« Les laids » de Serge Cantero
Publié Par Francis Richard, le 1 janvier 2014 dans Culture« Les laids » est une fiction originale de par sa composition, mais également de par le microcosme qu’elle dépeint.
Par Francis Richard.
![« Les laids » de Serge Cantero Les laids](http://media.paperblog.fr/i/693/6937065/laids-serge-cantero-L-AyjNwI.jpeg)
Au cours du temps, deux docteurs en médecine vont se succéder pour dialoguer avec les patients, leur prescrire les médicaments dont ils ont besoin, suivre leur évolution, faire des ajustements en fonction des résultats obtenus ou encore opérer des greffes : Nenad Grabic, puis Juan Huarte. En principe tous les patients sont volontaires et forment avec le personnel de l’établissement une petite communauté rurale auto-suffisante, hormis l’approvisionnement de matériel médical, même s’il existe un laboratoire où sont élaborés des médicaments pour les divers traitements.
Le livre se compose de 13 chapitres, qui comportent chacun une introduction sous forme de description du domaine situé au milieu d’une forêt et qui semble alors vide d’habitants. Après cette introduction, 11 d’entre eux reproduisent en partie les scripts de cassettes audio. Dans un bureau de l’institut déserté, en effet, se trouvent des cartons : « Un des cartons contient une multitude de cassettes de bande magnétique, chacune dans son étui en plastique sur la tranche duquel est inscrit un code de deux lettres (la seconde étant toujours A, B, C ou D) et d’un nombre entre 1 et 13, puis une date et enfin un ou plusieurs prénoms complétés par une initiale. Elles sont dans un parfait désordre, entassées pêle-mêle. »
Et Serge Cantero reproduit les scripts dans ce joyeux désordre. À la fin de l’ouvrage, toutefois, une page indique l’ordre chronologique avec les numéros des pages correspondantes… Ce procédé me rappelle mon DVD de Mulholland Drive de David Lynch qui comporte une version aléatoire des chapitres… Les scripts partiels de ces cassettes reproduisent les dialogues des patients avec l’un des deux docteurs, mais également des dialogues entre des membres du personnel, dont le professeur-fondateur. Car, à l’institut, tout le monde est surveillé…et enregistré.
Le livre est illustré de quarante dessins à l’encre de Chine, qui auraient inspiré à l’auteur cette fiction, mais qui n’ont pas de rapport direct avec l’histoire, encore qu’ils se trouvent dans une des chambres en désordre de l’institut : « Il y a aussi un cartable contenant une quarantaine de portraits de personnages difformes, effrayants ou grotesques, un bloc-notes vierge à couverture noire et deux stylos-billes, un rouge et un noir. »…
L’introduction descriptive d’un des chapitres est suivie du journal, tenu épisodiquement par Émilie, la fille d’un des membres du personnel. Celle de l’avant-dernier chapitre est suivie par un texte du professeur-fondateur qui éclaire toute l’histoire et qui en est en quelque sorte l’épilogue, permettant de reconstituer l’ensemble du puzzle.
Il va sans dire que ce livre est non seulement original de par sa composition – le lecteur inattentif peut s’y perdre un peu –, mais également de par le microcosme qu’il dépeint avec toutes les relations, parfois conflictuelles, parfois sexuelles, entre les membres de cette petite communauté isolée, sous surveillance technique et médicale. La fin de l’aventure confirme que l’enfer est toujours bien pavé de bonnes intentions.
– Serge Cantero, Les Laids, Édition L’Age d’Homme, 2013, 238 pages.
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