Livre de Tallemant des Réaux (Folio).
Nos livres d’histoire ont effacé l’humanité de ceux qui l’ont
faite. Ici, Henri IV est une sorte de Bill Clinton. Peu impressionnant ou
glorieux, mais attachant par ses faiblesses mêmes. Richelieu n’est pas Barack
Obama. C’est un inquiet qui conserve son pouvoir grâce à la chance
et à la manipulation des favoris royaux. Il a une forme de génie, mais plus d’intuition
que de calcul. Comme Henri IV, ses défauts le rendent sympathique. Ce qui n’est
pas le cas de Louis XIII. Il ne gouverne pas, il vit
pour son plaisir, en multipliant les favoris. Un éternel méchant enfant.
Mais ce ne sont pas ces grands personnages qui intéressent l’auteur.
Son sujet n’est pas les rois ou leurs proches, les grands seigneurs, sinon de
loin. Mais la classe qui vient juste au dessous. C’est un curieux petit monde
qui aime à se décrire. Et qui devient familier à force d’en lire les mémoires.
C’est celui dont parlent Mme de Sévigné, le cardinal de Retz ou le duc de Saint
Simon (ces deux derniers, cependant, traitent des grands). Ou, plus
exactement, il s’agit de sa jeunesse.
Curieusement on y parle de Molière, de Pascal ou de
Corneille comme on le ferait aujourd’hui. C'est-à-dire, en quelque-sorte, comme
de phénomènes. Mais, de l’extérieur. Ils sont en dehors de la société de l’auteur.
Elle ne cultive que le bel esprit. Pas le génie. Cette société est d’ailleurs
extraordinairement libre et remarquablement mobile. Il en faut peu pour faire
fortune, être anobli, et parvenir au fait de la puissance. Elle a peu de
tabous. Les prêtres sont paillards, l’homosexualité est commune, et les
femmes accumulent les amants. Je suis d’ailleurs surpris que l’on ait canonisé
Simone de Beauvoir plutôt que Ninon de L’Enclos. Car cette Ninon est un
personnage étonnant. Elle n’était pas jolie. Mais son esprit séduisait. Elle a
vécu à sa guise, en allant d’amant en amant. Sans même être intéressée par l’argent.
Le hasard voulant que ceux qu’elle aimait puissent satisfaire à ses besoins matériels… Beaucoup
de ces grands personnages passeraient aujourd’hui pour des fous. Car, alors, l’originalité
était une vertu ultime. Fut-ce un des grands moments de liberté de l’histoire de France,
que la fin du règne de Louis XIV a fait basculer dans les ténèbres de l’hypocrisie ?