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Jean-Christophe Rufin replonge dans l’Histoire

Par Pmalgachie @pmalgachie
Jean-Christophe Rufin replonge dans l’Histoire Le roman romanesque, facture classique, grand moment d’évasion prolongé jusqu’à la dernière page, a de beaux jours devant lui. La matière disponible est infinie : il suffit de se pencher pour ramasser des sujets. Dans l’Histoire, par exemple, comme l’a déjà fait Jean-Christophe Rufin en écrivant L’Abyssin et sa suite, Sauver Ispahan, ainsi que Rouge Brésil. Il récidive, sans même avoir eu besoin de se pencher. Il n’avait qu’à lever les yeux, dans son enfance à Bourges, vers le palais de Jacques Cœur. Un personnage réel, donc, dans un 15e siècle dont il fut un acteur de premier plan. Ou plutôt de second plan, dans l’ombre de Charles VII à qui il permit de renforcer son pouvoir et de terminer la guerre de Cent ans, entre autres faits marquants. Jean-Christophe Rufin l’imagine rédigeant ses mémoires sur l’île de Chios où il termina probablement ses jours. Jacques Cœur est d’abord un négociant qui fait peu de cas de sa fortune, pourtant considérable, et qui, depuis longtemps, est animé du rêve de l’Orient. Il a sept ans quand son père, pelletier, achète un léopard venu d’Arabie. Le jaillissement fauve, hors du sac où il était enfermé, fait entrevoir à l’enfant un autre monde, celui du désert et des grands espaces qu’il n’aura de cesse de visiter lui-même. Avant d’en arriver là, le romancier lui prête les étapes d’une initiation trop systématique pour être tout à fait crédible. C’est le défaut le plus visible d’un livre qui ne manque pas de qualités : chaque étape de l’autobiographie imaginaire est marquée avec insistance dans un découpage auquel on reste parfois extérieur. En entremêlant davantage les éléments du récit, celui-ci aurait mieux résonné en profondeur. Jean-Christophe Rufin n’a pas tort de dire dans sa postface qu’il ne prétend pas égaler le talent de Marguerite Yourcenar dans les Mémoires d’Hadrien, le livre qu’il s’est donné comme modèle pour rédiger celui-ci. Ceci étant dit, il fallait quand même donner un peu de fraîcheur à un Moyen Age dont nous possédons souvent une vision assez caricaturale, malgré les nombreuses études et œuvres littéraires qui lui ont été consacré. Sur ce plan, Le grand Cœur est une complète réussite. Alors que la guerre s’achève à peine, dans le souvenir encore vif de Jeanne d’Arc pour certains qui l’ont connue, le commerce passe au premier plan et se joue des frontières. La mondialisation, ainsi qu’on le dirait aujourd’hui, est déjà en place, et les mécanismes financiers qui l’accompagnent. Le pape n’est pas le dernier intéressé, les règles sont floues et il suffit de les utiliser à son profit pour faire fortune. Jacques Cœur est aux premières loges, parce qu’il l’a voulu. Mais l’idée de possession l’intéresse davantage que la possession elle-même. Et sa grande richesse finit par se retourner contre lui, ce qui l’oblige à fuir en même temps qu’il se sent enfin libre de toute contrainte. Jacques Cœur est une personnalité complexe. Ses rapports avec les femmes ne la simplifient pas. En lui offrant une vie par-delà ce qu’on connaît vraiment de lui, Jean-Christophe Rufin en fait un héros de belle dimension, attachant jusque dans ses défauts – qu’il souligne d’ailleurs lui-même à de multiples reprises. Jacques Cœur sort grandi, aux yeux des lecteurs, d’aventures peu banales dans un monde qui ressemble au nôtre davantage qu’on le pensait.

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