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Éthique et Capitalisme : quelques notions de bon sens

Publié le 01 janvier 2014 par Copeau @Contrepoints
Analyse

Éthique et Capitalisme : quelques notions de bon sens

Publié Par Institut Turgot, le 1 janvier 2014 dans Entreprise et management

L’Éthique des affaires n’est qu’une sous-classe de l’Éthique humaine en général : à ce titre, le critère de moralité n’y est pas seulement le rapport aux autres mais aussi le rapport à soi-même.

Par Henri Lepage.
Un article de l’Institut Turgot.

Confiance Ethique Contrat

Si la métaphysique peut être définie comme « la science de l’existence », et l’épistémologie comme « la science de la connaissance », l’Éthique n’est rien d’autre que la science « du bien et du mal » , la science « du juste et de l’injuste ».

Sa fonction est d’apporter un code de valeur qui sert à guider les choix et les actions humaines. Elle indique comment les gens doivent se comporter, vis-à-vis d’eux-mêmes et vis-à-vis des autres, pour obtenir une coopération sociale pacifique.

L’éthique des affaires consiste à définir comment les managers doivent se comporter pour que leurs actes de gestion et leurs décisions restent conformes aux exigences de l’Éthique.

Par définition, l’Éthique ne concerne que des êtres dotés de conscience et d’autonomie. De tous les êtres, seul l’homme est guidé par des règles conceptuelles (on dira des « valeurs ») qu’il choisit de respecter – alors que les animaux n’ont pas d’autre choix que d’obéir à leurs instincts.

Contrairement à ce qu’affirment nombre d’écoles philosophiques contemporaines, ces valeurs ne sont pas arbitraires. Elles ne sont pas le seul reflet des désirs subjectifs des individus. Elles résultent de cette vérité qui ne peut être logiquement réfutée (on dit qu’il s’agit alors d’un « axiome ») que l’existence même de « valeurs » humaines présuppose la présence nécessaire et inéchappable d’une « ultime valeur », ou « valeur première » : la vie humaine en soi, non pas au sens biologique mais ontologique du terme.

Ce qui définit l’humanité présente dans tout homme est sa capacité d’action conceptuelle. L’homme s’oriente dans le monde par la voie de concepts (ce qui le différencie des animaux qui s’orientent grâce à leurs instincts). Il s’agit d’une activité mentale qui consiste à classer, comparer, noter les similarités et différences, établir des relations, faire des déductions… Cette activité implique la présence d’une conscience individuelle qui conduit chaque individu à s’intéresser à ce qu’il voit, ce qu’il sent, ce qu’il doit faire ou non, etc. C’est l’essence de l’activité « réflexive ». Il en résulte une loi naturelle qui fait que l’humanité ne peut survivre et prospérer que si les individus, en général, cultivent la maitrise de cette activité intellectuelle.

Une « loi naturelle », mais vis-à-vis de qui ? Pour certains, cette loi a une source externe, c’est Dieu. Elle est un devoir moral qui résulte d’un « commandement” de Dieu à l’homme. Mais Dieu n’est pas nécessaire pour établir l’existence d’une telle loi. Pour d’autres, comme Tibor Machan, l’un des leaders de l’école philosophique libertarienne, sa vérité est le résultat d’une pure exigence de cohérence conceptuelle (source interne) : le fait d’observation que l’existence de l’humanité ne pourrait pas être observée si la première de toutes les lois humaines (la première de toutes les valeurs) n’était pas de cultiver ses qualités d’intelligence et d’action réfléchie – ce qu ‘on appelle « la raison », la « rationalité ».

Dans cette optique, la « loi morale » n’est pas une préférence subjective, mais un fait objectif qui est impliqué par l’existence du réel. Elle fait partie de la réalité. Son statut épistémologique n’est pas différent des lois physiques classiques. L’humanité suppose ainsi une activité (un effort) constant de la part des individus pour entretenir, développer, perfectionner leur état d’éveil conceptuel, ainsi que pour utiliser leurs facultés d’intelligence et de raisonnement.

Cet éveil varie beaucoup d’un individu à l’autre. Certains se contentent de vivre comme des zombies. Il n’en reste cependant pas moins que cet effort implique la pratique d’un certain nombre de qualités morales nécessaires : rechercher la clarté (par opposition à cultiver le vague) ; respecter la réalité (au lieu de chercher à s’en évader) ; persévérance ; rester loyal à ses convictions ; être honnête avec soi-même ; garder une grande ouverture d’esprit ; avoir le souci de la cohérence ; fierté personnelle ; indépendance d’opinion ; intégrité conceptuelle ; avoir le souci de la justice (traiter les autres justement, pour ce qu ‘ils sont) ; savoir se montrer bienveillant ; rechercher à être productif (ce qui est l’incarnation même du souci de bien utiliser son esprit, de se montrer à l’égal de ses capacités, de ne pas s’endormir, de montrer le souci de bien définir ses objectifs et ses moyens), etc.

Toutes ces vertus définissent ce qu’est, au sens ontologique d’Aristote, « la bonne vie » : la vraie vie, une vie digne d’un être humain ; ce qui donne sa dignité à une vie d’homme. Ce qui définit le véritable “bonheur” humain n’est pas l’accomplissement de ses moindres désirs, mais l’accomplissement d’une vie rationnellement et intelligemment menée, où chacun ne recherche que ce qu’il sait qu’il peut accomplir (ne pas avoir « la grosse tête »). L’ensemble définit les « vertus morale » d’un homme digne de ce nom.

L’exercice de ces vertus exige des hommes moralement autonomes et indépendants (sinon ce ne sont plus des vertus : on ne peut pas être vertueux si on n’est pas libre de ne pas être vertueux). Ce qui, sur le plan des conditions institutionnelles et politiques, implique donc la reconnaissance d’un droit de propriété de l’homme sur lui-même, et tout ce qui en découle logiquement (sous peine de contradiction et d’incohérence conceptuelle) : la propriété de son travail, la propriété des choses (le principe d’appropriation de Locke), la liberté des échanges, la liberté des contrats. Le respect de ces droits de propriété est une obligation morale qui résulte de l’exigence de respecter l’autonomie des autres, car c’est, conformément à ce qui a été dit plus haut, la condition sine qua non de l’épanouissement humain.

Résultat : une justification morale du capitalisme et de l’entreprise. L’entreprise, en régime capitaliste, est le produit de l’application du principe de la liberté de contracter – ce qui suffit à lui conférer sa légitimité morale. Il en va de même du régime politique libéral associé au capitalisme : le seul État légitime, au sens moral du terme, est celui qui se préoccupe seulement de protéger les droits de propriété légitimes et les contrats.

À l’inverse, on en déduit le caractère immoral du socialisme, et même de la sociale démocratie associée à des régimes d’économie mixte. En interférant avec les libertés individuelles, ces régimes traitent les être humains comme des sous-hommes. Ils portent atteinte à leur dignité en introduisant une hiérarchie parmi les hommes. Ils créent l’habitude et généralisent le parasitisme – ce qui est, par excellence, une attitude anti-humaine, puisque contraire à toutes les vertus morales évoquées précédemment.

La justification morale du profit se démontre sans difficulté (pour autant qu’il ne s’agit pas de gains acquis par le viol des droits de propriété). Elle découle de ce que le profit est un indice, un indicateur de la présence de la plupart des vertus humaines définies plus haut. Faire du profit implique des qualités particulières qui correspondent d’une manière générale à celles ainsi décrites : vertus de clarté, de clairvoyance, savoir bien définir ses objectifs, bien sélectionner ses moyens, etc.

De même l’échange : échanger, c’est montrer le souci de l’Autre, l’Autre traité comme une fin et non comme un moyen (puisque c’est son jugement personnel qui importe).

Du point de vue des managers et de la gestion, cette analyse permet de définir deux principes éthiques fondamentaux : 1. tout manager se doit de respecter les droits individuels ; 2. ses décisions et comportements dans les affaires doivent être conformes aux vertus morales humaines ainsi définies. C’est-à-dire :

  1. Obligation d’être « juste » dans son traitement des autres (considération, les prendre pour ce qu’ils sont, pas de préjugés, pas de favoritisme, pas de traitement arbitraire…) ;
  2. Obligation d’être « honnête » dans ses affaires (rapports aux actionnaires, choix des investissements, ne pas faire passer devant ses intérêts et préférences personnelles…) ;
  3. Obligation morale d’assumer ses responsabilités (ne pas les reporter sur les autres) ; ne pas sacrifier ses convictions et valeurs fondamentales aux ordres de ses actionnaires (ce qu’on appelle l’intégrité morale) ;
  4. Aimer son métier, ne pas viser trop haut au-delà de ses capacités, être conscient de ses limites, ne pas chercher uniquement la carrière, le succès… mais d’abord son accomplissement personnel, rechercher le challenge comme moyen de se connaître ;
  5. Montrer de la bienveillance, de la considération, de la gentillesse, de la compassion, de la générosité pour les autres ;
  6. Veiller à ce que les consommateurs en aient pour leur argent, et considérer ce principe comme la base du succès de son entreprise, sa raison d’être ;
  7. tenir compte de son environnement, favoriser un environnement (local, par exemple) qui renforce ces attitudes morales ; etc.

Tout cela peut paraître bien trivial. C’est ce que l’on retrouve dans les codes et chartes déontologiques des entreprises. Cela n’a rien d’étonnant. L’Éthique des affaires n’est qu’une sous-classe de l’Éthique humaine en général. À ce titre, le critère de moralité n’y est pas seulement le rapport aux autres mais aussi – et d’abord et avant tout – le rapport à soi-même. C’est ce que les cours d’Éthique des affaires oublient le plus souvent.


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