Par nature la police de proximité place la police au service de l’ensemble des citoyens. Dans ses missions quotidiennes, le policier assure la défense des intérêts des plus faibles. Il connait la population dans toute sa diversité ; pour mieux la servir il doit prendre en compte tout son environnement sans chercher à le rendre conforme à un modèle défini d’en haut. La droite préfère les techniques de maintien de l’ordre pour imposer brutalement son modèle sécuritaire.
Lorsqu’il est nommé premier ministre Michel Rocard met en place une vraie politique de la Ville; un ministère de la ville est créé. Pour la police ce n’est pas sans effet, cela va de pair avec les contrats locaux de sécurité lancés par Gilbert Bonnemaison.
Dans ce dispositif les relations s’améliorent entre les différents métiers « de la ville ». C’est ainsi que l’Education Nationale sort de sa réserve idéologique, pour parler avec la police. Les jeunes turbulents et délinquants passent tous par l’école. Quand un gamin est ramassé dans la rue aux heures scolaires, heures qui sont de plus en plus difficiles à cerner, il est intéressant de se rapprocher des enseignants.
Des associations de quartiers se créent, souvent aidées par l’état. Leurs animateurs sont en rapport plus étroit encore avec « les cages d’escaliers », les endroits où tout commence… Nous avions besoin de créer des liens, non pas pour disposer de « balances » mais pour faire avec eux de la médiation. On voit alors apparaître les médiateurs de quartier.
Ces dispositifs, ces nouvelles relations entre ces métiers de terrain ont permis de maintenir une cohésion sociale, pour éviter des troubles plus importants encore que ceux qui ont marqué les banlieues. Combien de fois en période d’émeutes, au Val Fourré à Mantes la Jolie, aux Tarterets à Corbeil ou à Grigny nous avons pu éviter des drames, apaiser les tensions grâce à nos relations dans les quartiers. Cela ne pouvait pas se faire sans l’appui des CRS, mais c’est un autre volet de notre fonction.
Cette évolution devait tout naturellement aboutir à la police de proximité si décriée par la droite aujourd’hui.
En fonction au commissariat de Drancy je m’étais inspiré d’une circulaire de Michel Rocard du 23 février 1989 relative au renouveau du service public pour rédiger un tract intitulé « pour une police de proximité ». Je ne sais pourtant pas si j’en suis véritablement l’inventeur. J’étais alors adhérent au syndicat national des commissaires de police, syndicat minoritaire, dépendant de la puissante Fédération Autonome des Syndicats de Police. Son Secrétaire Général, Bernard Deleplace était une sorte de garantie pour la gauche.
En fait c’est Charles Pasqua qui reprend l’idée quand il devient Ministre de l’intérieur en 1990. Pour lui cela apparaît comme un mode de management, une manière de « résoudre les problèmes ». C’est intéressant d’observer que le concept est repris par la droite qui va le pourfendre dix années plus tard.
En 2002 le nouveau ministre de l’intérieur aiguillonné par le succès de Jean-Marie Lepen au premier tour des présidentielles reprend le thème de l’insécurité avec enthousiasme. Dans les « grands messes » qui réunissent les patrons de la police et de la gendarmerie, Nicolas Sarkozy fustige la police de proximité et la ridiculise. Il trouve les mots pour remobiliser la police qui avait mal digérer la mise en place d’une police de proximité qui n’avait pas donné les résultats attendus.
Dans la communication Nicolas Sarkozy exulte, en fait des tonnes sur l’incapacité de la gauche à lutter contre la délinquance. Avec lui on allait voir ce qu’on allait voir. Du coup le terme de police de proximité est banni de tous les vocabulaires. Jean Pierre Havrin, directeur départemental de la sécurité publique a Toulouse est ridiculisé en public devant les journalistes rassemblés : Il n’est plus question de « jouer à la ba-balle » avec les voyous. Rien n’est laissé au hasard, on a choisi l’endroit pour provoquer cet incident parce que Havrin est un ancien conseiller de Jean-Pierre Chevènement. Il a activement participé à la mise en place de la police de proximité. C’est bien sûr sur TF1 au vingt heures que la scène la scène se déroule et qu’on jette le discrédit sur un haut fonctionnaire de la police nationale. Après son départ de Toulouse dans les couloirs du ministère de l’intérieur Nicolas Sarkozy s’esclaffe en jetant : « il voulait faire jouer au ballon maintenant il s’occupe des sports dans la police nationale »
Michel Gaudin le Directeur Général de la Police Nationale organise des réunions de travail en présence des directeurs départementaux de la sécurité publique les plus exposés. Dans la discussion, imprudemment comme à mon habitude, je lance que l’incarcération des mineurs est inutile. Le Directeur général se renfrogne et tient des propos peu amènes à l’égard de ceux qui se révèlent être laxistes à l’égard des mineurs délinquants. Le ton est donné. Plus tard dans la même réunion une jeune commissaire de police, qui s’est exprimée dans le tour de table, insiste pour dire que la prison ne sert à rien pour les mineurs. Je lui fais les gros yeux, comme pour lui dire « tu n’as pas compris ? »Elle me répond silencieusement avec un grand sourire qui signifiait : »je m’exprime comme je l’entends ». De son côté le Directeur Général est passé au suivant, le visage fermé.
A ce moment j’ai ressenti toute la dureté qui caractériserait la politique du ministère de l’intérieur. Dans ces réunions, où l’obligation de résultat était constamment évoquée, on préparait la nouvelle législation sécuritaire avec son empilement de textes qui deviendrait un vrai casse-tête pour les magistrats et les policiers.
La police de proximité ne permet pas de limiter l’’examen de l’activité des services de police à l’examen des statistiques officielle « de l’état 4001 ». L’obligation de résultat vue par le nouveau ministre ne concernait que l’étude des chiffres de la délinquance, du nombre de faits constatés et de gardes à vue.
Pour beaucoup de commissaires de police leur carrière est en jeu. J’ai moi-même subi ces pressions et les tentations de manipulations existent. Elles ne sont pas sans effet sur les statistiques globales. Les contrôles qui sont effectués ne révèlent pas ces anomalies. Il n’existe pas d’appréciation qualitative. L’activité des services pourrait être appréciée selon l’adéquation de leur organisation et de leur fonctionnement aux besoins de la population. De même on pourrait apprécier la pertinence de la définition des objectifs par rapport aux réalités de la délinquance. On peut procéder par thème (Lutte contre la toxicomanie, violences intrafamiliales etc.). La hiérarchie procéderait donc à une évaluation des bilans en prenant également en compte les observations des élus locaux.
L’évaluation des résultats devrait être l’affaire de tous ; Sans entamer le temps de présence sur la voie publique il est indispensable de recueillir les observations des fonctionnaires sur l’organisation de leur travail comme sur la définition des objectifs. De même on devrait recueillir l’avis des policiers les plus exposés pour choisir les matériels de protection, les véhicules, l’armement…
La police de proximité paraissait être une évolution naturelle de l’organisation et du fonctionnement de la police nationale. Dans l’esprit des initiateurs il n’était pas question d’exclure la répression du dispositif de sécurité publique. Le contexte politique de 2002 et les résultats mitigés de la gauche dans la lutte contre l’insécurité ont permis à la nouvelle droite de s’engager résolument dans une politique sécuritaire qui la conduira à se rapprocher des thèses de l’extrême droite. En même temps le style personnel de Nicolas Sarkozy a sensiblement modifié le management de la police nationale et du corps préfectoral.
Les premières grandes réunions se tenaient en présence de l’épouse du ministre de l’intérieur. Je ressentais personnellement un certaine gêne en observant leur visage je remarquais que les hauts fonctionnaires et les vieux flics, qui ont tout vu n’étaient pas à l’aise. Seuls les habituels flagorneurs que l’on trouve dans ce genre de réunion affichaient ce regard illuminé et conquis pour indiquer qu’ils étaient prêts à adhérer.
J’avoue avoir été un peu ébranlé par ce nouveau style. Les premiers discours étaient séduisants. D’un côté on exigeait des résultats en indiquant que la police de proximité ça consistait à aller serrer la main de la boulangère à neuf heures du matin alors que les cambrioleurs cassaient sa boutique la nuit.
Par ailleurs la littérature française en prenait également pour son grade. « Vous vous rendez compte ! Dans certains concours de la fonction publique on interroge les candidats à l’oral sur la princesse de Clèves. Comment peut-on juger l’aptitude de quelqu’un à exercer dans la fonction publique en l’interrogeant sur la princesse de Clèves ! Il faut changer ces choses là. Quand on sait quelle a été l’influence de ce roman sur de grands auteurs comme Balzac on peut s’étonner de la réaction du futur Président de la République.