L’illusion démocratique : causes, conséquences et remèdes
Publié Par Damien Theillier, le 4 janvier 2014 dans PhilosophieVache sacrée de l’époque, la démocratie n’en est pas moins exempte de défauts selon le président de l’Institut Coppet.
Par Damien Theillier.
Un article de l’Institut Coppet.
I. L’illusion démocratique
La démocratie est la religion de notre temps, le dogme le plus autoritaire et le plus puissant qui soit. Chez les intellectuels elle a remplacé la foi dans le communisme au XXe siècle.
Précisément, la lutte contre le communisme a pu nous faire croire un temps que la démocratie était le rempart contre le mal et la solution au fanatisme, aux crises, à la pollution etc. On entend souvent dire que les crises qui se multiplient, seraient des crises du libéralisme, de la finance ou de l’économie de marché. On pense que c’est la faute de gens cupides ou égoïstes. Au niveau politique, on pense qu’il faut remplacer les mauvais politiciens par des bons. On croit qu’il suffit de bien voter et de faire plus de lois, plus de réglementations, accorder plus de protections, de droits économiques et sociaux. C’est la grande illusion de notre époque.
Au contraire, il se pourrait que la bureaucratie, l’interventionnisme étatique, le parasitisme, le crime, le chômage, l’inflation, la faillite des systèmes d’éducation publique etc. ne soient pas dus à un manque de démocratie mais causés par la démocratie elle-même. La grande illusion de notre époque c’est celle qui consiste à penser qu’on peut résoudre tous les problèmes par plus de démocratie.
L’Union Européenne par exemple, n’est rien d’autre qu’une extension de la démocratie à grande échelle. Elle a apporté plus de bureaucratie et de paralysie que jamais auparavant. Et surtout elle a considérablement affaibli notre niveau de vie.
Et c’est un phénomène général. Le pouvoir de l’État n’a cessé de croître au cours des 100 à 150 dernières années dans toutes les démocraties occidentales. Entre le XIXe siècle et la Première Guerre mondiale, la charge fiscale en vigueur dans un pays comme les États-Unis se limitait tout au plus à quelques pourcents, sauf en temps de guerre. L’impôt sur le revenu n’existait pas et était même interdit par la Constitution.
Au début du XXe siècle, les dépenses publiques représentaient environ 10% du produit national brut dans la plupart des démocraties occidentales. Aujourd’hui cela tourne autour de 50%-60%. Ainsi pendant plus de la moitié de l’année, les gens travaillent pour l’État, tels des esclaves. Cette année en France le jour de libération fiscale était le 26 juillet 2013. Sous l’Ancien Régime, le jour de libération fiscale était le 18 janvier… (Voir Benoît Malbranque, L’arbitraire fiscal. L’impôt sous l’Ancien Régime et en 2013).
En pratique, cela signifie qu’une petite partie de la population est forcée de travailler pour les autres, au nom de la solidarité et de la souveraineté du peuple. L’avènement de la démocratie a donc considérablement affaibli plutôt que défendu le droit de propriété et les libertés individuelles dans les pays occidentaux.
En réalité, tout ce que nous avons encore de prospérité, de libertés et de paix, nous le devons, non pas à la démocratie mais aux siècles précédents, au développement de la libre entreprise, de la liberté du commerce et de l’industrie. Les premiers partisans du libre-échange, étaient des théologiens thomistes espagnols de la fin du Moyen Age, à Salamanque. La science économique est née en France au XVIIe siècle et elle s’est développée au XVIIIe avec les physiocrates, bien avant l’ère démocratique. (Voir Benoît Malbranque, La démocratie et les économistes français).
La thèse de Dépasser la démocratie, de Frank Karsten et Karel Beckman, est que lorsque le peuple décide collectivement de la manière dont la société doit être organisée, il en résulte mécaniquement une croissance de l’État c’est-à-dire une emprise de plus en plus forte de la sphère publique sur la sphère privée, du politique sur l’économique, sur la famille, sur l’école et sur la science elle-même. Et comme elle procède de l’envie elle conduit à former des coalitions pour voler les autres, pour les empêcher de réussir ou pour vivre de leur travail. Elle conduit à la loi du plus fort, à la guerre de tous contre tous, pour paraphraser Hobbes.
Bref, cette thèse peut être reformulée ainsi : la démocratie est le contraire de la liberté car elle est collectiviste par essence. Elle socialise le pouvoir et toutes les décisions. Elle a pour résultats la politisation de l’existence, l’exacerbation des conflits, le matérialisme, l’hédonisme et l’appauvrissement par la redistribution forcée des richesses qui n’est rien d’autre qu’un pillage légal généralisé.
II. Politisation croissante de la société et pillage légal.
Avec la démocratie, l’idée s’est imposée que la liberté serait mieux établie si toutes les décisions étaient prises démocratiquement c’est-à-dire si la société tout entière était organisée collectivement. Et c’est précisément cette extension de la démocratie à toutes les sphères de la société qui a produit les résultats que nous voyons aujourd’hui.
En effet, quand toutes les décisions importantes relatives aux différents aspects de la société sont prises par « le peuple », c’est à dire par le gouvernement démocratiquement élu, censé représenter le peuple, les gens se tournent naturellement vers l’État pour résoudre leurs problèmes ou pour traiter les maux de la société.
La liberté est alors entendue non plus comme le droit de gérer sa propre vie mais comme le droit d’intervenir dans la vie des autres pour la régenter par le moyen de la contrainte légale. La mentalité interventionniste et redistributrice se met alors en place. La loi change de nature, elle n’a plus pour fonction de protéger la personne et les biens de chacun, conformément au droit. Elle devient un moyen d’égaliser les fortunes et donc d’asservir son voisin, de s’octroyer des privilèges et d’en distribuer à ses amis.
On passe de la liberté de gérer sa propre vie sous l’empire du droit à la liberté de faire des lois pour gérer la vie d’autrui. L’État démocratique devient une machine populaire à redistribuer l’argent et les privilèges en fonction des groupes de pression. Elle permet aux plus nombreux et aux mieux organisés d’imposer leurs préférences aux autres, au nom du peuple.
Ainsi les représentants du peuple sont incités à multiplier les privilèges accordés à leurs électeurs et à élargir le pouvoir de l’État au lieu de le limiter. Plus l’État intervient, plus est grande l’incitation à réclamer des privilèges exorbitants pour les acteurs économiques et sociaux. Ne pas le faire, ce serait laisser les autres s’en emparer sans réagir et abandonner ainsi un avantage précieux.
En bref, la démocratie augmente le nombre de bénéficiaires possibles du « pillage légal » et donne aux législateurs une plus grande apparence de légitimité qu’un pouvoir non démocratique. La démocratie n’est pas donc pas seulement anti-économique, elle est immorale.
III. La démocratie produit une société matérialiste et irresponsable.
La démocratie ne peut former qu’une société de consommation matérialiste : on s’endette sans limite pour pouvoir déverser de l’argent public dans toutes les sphères de la société, on procède à la redistribution massive des richesses pour égaliser les revenus ou simplement pour donner se donner l’illusion de la gratuité et de la justice. Bref on épargne à tout le monde la peine d’être prévoyant, de constituer une épargne, d’être responsable. Pourquoi éduquer ses enfants ? L’éducation nationale s’en occupe.
Donc en même temps qu’elle détruit les richesses par la prédation fiscale et la redistribution, la démocratie développe presque toutes les formes de conduites indésirables à des niveaux dangereux : dépendance, négligence, imprévoyance, incivilité, cynisme et délinquance.
Ces comportements sont favorisés par le court-termisme. La constitution d’une épargne ou d’un patrimoine suppose de s’imposer une discipline, de faire des sacrifices, d’accepter la gêne immédiate en vue d’un avenir meilleur. Or la démocratie incite au contraire à ne pas penser au lendemain puisqu’il est toujours possible de recourir aux allocations, aux logements sociaux et de vivre avec l’argent des autres. Seul compte alors le moment présent et le plaisir immédiat. D’où l’hédonisme et le consumérisme infantiles, sans aucune responsabilité de soi ni des autres.
Le résultat est que la solidarité naturelle entre les générations disparaît, les liens sociaux et familiaux sont éclatés, tandis que les niveaux de vie réels baissent drastiquement en Occident. La dette publique et le coût des systèmes de sécurité sociale explosent et conduisent à la perspective d’un effondrement économique et moral généralisé.
IV. Socialisme et démocratie : le clivage droite-gauche donne toujours l’avantage à la gauche.
La gauche socialiste est en phase avec le projet démocratique. C’est le terreau le plus favorable à l’avancée de ses idées : égalitarisme, redistribution, augmentation indéfinie des « droits à ». Le socialisme a toujours légitimé l’usage de la force contre ses adversaires. La démocratie lui permet d’exercer la violence par les urnes et de justifier moralement ce hold-up par la volonté du peuple souverain.
C’est pourquoi la stratégie gagnante de la gauche est d’augmenter toujours le nombre des clients de l’État-providence : suffrage universel, puis extension du suffrage aux étudiants (majorité à 18 ans) et bientôt aux immigrés. Plus il y a d’électeurs, plus il y a de clients potentiels pour la redistribution et l’égalisation forcées.
Au contraire, dans un système démocratique la droite sera toujours perdante car elle n’est jamais qu’une force de réaction contre la gauche. Elle veut tenir un discours plus réaliste, à la fois sur le plan économique et moral. Mais face à la gauche, la droite est obligée de faire de la surenchère démagogique et clientéliste pour arriver au pouvoir. Un exemple récent le montre : depuis que Marine Le Pen a adopté les idées de Mélenchon, elle gagne des voix.
V. Y a-t-il une solution ? Quelle alternative à la démocratie aujourd’hui ?
1° Le pouvoir des idées : briser la matrice
La démocratie est le résultat d’une acceptation massive, par l’opinion publique d’idées fausses. Fausse idée de la loi, fausse idée de la justice, fausse idée du pouvoir, fausse idée de la liberté. Aussi longtemps que cette adhésion est dominante, la catastrophe est inévitable. En revanche, si on reconnaît que l’idée démocratique est fausse et perverse, il reste un espoir.
La tâche essentielle qui attend ceux qui veulent restaurer la liberté est donc de briser la matrice, c’est-à-dire discréditer intellectuellement la démocratie. Il faut démontrer qu’elle n’est ni la liberté ni la justice mais qu’elle est au contraire la cause fondamentale de la situation actuelle d’oppression et de dé-civilisation.
Qu’est-ce qu’une société juste ? C’est une société dans laquelle le pouvoir, donc la loi, doit être strictement limité à deux objets : défendre les citoyens contre une agression extérieure et les défendre contre une agression mutuelle. Tout le reste relève de la sphère privée, donc de la responsabilité individuelle, des associations, des communautés volontaires et des contrats. La vraie liberté, la liberté responsable, c’est celle qui consiste à vivre avec ce qui nous appartient et de ne pas faire peser sur les autres le coût de nos décisions, de nos préférences. C’est la liberté subordonnée au droit.
Vivre ensemble implique des normes. Mais la seule norme politique qui soit juste universellement, c’est le respect de chaque être humain, de ses croyances, et des biens matériels auxquels il est attaché. Autrement dit, les biens ne sont pas communs. Le seul bien qui soit commun, c’est le droit. C’est le respect du droit de chacun à disposer de soi et de ses revenus légitimes. Or la démocratie redistributrice est incompatible avec ce bien commun, elle ne peut que le mutiler au profit d’intérêts particuliers corporatistes, bien que l’intérêt général soit toujours faussement invoqué.
2° Inventer des alternatives aux services publics : la résistance passive
Pour restaurer la liberté il faut aussi dépolitiser au maximum la société et reprendre le pouvoir qui nous a été confisqué par les urnes. Il faut donc réduire le plus possible la sphère d’action de la loi et de l’État sur nous.
Mais pour cela bien sûr, il faut arrêter de voter pour des candidats-fonctionnaires qui ne peuvent que contribuer à augmenter les dépenses publiques et l’asservissement des citoyens, qu’ils soient de droite ou de gauche. Un fonctionnaire élu est à la fois juge et partie. Il doit décider du montant des dépenses publiques alors même qu’il en vit… absurde et injuste. Il faut également boycotter les entreprises, les journaux, les artistes et les associations qui vivent d’argent public.
Plus important encore, il faut se battre juridiquement et pratiquement pour sortir de la sécurité sociale, du système de retraites par répartition ou de l’éducation nationale. Et ne comptons pas sur les partis politiques pour y arriver. La protection sociale, c’est leur argument électoral favori. Il faut prendre des initiatives dans tous les domaines pour proposer des alternatives privées aux services publics : auto-médication, auto-éducation, auto-défense, auto-édition, auto-production alimentaire… Il faut aussi, autant que possible bien sûr, mettre son argent à l’abri de la prédation fiscale. Autrement dit il faut reconquérir notre indépendance et relever la tête.
3° Un idéal : La concurrence politique et le marché de la gouvernance
La société juste ne se construit pas d’en haut. Elle doit émerger des libres initiatives de chacun. Cette autre voie, c’est celle de la décentralisation du pouvoir, de la concurrence et de la responsabilité individuelle.
La solution c’est de multiplier les unités administratives et de les mettre en concurrence. Les citoyens pourront ainsi se détourner eux-mêmes des gouvernements autoritaires et mal gérés et rejoindre ceux qui produisent les meilleurs services au plus bas coût. Cette fragmentation politique permettrait à chacun de voter avec ses pieds au lieu de voter dans les urnes. Les bons systèmes de gouvernance, utiles et efficaces, chasseraient les mauvais.
Ces petites unités gouvernementales, chacune avec leurs propres caractéristiques, pourraient choisir de coopérer sur certaines questions si cela leur est utile, par exemple, sur l’énergie, l’immigration ou les transports. Elles pourraient également coopérer en matière de défense : échange d’informations policières, coalitions militaires, traités de non-agression etc.
Dans Dépasser la démocratie, les auteurs donnent l’exemple de la Suisse avec ses vingt-six cantons, ses 2.900 communes, ses impôts versés majoritairement au niveau cantonal et communal, et non pas fédéral, ses différentes réglementations qui se font concurrence, sa non-appartenance à l’Union européenne. La Suisse est en effet « un pays qui réussit très bien » :
« Au niveau mondial elle est dans le peloton de tête en termes d’espérance de vie, de niveau d’emploi, de bien-être et de prospérité. Elle est l’un des rares pays au monde qui n’a pas connu de guerre depuis plus d’un siècle. Malgré l’existence de quatre langues (allemand, français, italien et romanche), il y a beaucoup d’harmonie sociale. »
Les auteurs ne préconisent pas la Suisse comme un idéal ou comme la seule option. La démocratie directe n’est pas la panacée. Et il se pourrait même qu’elle contribue à renforcer l’État au lieu de l’affaiblir. Dès lors que les mœurs sont corrompues, la démocratie directe ne pourra que refléter cette corruption. Si le citoyen pense que tout lui est dû, qu’il est normal que les autres paient pour lui, la démocratie directe n’y changera rien.
Mais la Suisse est un exemple qui montre comment un pouvoir décentralisé pourrait fonctionner : « Plus un État démocratique est grand et plus sa population est hétérogène, plus des tensions naîtront. Les différents groupes d’un tel État n’hésiteront pas à utiliser le processus démocratique pour piller les autres autant que possible. À l’inverse, plus les unités administratives sont petites et plus la population est homogène, plus il est probable que les excès de la démocratie restent limités. Les gens qui se connaissent personnellement ou se sentent liés les uns aux autres sont moins enclins à se voler et à s’opprimer les uns les autres ».
Pour conclure, laissons les gens libres de déterminer sous quelle forme de gouvernement ils veulent vivre : la démocratie, le capitalisme, le socialisme ou la monarchie. Il n’y a pas pire régime que celui qu’on nous impose par la force et auquel on ne peut échapper.
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