Cette année-là,
Jeanne allait épouser
Son cousin Maxence.
Ils se connaissaient
Depuis l’enfance.
Entre eux, l’amour ne prenait pas
Les formes pudibondes
Qu’il garde dans le monde.
La jeune fille faisait à Maxence
Quelques agaceries, mais en toute innocence.
Elle le trouvait bon garçon
Et l’embrassait sans ce frisson
Qui fait plisser la peau
Des pieds jusqu’en haut du dos.
Lui, pensait tout simplement :
Elle est mignonne.
Il songeait à elle avec l’attendrissement
Qu’on éprouve pour une jolie personne.
Puis un soir, Jeanne
Entendit dans le salon
Sa mère dire à ses tantes Anne,
Et Camille
(Qui était restée vielle fille) :
-« Ces enfants s’aimeront
Ça se voit.
Cela me fera un bonheur immense.
Pour moi,
Maxence est le gendre que je voudrais. »
Dès ce jour, Jeanne adora Maxence.
Elle rougissait quand elle l’embrassait.
Sa main tremblait lorsqu’elle prenait
Celle de son cousin.
Ses yeux se baissaient quand elle croisait
Son regard mutin.
Maxence comprit ce qui se passait.
Il lui avoua : -« Je t’aime, je t’aime ! »
À partir de cet instant même,
Ce ne fut que roucoulements,
Galanteries, déploiements
De toutes les amoureuses façons.
Même au salon,
Maxence osait embrasser Jeanne
Devant les trois sœurs Anne,
Camille et sa mère.
Il emmenait sa cousine
Le long de la rivière,
Dans les bois et les prairies voisines.
Ils attendaient le jour de leur hymen
Sans paraître impatients.
Les vieilles regardaient cet amour naissant
Avec un attendrissement
Souriant, amène.
À les voir, Camille particulièrement
Était remplie d’émotion.
Souffrant d’une légère claudication,
C’était une femme effacée,
Une humble vieille, bien proprette,
Petite, douce, fluette.
Elle marchait à petits pas légers,
Et ne parlait presque pas.
Du 1er janvier au 31 décembre,
Elle n’apparaissait qu’aux heures des repas,
Puis remontait dans sa chambre
Et y restait enfermée sans cesse.
Aujourd’hui veuves, Anne
Et la mère de Jeanne
Etaient devenues comtesses
Grâce à leurs nobles mariages.
Elles considéraient Camille un peu
Comme un être insignifiant et bas-bleu.
Elles ne montaient jamais à l’étage
La voir en son ermitage.
Elles ne parlaient jamais d’elle,
Ne songeaient pas à elle.
Un soir, après diner, les deux cousins
Restèrent deux heures
Dans le grand jardin,
Les yeux dans les yeux,
Cœur contre cœur
Avec cette mélancolie propre aux amoureux.
Les comtesses se couchaient de bonne heure.
Ce soir-là, elles montèrent à dix heures
Et demandèrent à Camille
D’une voix tranquille :
-« Tu peux les attendre ? »
La vieille fille leva
Ses yeux tendres,
Et contempla,
Éclairés par la lune, les jeunes amants
Qui se promenaient lentement.
Tout à coup, Jeanne vit la vieille fille :
-« Tiens ! Elle nous regarde, Tante Camille ! »
Lorsque le couple pénétra dans le salon,
Maxence s’aperçut que les bottillons
De sa fiancée
Etaient couverts de rosée :
-« Chérie, n’as-tu pas froid à tes petits pieds ? »
À ces mots, il remarqua
Que les yeux de la tante s’embuaient
Et qu’elle s’était mise à trembler.
Jeanne lui tendit les bras :
-« Qu’as-tu tante Camille ? »
-« C’est…quand il te demanda
Balbutia la vieille fille :
‘’Chérie, n’as-tu pas froid…à…
Tes petits pieds ?’’
On ne m’a jamais…
Dit ça à moi,…jamais ! »