Une partie de la gauche s'est saisie du sujet, à juste titre: la TVA est l'impôt le moins redistributif, c'est-à-dire le plus injuste.
Macro-économiquement, la TVA représente près de la moitié des recettes fiscales de l'Etat: 136 milliards d'euros prévus fin 2013, sur 287 milliards de recettes. En 2012, elle atteignait 133 milliards d'euros de recettes; pour monter à 139 milliards prévus en 2014. Sur trois ans, donc, le rendement de cet impôt aurait cru de 6 milliards.
En 2011, Nicolas Sarkozy avait fait voter une hausse du taux général (de 19,6% à 21,2%), soit 11 milliards d'euros d'augmentation estimée. Elle devait entrer en vigueur au 1er octobre 2012. Une hausse (ou une baisse) du taux général a un impact assez direct sur les prix, ... puisqu'elle est générale.
Cette hausse a été annulée par François Hollande dans la loi de finances rectificatives de juillet 2012. Mais quatre mois plus tard, pour financer une partie du Crédit d'Impôt Compétitivité Emploi, l'équipe Hollande/Ayrault a fait voter deux modifications de la TVA pour 2014: un relèvement, sauf exceptions, du taux réduit de 7 à 10%; et un autre du taux général de 19,6 à 20%.
Hollande a ainsi commis une belle erreur politique, presque surprenante. Il a voulu qu'une nouvelle exonération de charge pour les entreprises (en l'occurrence d'impôt) soit financée partiellement ... par une hausse de TVA. Imaginez que le CICE ait été financé par la création d'un autre tranche supplémentaire de l'impôt sur le revenu. L'histoire politique de cette affaire aurait été bien différente. A l'inverse, le pays se rappellera longtemps cette "hausse de la TVA pour financer les entreprises" (titre du Monde du 30 décembre).
Premier janvier oblige, l'énumération des hausses de tarifs concernés est impressionnante: transports publics (par exemple, +1,5% en Ile-de-France), des travaux à domicile, la restauration, l'hôtellerie, les médicaments non remboursables, le courrier, les musées, le bois de chauffage, etc...
Mais quel est l'impact réel pour les ménages, et surtout les plus modestes ? Est-ce ce fameux 400 euros annuels (voire 450 euros dans un premier argumentaire) brandi par Jean-Luc Melenchon et quelques autres pour "une famille de 4 personnes" ? Ce dernier chiffrage, on l'a compris, est une simple division arithmétique des recettes espérées de ces relèvements (7 milliards), par la population, ce qui donne environ 100 euros par mois.
Sans davantage de recul, le slogan est devenu: "la facture d'une famille de 4 va augmenter de 400 euros."
Voyons donc, maintenant que la plupart des hausses de prix ont été annoncées, que de nombreuses études macro-économiques et prévisions officielles affinées, si l'argument tient (encore) la route.
1. Les précédentes études montraient qu'une modification de TVA se répercutait à 80% sur les prix. Mais c'est la première fois en trente ans que la TVA augmente surtout et autant... pour l'un de ses taux réduits et non sur son taux général. Or la différence n'est pas neutre. Dans le détail, la hausse du taux normal de TVA (qui est très faible: 0,4 point) concerne 55% des biens de l'indice des prix de l'Insee et un quart des services. Elle devrait rapporter 2,6 milliards d'euros. Et le relèvement du taux réduit de 7 à 10% quelque 4 milliards d'euros.
2. Le 19 décembre dernier, l'INSEE a tenté d'évaluer la hausse des prix à cause de ces relèvements de TVA (+0,4 point sur 55% des biens et 25% des services; +3 points sur les secteurs à taux réduits). Résultat, "Si les entreprises répercutaient le changement des taux de TVA intégralement dans les prix", résument les Echos ce 31 décembre, alors l’impact serait « légèrement inférieur à 0,6 point d’inflation en janvier 2014 ».
3. Pour 2014, l'inflation est finalement prévue à 1,4% par le gouvernement (dans la loi de finances), contre 0,9% estimé en 2013. Il y a un an, quand les hausses de TVA avaient été décidées dans leurs grandes lignes, les prévisions d'inflation étaient plus élevées: 1,3% dès 2013, puis 1,75% en 2014. Deux autres évaluations externes sont concordantes: le FMI table sur une hausse de l'inflation de 0,5 point; la Commission européenne de 0,4 point; en revanche l'OCDE ne prévoit que +0,2 point d'inflation supplémentaire.
En résumé, l'impact de ces hausses de TVA sur les prix aux consommateurs est évalué à 0,4 point en moyenne l'an prochain (i.e. deux évaluations à +0,5; une à +0,4; une à +0,2 point). Autrement dit, pour une famille dépensant dix mille euros par an en biens et services, l'augmentation de prix la concernant serait de 40 euros.
4. D'après la Banque de France, cet ajustement des prix "devrait s'étendre au maximum sur un trimestre et se concentrer sur le mois de janvier". L'inflation est prévue à 1,1% à fin juin seulement.
5. Nombre d'entreprises ont en effet prévenu qu'elles ne répercuteraient pas, contrairement à certaines simulations médiatiques ou politiques, ces hausses de TVA. Pierre Moscovici a invoqué un "engagement civique ". On mesure là toute la schizophrénie du discours officiel: primo, cette hausse de la TVA vise à financer une baisse des charges des entreprises, mais le ministre espère que ces dernières la compensent sur leurs marges; un vrai jeu à somme nulle ? Secundo, une répercussion de cette hausse de TVA sur les prix aux consommateurs ne serait pas "civique". Pourquoi donc l'avoir décidé ?
6. Plus sérieusement, il y a plusieurs facteurs conjoncturels et structurels pour expliquer que les hausses de TVA ne se répercutent pas dans les secteurs soumis à une forte pression concurrentielle (la téléphonie) ou une consommation déprimée, les prix ont de belles chances de ne pas bouger: Carrefour, Intermarché, Casino, Leclerc l'ont confirmé (sauf sur les boissons énergisantes): "La première enseigne française n’avait pas le choix puisque son concurrent direct, Leclerc, avait annoncé dès le 11 décembre qu’il allait « différer » la hausse de la TVA" rapportaient les Echos ce 31 décembre 2013. "Sans surprise, dans un marché aussi concurrentiel, Intermarché, Casino et les autres vont emboîter le pas." Même pour le non-alimentaire (électro-ménager, habillement, téléphonie mobile), les principales enseignes commerciales ont fait savoir qu'elles ne bougeraient pas leur prix. Autre facteur "déflationniste", le poids des soldes et promotions dans le chiffre d'affaires de certaines filières: pour l'habillement, il serait de 40% ! Pour les services d'abonnement (télévision, télécom), une modification tarifaire autorise désormais le client à quitter son abonnement sans attendre l'échéance.
7. Au final, l'argument initial - une augmentation des prix de 100 euros par an et par Français - est faux. La TVA augmente, mais d'autres facteurs sont à l'oeuvre pour en limiter l'impact sur les prix.
Si les hausses de TVA n'ont qu'un impact quasi nul sur les prix, sont-elles pour autant justes ? Non, au contraire. Le gouvernement est passé à côté d'une occasion de revaloriser le pouvoir d'achat des ménages modestes.
Au 1er janvier, le SMIC est relevé, sans coup de pouce, de 1,1%.
Le Monde/Ministère des finances
Lire aussi:- la loi de finances et ses documents annexes.
- Les prévisions d'inflation de l'INSEE
- "La TVA augmente pour financer la baisse des charges des entreprises" (Le Monde du 30 décembre 2013)
- Le coût de ma vie en 2014 (Affichage libre)
- "Le Front de gauche s'unit contre les hausses de TVA" (Le Monde du 29 novembre 2013)
- "Comment la TVA se répercute sur les prix" (Les Echos, 31 décembre 2013)
Crédit illustration: DoZone Parody