L'année passée représente-t-elle un tournant dans les affrontements qui structurent la société de l'information depuis l'apparition d'Internet ? Plusieurs évènements semblent l'indiquer. Le plus important est l'affaire Snowden. Le pouvoir de contrôle absolu du monde immatériel par les Etats-Unis est désormais remis en cause par les retombées diplomatiques de cette révélation en cascade. Nul ne peut désormais attribuer à une quelconque thèse du complot le dispositif de captation de l'information, assumé par la gouvernance américaine depuis plusieurs décennies. Le camp des démocraties s'est divisé sur cette question fondamentale. En Europe, l'Allemagne se démarque des autres membres de l'Union Européenne en plaçant le curseur au bon niveau du débat. L'enjeu principal vu de Berlin n'est pas l'échange d'informations sur le terrorisme mais la maîtrise stratégique de l'ensemble des flux informationnels. Contrairement à la France qui a privilégié l'échange d'informations sur le terrorisme (cf. les accords secrets entre DGSE et NSA), l'Allemagne moins exposée sur ce terrain a amené Washington à prendre un profil bas dans la polémique générée par l'affaire Snowden. Les récentes déclarations d'Obama sur une éventuelle interdiction formulée à la NSA en matière d'espionnage économique ne clôturent pas le débat. Il rebondit aux Etats-Unis mêmes : un article est paru le 30 octobre 2013 sur le site de la revue Foreign Policy interpelle Obama en dénonçant cette manœuvre de communication qui ne règle en rien, selon l'auteur, le problème sur le fond. Cette revue détenue par le Washington Post revendique le statut d'être le premier quotidien en ligne traitant des questions de politique étrangère et de sécurité nationale. Sa résonance n'est donc pas anodine.
L'affaire des armes chimiques syriennes a donné lieu à une démonstration peu convaincante de la pratique de la guerre de l'information par les autorités françaises. A cet échec par la démonstration de force s'est ajouté l'imbroglio diplomatique qui a résulté de la volteface de la Maison Blanche. Il a donné lieu à un renversement de rapports de force pour le moins spectaculaire. Le "mal" (Bachar El Assad) n'était plus le problème central. Quant aux forces du "bien" (les insurgés contre le régime syrien), elles n'étaient plus aussi fréquentables à cause de leurs divisions et des débordements sanguinaires des mouvements islamistes radicaux. La Russie de Poutine a su se repositionner très habilement dans ce nid de guêpes et tirer profit d'une posture de conciliation qui remet en perspective le bilan de l'affaire libyenne. Présentée comme un des actes majeurs de la politique étrangère de Nicolas Sarkozy, la guerre pour destituer Khadafi apparaît désormais comme une erreur géopolitique fondamentale. Elle n'a pas instauré la démocratie dans ce pays. La Lybie est désormais un non Etat. Cette situation est exploitée par les mouvances terroristes qui déstabilisent plusieurs pays de cette partie du monde. La guerre au Mali est une des conséquences de cette aventure militaire en Lybie qui a posteriori relève plus de l'opportunisme que la sagesse politique.
En France, deux affaires ressortent du lot par leur impact à moyen terme. Les mobilisations pour la "Manif pour tous" ont donné lieu à une évolution des armes de la guerre de l'information par le contenu. La relance de cette agitation informationnelle prévue en 2014 sera intéressante à suivre. Le fort semble avoir gagné (passage et application de la loi sur le mariage gay). Mais le faible est loin d'avoir dit son dernier mot. L'effet de catalyse en raté à l'automne dernier lors de la révolte des Bonnets rouges (malgré un recul du gouvernement sur l'écotaxe) reste une épée de Damoclès qui menace le gouvernement. Les deux élections à venir sont d'autant plus attendues qu'elles subiront le choc indirect de pressions informationnelles tous azimuts. A l'image de l'affaire Dieudonné où le faible bouscule les lignes du fort (la LICRA et la Ligue de Défense Juive ont été étrangement inefficaces dans ce combat) tandis que le fort tente une guerre judiciaire doublée d'une pratique de la censure qui risquent d'aboutir à un effet contraire. Comme le démontre la dernière vidéo postée par Dieudonné sur youtube, le faible a des armes de débordement (relance du débat sur les békés aux Antilles qui sont accusés d'accaparer la puissance économique de l'île). Ce n'est pas le cas du fort qui campe plutôt sur des positions de principe dont le caractère évident ne brise pas pour autant la dynamique souterraine de ce type d'offensives informationnelles. La vidéo postée au nom des anonymous est en revanche une manière beaucoup plus intelligente de poser le problème car elle montre les contradictions implicites du discours de Dieudonné, notamment à l’égard du nazisme. L’excuse d’être né après la seconde guerre mondiale n’est pas un argument mais une pirouette pour ne pas prendre position sur un des actes les plus abjects de l’histoire de l’humanité (les camps de concentration et d’extermination du Troisième Reich).
2013 n'est donc une année pas comme les autres. Une fois de plus, la réalité des faits s'impose à la société du spectacle. La pratique de la guerre de l'information n'est pas dominée par la suprématie des moyens financiers, matériels et médiatiques. Il s'agit d'abord et avant tout d'une question de stratégie. Et il reste beaucoup à écrire sur ce sujet.
Christian Harbulot