Pendant les vingt dernières années, de nombreux scandales impliquant les chaebols coréens sont apparus. Ces articles et reportages de presse ont terni l’image du le gouvernement coréen sur la scène internationale. Son manque de transparence et les aides exorbitantes accordées aux entreprises les plus puissantes du pays sont les principales critiques faites envers ce pays alors en pleine explosion économique.
Sensible aux diverses critiques émises à l’encontre des chaebols, le groupe LG a su rester discret et forger, dans l’ombre, sa réforme, actuelle clé de son succès. Le groupe LG est actuellement considéré comme le troisième chaebol de Corée du Sud derrière Samsung et Hyundai.
Et pourtant, si ce chaebol n’a pas la notoriété de Samsung à l’international, il pourrait être la meilleure arme du gouvernement coréen pour l’amélioration de son image à l’international.
Des réformes structurelles nécessaires :
En réponse aux critiques sur le manque de transparence des chaebols coréens, le groupe décide en 2003 de créer la société « LG Corp » qui servira à diriger et contrôler les investissements faits dans les filiales du groupe. Ce tournant stratégique montre la volonté du groupe de s’affranchir du modèle historique du chaebol. Le groupe n’est alors plus seulement contrôlé par la famille Koo ; plus de pouvoirs de décisions sont donnés aux petits actionnaires, notamment pour la filiale LG électronique. Les transferts de fonds d’une société à une autre sont aussi nettement plus contrôlés par la holding nouvellement créée.
Depuis la création de LG Corp, l’influence de la famille laisse place petit à petit à une gouvernance plus occidentale et basée sur les nouveaux talents internationaux. En parallèle de cette réforme structurelle, le groupe réduit progressivement les liens politiques qu’il entretenait historiquement avec le gouvernement coréen. Ces changements de gouvernance et de structure permettent au groupe de gagner une indépendance aussi bien économique que géographique.
La restructuration du groupe conduit à une confiance accrue des marchés impliquant des levées de fonds moins chères et plus aisées. Cette indépendance économique permet ainsi au groupe de ne plus subir les pressions du gouvernement pour la localisation des emplois ou de la recherche.
Si le pouvoir exécutif du groupe reste toujours basé à Seoul pour des raisons aussi bien politiques qu’historiques, LG ne néglige pas pour autant les compétences que le groupe peut trouver à l’international. Le groupe est très actif dans le recrutement d’ingénieurs en R&D ou encore d’experts en marketing et/ou management issus de cultures diverses.
Ce dernier point est très important pour le rayonnement et le développement de l’économie coréenne à l’international, la principale critique envers les chaebols restant leur inertie. LG est une fois de plus militant du changement et de l’innovation.
Une implication dans l’économie des marchés cibles :
Longtemps dans l’ombre du géant Samsung sur la scène internationale, cette restructuration permet au groupe de gagner en influence. La stratégie de LG intègre avec intelligence les qualités et faiblesses de chaque marché non coréen du groupe.
Si l’on prend l’exemple de « LG Chem », filiale spécialisée en chimie et nouveaux matériaux qui fournit le groupe sur les technologies LCD ou 3D, on peut comprendre comment LG s’internationalise. La filiale, connue pour ses prouesses technologiques sur les écrans LCD et 3D et plus récemment OLED vient de prendre le leadership sur le marché des batteries lithium pour voitures électriques ou hybrides. Cette victoire sur le marché des batteries est représentative de la stratégie de LG pour la conquête de nouveaux marchés technologiques.
Le groupe a commencé en amont, avec la création de pôles de recherche, tout en débauchant les meilleurs ingénieurs de la Silicon Valley. Le développement de ces pôles permet à la marque de créer des partenariats de recherche avec de grands groupes comme General Motors. Ces partenariats conduisent à une valorisation de l’image du groupe sur place, renforcée notamment par de nombreux prix d’innovation gagnés.
LG comprend rapidement que s’investir dans l’économie du pays permet des partenariats et la conquête de marchés qu’une entreprise complètement externe n’aurait pu obtenir. Le groupe a obtenu récemment un partenariat exclusif avec GM pour l’exploitation des batteries sur les marques du groupe. Cette reconnaissance internationale permet ensuite au groupe de vendre facilement la technologie en Chine et en Corée. Il est intéressant de constater qu’auparavant le groupe aurait eu une stratégie complètement opposée en développant les produits à l’échelle locale pour le vendre à l’international.
Une stratégie de volume sur les marchés émergents :
Si cette politique d’investissement dans l’économie et la vie locale du marché cible est une technique validée dans les pays développés, elle a aussi fait ses preuves différemment sur le marché indien, cible à long terme du groupe LG.
Pionnier sur ce marché émergent, le groupe a su s’imposer grâce à une démarche d’intelligence culturelle. Il n’investit que peu ou pas dans la recherche en Inde. Dans un premier temps, LG ne joue pas sur la valeur ajoutée du produit ; il propose ses produits à des prix indexés sur le coût de la vie en Inde. Les produits se sont donc très bien vendus en Inde car ils ont une image de qualité à moindre coût. Le groupe améliore dans un premier temps sa popularité locale avant de faire des profits conséquents.
Le potentiel d’un marché comme l’Inde apportera un retour sur investissement dans les prochaines années. Cette stratégie lui permet de prendre part au quotidien de la population et donc de s’imposer plus tard comme leader en Inde sur des secteurs stratégiques tel que l’électroménager.
Le groupe a su prendre parti du meilleur des deux cultures en bénéficiant de l’intelligence des ingénieurs indiens pour adapter les produits au marché, puis de la rigueur de l’esprit coréen pour l’exécution. Les usines implantées en Inde pour le marché indien sont semblables à celles implantées en Corée ; LG apporte donc une partie de la culture coréenne sans pour autant négliger la culture locale. Il intervient dès lors dans tous les moments clé du quotidien, du travail jusqu'à la maison et assoit ainsi son influence sur la population.
La stratégie, axée sur la conquête du quotidien plus que sur le profit dans les pays émergents, permet au gouvernement coréen de rayonner sur une partie très prometteuse de l’économie mondiale. L’intégration du chaebol coréen à tous les échelons de la vie locale peut être envisagée comme un atout de soft power pour l’Etat de Corée du sud.
Ainsi, même si LG tend à s’effacer de la scène politique coréenne, le groupe ne reçoit pas pour autant moins de soutien que Samsung. On a pu observer ce point récemment avec l’appui du gouvernement au groupe LG pour la création des premiers grands écrans flexibles dits OLED.
LG arrive donc petit à petit à repenser complètement le modèle du chaebol coréen avec de fortes implications locales. Ce renouveau permet d’assurer une pérennité dans le développement international de la marque. La conquête de nouveaux marchés internationaux sur des produits innovants montre que l’inertie des chaebols est simplement structurelle.
Cette réforme permet au groupe un détachement progressif du résultat vis-à-vis de l’économie coréenne.
LG prend patiemment mais progressivement part à la mondialisation de l’économie.
Un bémol est tout de même nécessaire, car si LG clame haut et fort son indépendance vis-à-vis du gouvernement, des efforts restent à faire au niveau de la gouvernance. La famille Koo bénéficie encore d’une influence certaine dans le groupe, notamment dû aux nombreuses participations de la famille dans les différentes filiales du conglomérat. Néanmoins, LG est à l’heure actuelle le chaebol ayant engagé le plus de réformes structurelles et présentant la structure la plus transparente. Ce groupe reste encore aujourd’hui le seul chaebol ayant adopté l’anglais comme langue de travail.
Enfin, l’implantation du groupe dans les pays émergents relativement proches de la Corée permet à l’Etat, via le groupe LG, d’exporter des éléments de sa culture.
Kevin Caron
Bibliographie:
- A bumpier but freer road , The Economist, 30 Septembre 2010
- From top to bottom, The Economist. 3 Juin 2006
- LG vs Samsung, Looking Good ?, The Economist. 22 janvier 2009
- LG Display to develop 60-inch flexible OLED, The Korea Herald, 11 Juillet 2012
- Ravi BALAKRISHNAN, Moinak MITRAK, Amit BAPNA. Korea's competing Chaebols: How Samsung and LG are finding their way in India, The Economic Times, 9 octobre 2013
- Chana R. SCHOENBERGER. Child of the Chaebol, 1 fevrier 2009
- LG Chem's Lithium Polymer Battery Sweeps the EV Market, Korea It Times, 24 fevrier 2010
- Jack KIM. Analysis: South Korea's unloved chaebol, Reuters, 5 avril 2012
- GHOSAL, SUMANTRA, SULL, DONALD. The courage to dream: MANAGEMENT THE KOREAN CHAEBOL”, Financial Times, 2 Avril 1998. (Disponible sur http://www.donsull.com).