Quel rapport y a-t-il entre la gravitation, les fourmis de feu et les entreprises? C’est ce que Robert Branche nous propose de découvrir, au terme de quelques 250 pages passionnantes: Les radeaux de feu. Organismes sociaux les plus aboutis de l’évolution, les entreprises vivent en effet une révolution qui risque de menacer leur fragile équilibre. Il appartient à leurs cadres de comprendre comment agir pour le préserver…
Pour étayer son propos, Robert Branche commence par poser le cadre de l’évolution, de manière assez subtile, comme un emboîtement de systèmes semblables à des poupées russes, et dont la cohésion est assurée à l’aide de « colles » et de « graisses », à chaque échelle: système minéral issu du big-bang, système végétal correspondant à l’apparition de la vie sur terre, tribus animales, sociétés humaines.
Ces mécanismes de « colles » et de « graisses » permettent de respecter les règles qui assurent au niveau supérieur la possibilité de se développer sur la base du niveau inférieur. Ces règles sont au nombre de 3:
- Le caractère irréversible de l’accroissement de l’incertitude
- La cohabitation entre mouvement permanent et stabilité structurelle
- L’importance de la puissance du collectif
La première partie expose ces emboîtements, et constitue à elle seule 40% de l’ouvrage. Cette partie mériterait d’ailleurs un approfondissement à elle seule; son élégance et sa simplicité conceptuelle sont assez remarquables forment un tout qui pourrait facilement être dissocié du reste de l’ouvrage.
La seconde partie place l’entreprise comme une sorte de cinquième étape de l’évolution, un cinquième système, encore dans son très jeune âge, et donc encore en devenir. Or le contexte dans lequel se développe se cinquième « ordre » évolue lui-même: la mondialisation, les technologies, le poids croissant de l’information et de l’immatériel, imposent aux entreprises de rapidement pouvoir s’adapter, tout comme certaines espèces animales – en particulier les fourmis de feu – s’adaptent à des conditions changeantes. Cette capacité d’adaptation suppose une capacité de résilience, qui, dans nos sociétés humaines, n’est pas si simple à mettre en oeuvre.
C’est la raison pour laquelle la troisième partie est consacrée à l’éducation de cadres et de dirigeants aux conditions qui permettent l’émergence de la résilience souhaitée et décrite préalablement, au renforcement des compétences nécessaires. Robert Branche qualifie ces compétences d’une jolie formule: « le management par émergence ». Difficile de résumer ce concept en quelques lignes. Disons qu’il s’agit d’un subtil mélange entre lâcher-prise, vision stratégique, acceptation de l’incertitude et capacité à transformer sans radicalement changer. L’entreprise résiliente doit, paradoxalement, garder le cap: elle se réinvente pour s’adapter, mais ne change pas son ADN, afin de préserver la cohérence de ses équipes.
Le concept est plaisant, et j’avoue avoir pensé de nombreuses fois à une entreprise où j’ai passé près du tiers de ma vie, en parcourant cette troisième partie, même si l’argumentaire développé par Robert Branche s’appuie à de nombreuses occasions sur d’autres entreprises, et particulièrement sur L’Oréal, où l’auteur a passé quelques années au début de son parcours professionnel.
C’est peut-être du côté de ces exemples, finalement, que ce livre pêche: si le discours est séduisant, les exemples cités sont, dans leur quasi-totalité, tirés d’entreprises mondiales, de grands comptes présents à l’international et sur plusieurs continents. Les règles établies pour de telles sociétés conservent-elles toute leur validité et leur légitimité à l’échelle d’une PME au marché très localisé, comme celle que je dirige? La résilience d’une entreprise de 20 ou de 30 personnes fonctionne-t-elle de la même manière que celle d’un groupe de plusieurs dizaines de milliers de salariés? Le lâcher-prise est-il toujours de mise? Personnellement, j’en doute. Peut-être serait-ce là l’occasion de penser à une déclinaison de ce livre, pour les plus petits radeaux…
Les radeaux de feu, diriger par émergence, 261 pages, publié aux Editions du Palio