- Parce que c’est un grand écrivain.
Je devais donc lire des horreurs écrites par de grands écrivains, et cela les justifiait parce qu’elles étaient écrites par un auteur reconnu. Alors, parce que l’on avait ce statut on pouvait tout dire, tout raconter et ce n’était pas critiquable, enfin, si, mais la critique n’avait plus d’importance sur ce point.
Grand écrivain ou pas, j’avais été profondément choqué par un comportement inhumain aussi cruel, aussi sauvage, surtout que je ne comprenais pas comment on pouvait avoir une idée aussi épouvantable et prendre plaisir à torturer un animal qui devait vivre sa soumission auprès des hommes et son esclavage, à porter des charges que les hommes étaient incapables de porter, et c’était ainsi qu’on le remerciait ? Plus tard, j’appris que pour obtenir une peau de fauve intacte, les hommes faisaient des horreurs similaires à faire frémir.
À la même période, au village, des camarades, si l’on peut dire, s’amusaient de façon plus modeste j’en conviens, à faire exploser des grenouilles et des chats avec des pétards à mèche, je trouvais leurs jeux, tous aussi insupportables, j’avais beau les traiter de salauds, cela ne changeait rien, ils se marraient, fiers de leurs basses œuvres, les fumiers, les morveux battus à coup de ceinturon par des pères aimants, nostalgiques d’une période où l’on se débarrassait des juifs à coups de dénonciations, ou tripotés discrètement par le prof de musique de la nouvelle école qui venait d’ouvrir.
Celui-là, après avoir fait sauter sur ses genoux trop de jeunes garçons, fut accompagné par les gendarmes un jour de pluie, et en plus, le poireau rigide avait droit à une escorte, on ne l’a jamais revu par la suite, je ne sais même pas ce qu’est devenue l’école dont il s'occupait, pistonné par le maire du village..., mais ce digne professeur n’était pas le seul pédophile de notre bourgade, un voisin qui passait huit mois sur douze chez les Saoudiens était connu pour des pratiques étranges avec les gamines du quartier, comme le prof. de musique, il aimait mettre les gamines sur ses genoux et s'adonnait à des attouchements osés, mais, il se limitait aux petites filles et surtout à celles de ses voisins, je n’ose pas imaginer le calvaire des deux petites qu’il avait, le silence de sa femme, qui marchait en baissant la tête, mais lui, il était sous la protection du maire du village, un RPR influent, qui devait de son côté, participer à des parties fines, peut-être est-ce pour cela que son plus jeune fils, le digne rejeton d’une pourriture, grandissait avec de la merde plein la bouche et de la haine plein les poings. Il ne m’a jamais adressé la parole celui-là, mais il me détestait cordialement sans me connaître, car j’étais un fils d’étranger ;
Ah, être un fils d’étranger dans un village alsacien en 1975, tout aristocrate que fut mon père, ça revenait à être un arabe partout en France. J’ai connu le racisme, comme tous les autres avec lesquels nous partagions une souffrance commune, nous étions exclus, comme les autres des activités sportives, locales, à la boulangerie, on nous passait devant sans s’excuser, on était servi après que tout le monde soit parti, comme si nous faisons honte, et puis, il ne faut pas oublier les insultes dont les clients nous gratifiaient en alsacien, c’est là que j’ai compris le sens du mot courage, même pas capables de nous insulter en français. Les braves gens, oui, c'étaient des braves gens, une autre forme de racaille, et après on vient nous dire que les français ne sont pas racistes ? Enfin, je m’égare, reprenons :
- C’est vrai, ce devait être bien amusant de faire exploser ces animaux, pourtant si j’avais eu plus de courage je leur aurais bien mis un gros pétard dans le derche à ces cul-terreux pour leur faire gouter à la poudre, mais j’étais un enfant relativement frêle, j’avais peut-être un peu plus d’esprit que ces solides sauvages, mais j’étais peu capable de les rosser comme ils le méritaient, aujourd’hui, ce serait différent, avec l’âge, on prend de l’assurance.
L’autre jour, en discutant chien avec le peintre Jacques Rouby, celui-ci me raconta une aventure qui l’avait choquée et qui me rappela cette nouvelle de Maupassant, enfin, j’ai ressenti le même mauvais sentiment en l’écoutant.
Il connaissait un paysan qui avait une petite chienne de berger, il l’aimait bien cette petite chienne, elle travaillait si bien auprès de ses moutons, qu’il s’y était attaché. Elle était si bonne dans ses œuvres qu’il décida de prendre un chiot pour que sa chienne le forme. L’apprentissage se passa à merveille et en quelques mois, le jeune successeur était à la hauteur de sa maîtresse, dès lors, il demanda à un commis de prendre sa petite chienne, car le paysan avait trop d’affection pour elle, il chargea donc son employé de la prendre et d’aller l’abattre derrière la bergerie. Ce jour-là, aucun ange n’intervint pour interrompre le sacrifice de l’animal, il était accepté par tous, même par le divin, qui, s’il retint la main d’Abraham sur Isaac, laissa mourir cette merveilleuse petite chienne qui aurait, d’après Jacques, encore pu vivre une bonne dizaine d’années.
Lorsque le paysan lui raconta cette histoire, il parut affecté, mais c’était ainsi qu’il aimait ses chiens, c’était là sans doute la différence entre un homme qui utilise un chien pour ses capacités, et un autre qui l’aime pour ce qu’il est et qui ferait tout pour son chien, comme son chien ferait tout pour son maître. La cruauté de la paysannerie française n’a guère évoluée depuis le XIXe siècle semble-t-il.
Je n’ai pu m’empêcher de traiter ce paysan de :
- Salopard…
J’ai beaucoup de mal à supporter la cruauté des humains sur le monde animal, peut-être parce que les animaux nous montrent parfois un chemin dont nous nous sommes écartés en nous prenant pour supérieurs ?
L’horreur de ce récit est que ce paysan, allait certainement faire de même avec le nouveau dès qu’il aurait atteint ses quatre ans, pas de sensiblerie, le chien, était pour cet homme juste un outil, et ainsi de suite.
Puis, Jacques me raconta qu’il avait trouvé un agneau dans la forêt, les pattes avant, prises entre des rochers, il le dégagea et l’apporta au paysan en question, celui-ci lui répondit :
- Sa mère ne veut pas l’allaiter, tu aurais pu le laisser où tu l’avais trouvé, mais si tu le nourris, je pourrais te le racheter si tu veux.
Jacques ne pouvait malheureusement garder l’agneau, il ne m’a pas dit ce qu’il en a fait, mais d’après le comportement de l’autre affreux, j’imagine bien que le petit être a été sacrifié ou abandonné, laissé là à mourir ou la gorge tranchée.
Parfois je me demande en quoi sommes-nous parvenus à un niveau de civilisation aussi avancé si c’est pour nous comporter comme des sauvages avec les bêtes ?
D’aucun me diront que dans ce cas, il ne faut pas manger de viande, et bien, je n’en mange pas, car je n’ai pas ce courage de tuer une bête pour la manger, d’autant que je considère que l’animal nous ressemble tant en de nombreux points que de manger du cochon, par exemple, serait comme de manger de l’homme, ne prend-on pas les organes du cochon pour les transplantations de cœur, de rein, de foie, s’ils étaient si différents des humains, nous ne le ferions pas.
En fait, je me refuse à manger des mammifères nous avons trop en commun et je n’élève pas un animal pour lui trancher la gorge, je n’établis pas une relation de proximité pour ensuite assassiner l’être qui me fait confiance, je m’y refuse, c’est un choix éthique, mais le paysan, élève justement ses bêtes pour les tuer, c’est son exploitation vitale de la mort.
D’ailleurs, nous mangeons trop de viande, c’est ce qui nous rend malade, nous, les humains, à ce propos, de nouveau cas de « vache folle » ont été décelé en Angleterre sur une population consommant largement de la viande de bœuf.
Avons nous véritablement tiré les leçons de cette crise ?
Si tel est le cas, que l’on nous explique pourquoi les farines de cadavres ont-elles à nouveau été autorisées par les exploitants agricoles et les éleveurs ?
Nous vivons une époque formidiable…