordre; b) la banque de l’acheteur = banque émettrice; c) la banque du vendeur = banque notificatrice et/ou banque confirmatrice; d) le vendeur/exportateur = bénéficiaire.
Le fonctionnement du Remdoc
Le Remdoc (remise documentaire) est un moyen de paiement par lequel une banque assure l’encaissement du montant de crédit contre remise des documents selon les
instructions stipulées sur l’ordre d’encaissement, à la demande de son client (donneur d’ordre). Pour la Remdoc à l’import, l’importateur est client de la banque et doit régler la facture de
l’exportateur qui est à l’étranger et pour la Remdoc à l’export: vous êtes exportateur et vous chargez la banque d’obtenir le paiement de votre facture. Le Remdoc est moins lourde à mettre
en place que le Credoc. Deux types de documents peuvent être exigés: les documents financiers: ce sont des lettres de change, billets à ordre, chèques ou autres instruments utilisés pour obtenir
le paiement d’une somme d’argent et les documents commerciaux: ce sont des factures, documents de transport, autres titres de propriétés ou documents non financiers. Les documents sont
remis en fonction des termes établis entre le fournisseur et le client. Ils peuvent être remis soit: contre acceptation (D.A) ou contre paiement (D.P). Les intervenants dans l’opération
d’encaissement sont: a) le donneur d’ordre (le client) ; b) la banque remettante (la banque du client) ; c) la banque chargée de l’encaissement (autre banque que la banque remettante) ; d) la
banque présentatrice (banque chargée de l’encaissement).
Avantages et inconvénients du Credoc et du Remdoc
Pour le Credoc, le vendeur est payé sans avoir à attendre que les marchandises soient arrivées à destination et l’acheteur est assuré que les marchandises qu’il
paie ont été bien expédiées par le vendeur. Quant aux avantages du Remdoc, pour l’exportateur, ils sont la bonne foi des banques (la confiance) qui agissent dans l’opération et existe la
réduction sensible des frais d’importation. Ainsi, lorsque les sociétés internationales d’assurances allouent une mauvaise note à un pays, en risque pays très fort, cela oblige souvent les
banques à régler les transactions en Credoc. Aussi, le Credoc peut-il traduire le risque d’insolvabilité d’un pays. C’est une commission/frais en pourcentage à payer par le donneur d’ordre
(l’acheteur en général). Mais les risques du Remdoc sont le retard dans la livraison, le non-respect de la qualité, quantité, etc. et le risque de non-paiement, de contestation de la valeur des
documents et de l’interruption des activités en cas de force majeure. Dans tous les cas, les banques n’assument aucun engagement ni responsabilité pour le non-respect des instructions
qu’elles transmettent ; la conformité et la valeur des documents et le retard sans paiement. Ainsi, le Credoc est un moyen de paiement à l’international entre deux partenaires commerciaux, certes
le moyen le plus sûr mais le plus cher par rapport au Remdoc et au transfert libre qui s’opère auprès d’un organisme bancaire habilité à ce genre d’opération.
Les conditions de la pleine réussite du Credoc
La gestion du crédit documentaire Credoc suppose de suivre de manière régulière et transparente différentes étapes supposant un système financier performent relié
aux réseaux internationaux. Parmi ces étapes, j’identifie plusieurs opérations dont la réception et l’authentification des instructions du mandant ; analyser les instructions contenues dans le
mandat et conseiller le client le cas échéant ; accomplir les démarches pour obtenir les autorisations nécessaires au sein de la banque ; procéder à l’émission/notification formelle de
l’instrument documentaire bancaire ; comptabiliser l’opération ; effectuer les modifications nécessaires suite aux éventuels changements intervenant en cours d’opération, en suivant les étapes
mentionnées ; assurer la réalisation de l’instrument documentaire bancaire impliquant la réception des documents, le contrôle de leur conformité par rapport à l’instrument et aux règles
applicables et l’exécution ou le refus de paiement ; la saisie informatique et/ou comptable de la réalisation ; assurer le contrôle et le suivi des dossiers existants ; assurer, en étroite
collaboration avec le front-office, la gestion des contreparties, des gages et des sûretés liées aux engagements et être un véritable partenaire des clients en entretenant des contacts réguliers
avec la clientèle. Or, l’efficacité actuelle du système bancaire algérien est mitigée selon les derniers rapports internationaux, le changement de cadres juridiques semblant constituer un des
facteurs à l’entrave affaires. Selon les différents rapports internationaux sur le climat des affaires classent l’Algérie à un niveau dérisoire. Dans ce contexte, le crédit documentaire (Credoc)
instauré par la loi de finances complémentaire 2009 est fortement limité pour son efficacité par le fonctionnement du système bancaire algérien. En effet, le système documentaire est une
procédure normale lorsqu’ existent des banques qui fonctionnent normalement au sein d’une véritable économie de marché concurrentielle et connecté aux réseaux internationaux. Or l’Algérie est
dans cette interminable transition depuis 1986, ni véritable économie de marché, ni économie administrée qui ont leurs propres règles de fonctionnement expliquant les difficultés de régulation
économique et sociale. Les banques publiques qui assurent pour 2012/2013 environ 90% du total des crédits sont souvent soumises à des interférences politiques et sont actuellement avec
leurs lourdeurs bureaucratiques des guichets administratifs qui favorisent l’import au lieu d’être un partenaire actif pour l’investissement productif. En plus avec le retour à l’économie
administrée où chacun attend les ordres qui souvent ne viennent pas ou très en retard, du climat de suspicion qui règne actuellement avec les affaires de corruption, il ne faut pas s’attendre à
ce que les managers tant des entreprises publiques que des banques prennent des initiatives avec le risque d’une paralysie de la machine économique. Aussi, le Crédoc a pénalisé tant
les PMI/PME privées que les entreprises publiques soumises à des interférences administratives, difficultés accentuées par la faiblesse du management stratégique et non libres de leur gestion
pour s’adapter à l’évolution rapide du commerce international. Les voix du secteur public ont rejoint celle du privé, évoquant des difficultés à s’approvisionner en pièces de rechange par
exemple où le temps est compté. Ainsi après plusieurs années d’expérience, il est démontré maintenant que l’exigence du Credoc sans transition et sans préparation des banques a
d’étouffé les PMI/PME. Car peu d’entreprises sont insérées dans le cadre des valeurs internationales comme le montrent les données au niveau du registre national du commerce où la
structuration des entreprise y compris publiques étant la suivante: – 49,90 % personnel -32,14 % SNC -13,32 % Sarl -4,64 % SPA dont Sonatrach et Sonelgaz. Par ailleurs l’enquête de l’ONS (2011)
montre que 83% du tissu économique est représenté par le commerce et les petits services à très faible valeur ajoutée et que la production industrielle au sein du produit intérieur brut est en
déclin à peine 5%.
Conclusion
Il reste beaucoup à faire pour que nos responsables s’adaptent aux arcanes de la nouvelle économie, où se dessinent d’importants bouleversements géostratégiques
mondiaux, croyant que l’on combat la fuite des capitaux à partir de commissions et de circulaires, ignorant tant les mutations mondiales que la morphologie sociale interne, en perpétuelle
évolution (voir mon interview à l’agence française AFP le 04 août 2013). L’exception faite des importations d’intrants et de pièces de rechange réalisées par les entreprises
productrices, à hauteur de 2 millions de dinars annuels (aménagement de la LFC 2010) n’ont pas eu les effets escomptés sur l’appareil productif. En fait, rien ne servait de continuer dans
une voie que l’on savait biaisée, et il est heureux que l’on ait pratiqué certaines corrections, personne ne pouvant se targuer d’être plus nationaliste qu’un autre. Comme une autre
procédure qu’ont utilisé bon nombre de pays émergents a été introduite autorisant jusqu’à fin 2015, le dédouanement des équipements de moins de deux ans n’ayant pas été produits
ou montés en Algérie, et ce au profit des producteurs et promoteurs qui s’engagent à les garder au moins pendant cinq ans. Il faut être pragmatique et éviter de plaquer des schémas théoriques non
adaptés au contexte économique et social algérien durant cette période de transition. Le bilan du Credoc seul moyen de paiement, de quatre années permet de conclure qu’il n’a
pas permis ni de lutter contre le niveau élevé des importations, ni de limiter le fléau de la corruption à travers les surfacturations. Le problème étant ailleurs lié à une nouvelle
stratégie de production hors hydrocarbures renvoyant à l’urgence d’une mutation systémique. La vertu des grands dirigeants n’est-elle pas le dialogue productif loin des décisions
administratives autoritaires bureaucratiques? Le but du bureaucrate n’est-il pas de donner l’illusion d’un gouvernement même si l’administration fonctionne à vide, en fait de gouverner une
population infime en ignorant la société majoritaire ? D’où cette mentalité du bureaucrate de donner l’illusion d’une bonne gouvernance pouvant conduire le pays à l’impasse, voire au suicide
collectif. Le Premier ministre Abdelmalek Sellal a lui-même reconnu le 12 septembre 2013 que la bureaucratie étouffante a favorisé l’émergence de «niches de corruption» dont la
lutte exige la «transparence dans l’action» en fait un renouveau de la gouvernance s’adaptant tant aux mutations sociales internes qu’aux mutations mondiales afin de lutter efficacement contre la
corruption, l’insécurité juridique qui sont des phénomènes qui entravent l’émergence d’un climat des affaires transparents en Algérie. Un Etat de droit, la valorisation du savoir, un système
bancaire performant et la réhabilitation de l’entreprise créatrice de richesses sont l’épine dorsale des réformes et d’un développement durable hors hydrocarbures. En fait et tout en se
félicitant qu’on revienne à plus de réalisme, pour un impact positif à terme, à l’instar de toutes les lois votées, qui ne sont qu’un moyen, l’assouplissement du Credoc
impliquera une autre gouvernance se fondant sur une vision stratégique.
Pr Abderrahmane Mebtoul, Expert international en management stratégique