Parce que j'ai vu mon grand'père maternel se métamorphoser selon ses fonctions !
D'un naturel humble peut-être à cause de la personnalité bien affirmée de ma grand'mère, sans doute en raison de son manque d'instruction-ni lire, ni écrire( il savait tout juste compter jusqu'à 20 le maximum mensuel du nombre des peaux de taupe qu'il avait à vendre pour payer son tabac) Il se révélait en deux occasions : la pêche, la chasse. A chaque fois il devenait un autre homme en raison de l'habit qu'il enfilait ; l'habit métamorphosait l'homme.
Il enfilait un pantalon de grosse toile vaguement verdâtre. On gagnait le bateau à fond plat très stable avec en son milieu un réservoir étanche, côté bbateau, percé de trous au fond et laissant entrer l'eau. Il ajustait sa casquette; il était devenu seul maître à bord : son attitude s'en était modifiée. Il vérifiait le bon ancrage des rames, crachait dans ses mains et...On partait.
Mon grand'père tournait le dos au but de la traversée, et, sans se retourner une seule fois, arrivait
pile au point visé. Il équilibrait l'embarcation, les deux jambes écartées, et, à l'aide d'une longue gaffe harponnait la nasse qui sommeillant sur son fond de sable; c'était souvent l'émerveillement : anguilles, carpes, brochets, tanches qui allaient s'ébrouer dans le "vivier" décrit. On allait de nasse en nasse sans une erreur, sans une hésitation.A bien réfléchir c'était un vrai miracle ce "souvenir" infaillible! Pour moi garçon de 11 ans des heures inoubliables qui donnaient du sel à la vie.
La chasse, cause d'une autre métamorphose avec deux versions : l'une de routine, la seconde de "gala". Je préférais la 1ère dans sa grande modestie.Sans tenue spéciale, nous partions pour une surveillance de la forêt : la tournée des pièges à renard, à blaireau, à putois, les "nuisibles" de l'époque; quelques souvenirs sanglants. Si un chasse de "gala" était programmée; il relevait les "passes" du gibier, ces empreintes qui trahissaient la nature de la bête, sanglier, chevreuil, sa direction de marche, la date de sa transhumance, tout renseignement pour orienter le dispositif de la prochaine "battue de gala", celle qui rréunirait au château les grans de ce monde, sur invitation du Comte de C...
Les battues me sont toujours apparues comme des prétextes aux ripailles qui suivaient. Jour de battues : mon grand'père mettait un costume de toile vaguement verdâtre, un baudrier agrémenté d'un écusson oval en cuivre jaune frappé du mot LOI, une casquette rigide ornée également d'un écusson, un cor de chasse. Des guêtres enserraient le bas de la jambe. Il était devenu le commandant incontesté de la battue. Il plaçait les tireurs- le Comte comme les grands du jour- sans contestation possible; rejoignait les "rabatteurs", s'appropriait les laisses de la meute impatiente et muette.
D'un retentissant coup de trompe, il lançait la battue. Napoléon à Austerlitz ne devait pas être plus fier.
Une malheureuse fois il consentit à m'emmener sur ses talons. Il devait récupérer une biche foudroyée de l'arrière train. Entendant notre approche elle eut un soubresaut impuissant. Alors elle leva la tête, nous regardant pitoyablement et se mit à pleurer.
Depuis je hais la chasse et regrette l'inconscience sauvage du chasseur.
l'Ancien
[première publication en juin 2006]