Barattages #1

Publié le 02 janvier 2014 par Romuald Le Peru @SwedishParrot

Barattage [baʁataʒ] n. m. — 1845 ; de baratter ♦ Action de baratter (la crème) pour obtenir le beurre.
Baratter [baʁate] v. tr. — 1583 ; « s’agiter » XIIè ; peut-être du scandinave barâtta « combat », ou du préf. bar- exprimant l’oppos., et lat. actiare de agere « agir » ♦ Battre (la crème) dans une baratte.

Barattage du lait aigri en pays berbère (photo M. Gast)

Je n’avais pas assez d’espace, alors j’en ai créé. Il me fallait un endroit où déposer quelque chose de l’ordre de la pensée instinctive, de la pure immanence de la pensée, que je ne savais pas où mettre et qu’il fallait que j’exprime quelque part ; une onde me murmure qu’il faut que j’en fasse quelque chose, que ce que j’écris un peu dans la marge prenne un peu plus d’ampleur ; c’est ici l’endroit.

J’ai appelé cette section barattage avec plusieurs références.
Le barattage est une action ancestrale dont on ne connait plus le sens aujourd’hui. Demandez à n’importe qui dans la rue comment on fabrique du beurre, je ne suis pas certain qu’on vous réponde correctement et dans l’ordre que c’est fait à partir du lait (de vache), dont on extrait la crème qu’on bat dans une baratte, là où se séparent la matière grasse et le babeurre… On en perd le sens, mais cela signifie qu’on en perd aussi le geste. Les plus terriens d’entre nous ont déjà vu une baratte à manche ou une baratte mobile dans une brocante ou chez un parent qui conserve encore des outils familiaux, voire ancestraux, mais on serait bien en peine aujourd’hui de reproduire ces gestes d’alchimistes par lesquels on créé une matière aussi commune dans la cuisine que le beurre.

Baratte indiennes (batte-beurre) - Musée de Bâle (Wirz 1938-1939)

Le second sens que j’ai voulu y mettre fait référence au barattage de la mer de lait (amritamanthana), qui est une des scènes principales qu’on peut trouver gravée sur les murs d’Angkor Vat et qu’on retrouve comme un mythe fondateur de la cosmogonie hindouiste. Mythe principal et fondateur, pour dire mon attachement à la parole fondatrice et mythologique. Là encore, les mythes ne sont plus tellement pris au sérieux, à part par les ethnologues et les historiens des religions.
Enfin, la troisième référence, c’est celle qui concerne les peuples nomades. Le barattage est une action instantanée reproduite par les peuples nomades et les peuples qui gardent une forte tradition pastorale. On trait le lait qu’on laisse reposer une nuit et on en fait du beurre ou du yaourt. C’est un geste ancestral et universel de transformation de la matière, qui contient en lui une foule de signifiants.
Pour finir, l’idée que le mot barattage puisse venir d’un mot scandinave (barâtta) qui signifie “combat” est une notion presque excitante si on y place un sens dans lequel on y voit un combat de l’homme contre le lait pour lui faire subir une transformation. La notion est là.

Barattage de la mer de lait - Angkor Vat

Voilà l’esprit dans lequel je créé cette section dont je numéroterai les actes ; ce que je compte faire ici est de transcrire un certain nombre de travaux que je compte mener tout long de cette année. Il se trouve que ces derniers jours, j’ai eu toute latitude pour réfléchir à un certain nombre de choses qui me travaillent depuis quelques temps et que j’ai envie de mettre en mots, puis en forme.

A lire sur le barattage : Les mots et les actes Baratter, allumer le feu. Question de texte et d’ensemble technique par Marie-Claude Mahias, ainsi que ce très bon article sur l’alimentation et les laitages en particulier sur le site de l’Encyclopédie Berbère (E.B., G. Camps, J.-P. Morel, G. Hanoteau, A. Letourneux, A. Nouschi, R. Fery, F. Demoulin, M.-C. Chamla, A. Louis, A. Ben Tanfous, S. Ben Baaziz, L. Soussi, D. Champault et M. Gast), deux articles dont sont extraites les photos illustrant ce billet.