Quand des amis vous proposent de découvrir un livre, c’est l’occasion d’être surpris, de ne pas choisir et de sortir de vos critères de sélection habituels, sans attentes et c’est bien comme cela.
Alors, j’ai lu Immortelle randonnée.
Comme pour tout roman — là, c’est plutôt un récit —, les impressions sont à plusieurs niveaux. Au départ, on apprécie le style alerte, fluide, peut-être un peu trop, par moments à la limite de l’insipide, mais au moins, on termine le livre, on l’avale, un peu comme un vin trop léger qui ne reste pas en bouche, au risque de ne pas avoir envie de se resservir. C’est propre, c’est clair, structuré, organisé, mais… c’est plat.
Tout ce que Rufin aime ou déteste, sait déjà ou découvre en profondeur, est écrit sur le même niveau. Qu’il soit propre et rasé de frais ou qu’il sente le mâle qui n’a pas vu de salle de bain depuis trois jours de marche au soleil, qu’il traverse une zone industrielle malodorante ou qu’il parcoure les paysages des plus merveilleux, Rufin le diplomate ne nous enfonce pas dans l’humeur, ne nous fait pas décoller dans le sublime comme il ne nous fait pas souffrir dans la douleur du corps qui craque sous le poids du sac à dos ou des pieds qui hurlent.
En bon diplomate qui ne veut pas choquer son interlocuteur, il nous prévient de ce qu’on va lire (au cas où…) en titrant les chapitres : attention, voilà ce qui va se passer ! Mais aussi en nous prévenant encore, du genre : c’est là que j’ai fait une rencontre étonnante.
Non, monsieur Rufin, le lecteur n’est pas un idiot, prenez cela pour base d’écriture. Étonnez-le, coupez-lui le souffle, enchantez-le, pas avec des panneaux indicateurs préventifs, mais avec du rythme, de la sonorité, du relief !
Alors, le fond, ce fameux pèlerinage vers Saint-Jacques-de-Compostelle. Oui, moi qui n’en ai que la culture générale, les échos épars d’amis qui l’ont fréquenté, je le découvre, ou du moins, j’en découvre une facette. J’ai cheminé, sans souffrir ni sentir ou ressentir, avec ce pèlerin qui me fait plus penser à un bo-bo en balade qu’à un marcheur en recherche. Mais au moins, j’ai appris quelque chose. J’ai même envie de diriger la conversation vers le sujet la prochaine fois que je rencontrerai telle ou tel ami qui l’a emprunté à plusieurs reprises, pour aller plus loin, pour comprendre un peu plus, pour diversifier les impressions.
J’avais été attiré par l’allusion à Diderot sur la 4e de couverture. C’est vrai que Rufin donne son avis, sa vision du pèlerinage et de l’évolution de l’état du corps et de l’esprit au fil des jours, des kilomètres parcourus et des dépassements nécessaires à tout effort sur le long terme. Sa vision est intéressante, car elle, pour une fois, contraste avec le sacro-saint rapport à Dieu et l’ensemble des âmes bien-pensantes qui ne peuvent imaginer ce Chemin sans le relier totalement à la religion. Rufin n’exclut pas Dieu dans son raisonnement, il l’englobe pour mieux s’en écarter, mieux s’en défaire, car il n’en a pas besoin pour avancer, voire grandir sur le Chemin, ce serait même le contraire. Attacher le pèlerinage à la religion, c’est s’enfermer, s’empêcher de vraiment évoluer, se couper de l’opportunité de franchir le pas vers cet inconnu qui est en nous et rester dans un schéma établi à l’avance donc très loin de l’aventure. Connaître le parcours et la destination dès le départ augure d’un bien triste voyage. Il termine même en dénonçant le piège à touristes qu’est devenue l’étape finale, un peu comme Lourdes où le but est caché derrière les étals de souvenirs fabriqués en Chine dans des rues piétonnes et marchandes.
Ce qui m’a gêné, c’est la façon dont Rufin décrit ce monde du Chemin. Comme ces gens qui vivent pour la première fois une expérience et se transforment en professeur patenté : Le Jacquet ceci, le Jacquet cela. Non, monsieur Rufin, vous avez ressenti, expérimenté ceci ou cela, mais pas tous les pèlerins ! Il y a autant d’expériences que d’hommes sur le chemin. Vous parlez de modestie et d’humilité, commencez par en imprégner votre récit, c’est peut-être ainsi qu’on les ressentira.
Alors, pour résumer, ce petit guide du routard de Compostelles est intéressant, éveille l’envie d’en savoir un peu plus, c’est déjà pas mal. Pour le reste, je n’ai pas été emballé, vous l’avez compris.
La critique des médias classiques encense l’auteur et son livre… ce qui a pour effet d’éveiller ma méfiance, surtout quand les arguments reposent sur l’habit vert, le Goncourt et la carrière diplomatique de l’auteur.
Un dernier mot, une dernière note positive sur l’éclairage provoqué par l’auteur en signant chez Guérin, un petit éditeur, l’occasion d’aider l’édition indépendante.
Présentation de
l’éditeur :
Jean-Chistophe Rufin a suivi à pieds, sur plus de 800 km, le « Chemin du Nord » jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle. Beaucoup moins fréquenté que la voie habituelle des pèlerins,
cet itinéraire longe les côtes basque et cantabrique puis traverse les montagnes sauvages des Asturies et de Galice.
« Chaque fois que l’on m’a posé la question “ Pourquoi êtes-vous allé à Santiago ? ”, j’ai été bien en peine de répondre. Comment expliquer à ceux qui ne l’ont pas vécu que le
Chemin a pour effet sinon pour vertu de faire oublier les raisons qui ont amené à s’y engager ? On est parti, voilà tout. »
Galerie de portraits savoureux, divertissement philosophique sur le ton de Diderot, exercice d’autodérision plein d’humour et d’émerveillement, « Immortelle randonnée » se classe parmi
les grands récits de voyage littéraires.
On y retrouvera l’élégance du style de l’auteur du Grand Cœur et l’acuité de regard d’un homme engagé, porté par le goût des autres et de l’ailleurs.
L’auteur
Jean-Christophe Rufin, médecin, pionnier du mouvement humanitaire a été ambassadeur de France au Sénégal de 2007 à 2010. Il est l’auteur de romans désormais classiques tels que
« L’Abyssin », « Globalia », « Rouge Brésil », prix Goncourt 2001. Il est membre de l’Académie française depuis 2008.
Dominique Lin