Lorsqu’arrive le printemps,
Il nous vient un désir de bonheur,
Un besoin d’épanouissement,
Une envie d’ivresse au cœur.
Je sortis. Une brise d’amour épandue
Et une rumeur gaie montaient de la rue
J’arrivai à la Seine.
Des bateaux filaient vers Suresnes.
Le pont de la Mouche était couvert de bourgeois
Car le premier soleil tire chacun de chez soi
Et tout le monde va, vient, cause avec le voisin.
C’était une voisine que j’avais,
Une vendeuse de magasin
À l’allure enlevée,
Une blonde mignonne et bouclée.
Sa poitrine gonflée
Provoquait une irrésistible envie
De mettre là une foule de baisers,
Pensez !
Dans sa prunelle, je vis
Le charme des tendresses dont je rêvais,
Le bonheur sans fin que je cherchais.
Quand j’allais l’aborder,
Un homme s’est approché :
« Dès le début de l’hiver,
Monsieur, votre médecin,
Vous prévient :
Mettez une écharpe et un gros pull-over.
Mais quand arrive le printemps
Avec son air tiède, amollissant,
C’est moi qui vous dis :
Prenez garde à l’amour !
Il est embusqué tout alentour ;
Il a préparé ses perfidies ;
À tous les coins, il vous guette ;
Toutes ses ruses sont prêtes,
Toutes ses armes aiguisées ;
Prenez garde à l’amour !...
Monsieur, prenez garde à l’amour !
Il est plus dangereux que l’otite
Le rhume, la bronchite,
Voire la pleurésie ! »
De ces paroles, je demeurais saisi.
L’homme poursuivit : « Oyez,
Monsieur !
Si dans un endroit dangereux,
Je vois qu’un homme va se noyer
Vais-je le laisser périr ?
Non. Mais, maintenant, vous allez mieux saisir :
L’année dernière,
À la même époque, je gagnais la rivière.
Il faisait un temps comme aujourd’hui.
J’avais envie
D’embrasser n’importe qui.
Je pris la Mouche pour Poissy.
Une jeune fille s’assit à mon côté
Je la contemplais.
Elle me regardait.
Il m’a semblé que nous nous connaissions
Suffisamment pour entamer la conversation.
Je lui causais.
Elle me grisait.
L’amour préparait ses rets.
Quand elle descendit.
Je l’ai suivie.
La douceur de l’air lui arrachait des soupirs.
Je lui proposais
D’aller
Au parc de loisirs.
Devant moi, elle gambadait
Et commençait à m’obséder.
Est-on bête, monsieur, par moments !
Puis elle chanta éperdument
Des airs d’opérettes
Puis la chanson Musette.
Oh, que cette musique m’a troublé la tête !
Monsieur, ne prenez jamais
Une femme qui chante Musette.
Jamais !
Ensuite, je lui ai saisi les mains lentement.
Nous nous regardâmes longuement.
Oh, son œil, comme il m’a envahi !
Il semblait plein de promesses, d’infini !
Après un quart d’heure,
Je fis asseoir la belle
Et m’agenouillais près d’elle.
Je lui ouvris mon cœur.
Elle parut étonnée.
J’ai senti qu’elle imaginait :
‘’Il se joue de moi. Eh bien, allons !’’
En amour, nous, les hommes,
Nous sommes toujours trop bons.
Les femmes, elles, sont des commerçantes !
Vous allez connaître plus tard ma tourmente.
Moi, je ne cherchais pas un corps.
Je voulais de la tendresse, encore et encore.
Pendant quelques jours,
Nous avons filé le parfait amour
Deux mois plus tard, nous étions mariés.
Et une semaine après,
Elle ne comprenait plus rien,
Ne savait plus rien.
Elle jacassait sans arrêt,
Confiait à la bonne nos secrets,
S’ébattait avec ma domesticité,
Racontait au concierge nos intimités,
Me débinait chez son médecin.
Elle appréciait tant les racontars crétins,
Se nourrissait d’avis si boiteux,
Accumulait tellement de préjugés douteux
Que j’en pleurais de découragement. »
Le bateau s’arrêtait.
La petite femme qui m’avait troublé
S’était levé et sauta sur le quai.
Je m’apprêtais à lui emboiter le pas
Quand mon voisin me saisit le bras :
-« Monsieur, n’y allez pas !
C’est un service que je vous rends là ! »