A l’heure où François Hollande adressait ses meilleurs vœux au MEDEF et où Manuel Valls faisait des bisous sous le gui aux électeurs du FN en s’inquiétant de la concurrence des quenelliers, mes commensaux et moi-même finissions l’année au pineau des Charentes. Je n’ai donc pas pu assister aux discours des uns et des autres et ça tombe bien parce que je m’en tamponnais le coquillard avec une ferveur qu’on ne retrouve guère que chez les habitués de la messe de Noël à St Nicolas du Chardonnet.
Sans trop me mouiller, je suis quasi certain qu’il fut question de « crise historique », de « détermination » à changer tout ce merdier, des « forces vives » de cette nation aussi amorphe qu’un ours bipolaire en phase dépressive et hibernatoire et aussi désemparée que le nutritionniste du Président; de même, du côté du ministère de l’Intérieur, on a sans doute dressé une comptabilité exhaustive des incivilités et des incendies de voiture, charmante coutume que je ne cesserai jamais d’encourager aussi longtemps qu’on vivra sous la dictature des cercueils à roulettes. Amis incendiaires, si vous pouviez également avoir l’extrême l’amabilité de réduire en cendres les banques et de taguer « Mort aux vaches » sur les hideux bureaux de la place Beauvau (pour la beauté du slogan et du calembour), vous auriez droit à ma reconnaissance éternelle; et l’année démarrerait vraiment sous les meilleurs auspices.
Hélas, depuis que Charles IX a eu l’idée saugrenue de faire commencer l’année le premier janvier, alors qu’on se gèle les roustons et alors qu’on n’a pas fini d’absorber les excès de l’anniversaire de Jésus, tout va de mal en pis. Qu’est-ce que ça pouvait lui faire, à Charlie, que la moitié du pays se la colle début mars ou à Pâques ou n’importe quel autre jour et que les voitures brûlent par centaines quatre fois dans l’année?
Bref, attendons quelque peu avant de nous embrouiller avec la hausse de la TVA, du SMIC, du RSA, et les chutes respectives de Hollande dans les sondages et de Schumacher dans les alpages. Mais puisque la TVA sur le livre va baisser, enfin une bonne nouvelle, empruntons une rubrique de notre estimé professeur Blequin et causons bouquins.
Plus important que l’anniversaire de l’escroc cité plus haut, dans moins d’une semaine, Stephen Hawking fêtera ses soixante et onze ans, aussi bien dans le calendrier julien que dans le calendrier grégorien, comme quoi Charles IX s’est cassé le cul pour rien puisqu’on finit toujours par prendre un an de plus. Je viens de finir de lire son autobiographie, La Brève Histoire de Ma Vie. (paraphrasé d’après son best-seller Une brève histoire du temps)
J’aime beaucoup Stephen Hawking. Un garçon qui démontre que l’existence de Dieu, qu’elle soit avérée ou non, n’a rigoureusement aucun intérêt, et qui participe au boycott des universitaires à l’endroit d’Israël pour protester contre le sort fait à la Palestine ne peut être un mauvais bougre. En plus, il ne fera jamais de quenelles vu qu’il ne peut pas bouger le moindre membre. Dans cette autobiographie très courte, l’astrophysicien nous raconte vite fait son enfance et son adolescence, puis comment il a pu mener une carrière scientifique aussi brillante en dépit de la maladie de Charcot qui le paralyse depuis un demi-siècle, le tout avec modestie et humour. Alors que Claude Allègre, non content d’être un piètre scientifique, est un monument de forfanterie confit de lui-même (t’as qu’à voir comme ça l’a fait grossir) sans la moindre autodérision.
Et comme M. Hawking s’est donné pour mission de faire comprendre les lois de l’Univers au croquant moyen, il revient en outre sur ses découvertes sur les trous noirs, sur l’apport de la physique quantique à la relativité générale, et si tu lis bien jusqu’au bout tu sauras s’il est oui ou non possible de voyager dans le temps. Tu verras, c’est vachement plus intéressant qu’une promesse fumeuse de créer des boulots pourris contre une baisse de charges.
Le deuxième opus dont je voulais parler, c’est Quand j’étais nietzschéen, d’Alexandre Lacroix. L’auteur est rédacteur en chef de Philosophie Magazine: autant dire que j’ai ouvert le livre avec une certaine défiance, attendu que la seule fois où j’ai lu ce canard, j’ai eu envie de me pendre avec mes propres intestins tellement je me suis ennuyé. Je craignais fort que M. Lacroix soit un fieffé ruffian à la Luc Ferry, un philosophe de bénitier qui cherche encore où est le bien et le mal, qui se triture la nouille en manipulant des concepts aussi vides que le cœur d’un ministre de l’Intérieur, à l’instar des Bogdanov qui cherchent Dieu dans le Big Bang avec la même inconséquence que l’électeur qui croit voter à gauche en donnant son suffrage au PS.
Fort heureusement, il ne faut pas se fier à l’infecte couverture du livre. Alexandre Lacroix était dans son adolescence parisienne un vrai petit con nietzschéen, avec un sens consommé de la cruauté, de l’humour, de l’anticonformisme et de la tragédie ( au sens grec, hein, pas au sens du drame pseudo-romantique qui fait la joie de la « ménagère de moins de 50 ans » qu’on achève d’abrutir avec des feuilletons débiles). L’ami Friedrich avait coutume de dire qu’il ne pouvait accorder du crédit qu’à un philosophe qui pouvait fournir un exemple, et Lacroix, quand il conte les prémisses de sa vie d’adulte, peut se targuer d’avoir vécu en philosophe. Je commence même à penser que l’adolescence est le moment idéal pour lire Nietzsche, s’en imprégner à fond, puis pour devenir enfin son propre maître à penser.
Tu vas dire, chère lectrice cher lecteur, mais qu’est-ce qu’il nous emmerde celui-là avec sa physique et sa philo un 2 janvier alors qu’on n’a pas encore vomi tout notre fois gras de l’avant-veille. Vous saurez, mes petits lapins, que pour l’astrophysicien d’Oxford comme pour le philosophe de Röcken, l’une des questions essentielles de la vie c’est le temps. Et même si les scientifiques n’aiment pas trop ça, en cherchant les connexions entre les deux disciplines, tu pourrais en tirer des enseignements pour passer une heureuse année 2014 et quelques autres après.
Je ne te présente pas mes vœux maintenant. J’attends le printemps.