Un an après son dernier EP, Burial ressort de l’ombre pour faire trembler toute la blogosphère musicale avec encore une nouvelle sortie. Rival Dealer est son dernier EP, flirtant avec ses premières passions (la jungle), de nouvelles sonorités et des messages profonds.
Une nouvelle apparition de Burial est tout le temps un évènement. Assez étrange pour un artiste qui a sorti ses deux derniers EPs après la clôture des listes de fin d’année et qui sort ses releases sans fanfare. Et pourtant… Le producteur fait partie d’un cercle particulièrement restreint d’artistes dont seulement prononcer le nom dans une conversation peut créer des débats et enflammer des passions.
Être fan de Burial en 2013, c’est une chose, mais être fan hardcore de Burial en 2013 en est une autre. Il y a ceux qui écoutent Untrue et aiment bien Archangel et il y a ceux qui ont compilé des dossiers d’unreleased et prient Dieu chaque soir pour que Kode9 sorte enfin la version complète de Feral Child. La fascination pour l’artiste va chercher beaucoup plus loin que simplement dans ses productions, c’est tout un personnage qu’un nombre incommensurable de fans adulent. C’est une personne quasi-irréelle– c’est difficile à expliquer. Dans ses rares interviews, Burial est un mec simple, timide, qui a fait son plus grand chef d’œuvre pour se remettre de la mort de son chien, qui est fasciné par son frère qui lui faisait écouter de la musique en rentrant de soirée ou voir des films de sci-fi, qui aime la pluie, les jeux vidéos, qui voudrait que la vie en soit un, qui parle constamment de manière philosophique, qui veut rester inconnu car il a peur des gens, qui remplace ses erreurs par des vinyl crackles car son logiciel n’a pas la fonction « annuler », qui a créé des phrases à partir de samples parce qu’il n’avait pas de quoi se payer un chanteur…
Pour beaucoup, l’artiste est un symbole auquel ils s’associent énormément– quelqu’un d’aussi commun mais paradoxalement unique est facile à associer avec soi-même. On a tous vécu le stress de la ville, les nuits froides, les ciels gris, les heures dans les transports le soir, l’isolation, la peine… Le producteur englobe tout ça et beaucoup plus. Sortir seul, le soir, dans la brume, avec les lumières publiques au loin ? Burial. Rentrer de soirée, ne pas trouver le sommeil, se rappeler les bons moments ? Burial.
It’s about being on a night bus, or with your mates, walking home across your city on your own late at night, or being in a situation with your girlfriend or boyfriend, or coming back from a club, or putting tunes on and falling asleep, or when there’s nowhere to go and all you can do is sit in McDonalds late at night, not answering your phone.
Ainsi, la nouvelle d’un nouvel EP de Burial a sonné comme la nouvelle venue du Christ pour beaucoup. Qu’en est-il réellement de Rival Dealer ? Well, la première chose qui vient à l’esprit c’est que ça change. Enormément. Genre totalement. On s’est progressivement mais entièrement éloigné d’Untrue. Mais la véritable question est « est-ce que c’est bien ou pas ? ».
L’évolution de Burial post-Untrue ne s’est pas faite du jour au lendemain. Déjà, pré-Untrue, la « seule » évolution notable était l’apparition de vocals, qui faisaient passer l’ambiance de stress urbain du premier album vers un stress émotionnel et global dans le second. Quand on retombe sur son Unamed diffusé par Kode9 début 2009, on voit un track qui ressemble plus à un leftover d’Untrue qu’autre chose, 3-4 minutes de basse, d’ambient et de samples de r&b hachés. On peut supposer que c’est réellement un leftover qu’autre chose vu que Kode9 avait proclamé posséder un nombre incommensurable de tracks unreleased de Burial.
Ce n’est qu’après cet unreleased que Burial a réellement changé de direction– et de structure. Récapitulons : en mars sortait Moth/Wolf Cub avec Four Tet, où on voyait pour la première fois Burial arriver à des longueurs qui à l’époque semblaient incroyables : neuf minutes, soit deux fois plus qu’un track habituel du producteur. En décembre sortait Fostercare sur la compilation du label Hyperdub, un track résolument plus ambient avec une proéminence de samples encore moins habituels. En 2010, son Nova avec Four Tet était déjà présent dans les mixes de Kode9, il a collaboré avec El-B, son idole, Breakage, et produit pour Jamie Woon. On naviguait d’Untrue à quelque chose de plus expérimental. Ce n’est qu’en 2011 qu’on a eu droit à une sortie solo de Burial avec son fantastique EP Street Halo. Trois tracks de 6-7 minutes qui tendaient beaucoup plus vers l’extrémité club qu’autre chose ; si Burial a toujours parlé de sa fascination pour les raves, ce n’est qu’avec cette sortie qu’il a posé son premier pas vers les clubs. On passera d’autres sorties, vous l’avez compris : Burial a lentement découvert d’autres chemins même si les sonorités étaient les mêmes.
Cependant, si 2011 a vu l’artiste attaquer les dancefloors, ce qui nous intéresse le plus c’est la sortie de son EP de remixes de Massive Attack. Deux tracks, des behemoths de 12 minutes, chaque chanson se présentant comme un mini-EP en quelque sorte, noyés dans l’ambient, les vinyl crackles et l’expérimental. Absolutely glorious, comme le fit remarquer Mary Anne Hobbs. Beaucoup d’auditeurs l’oublient mais avant Kindred, Four Walls/Paradise Circus était la première esquisse d’un nouveau Burial qui allait prendre la musique électronique par surprise.
Ainsi, dire qu’il n’a pas évolué est à la limite du déni. Kindred l’a vu se focaliser pour de bon sur des tracks très longs et expérimentaux comme faire un vrai club track ou utiliser des synthés, chose triviale en soi mais unique pour quelqu’un comme lui. Je veux dire, on pourrait donner au producteur n’importe quoi qu’il en ferait un chef d’œuvre, alors des synthés ? Rough Sleeper lui a donné des saxophones comme des cowbells pour la postérité.
Aujourd’hui, les auditeurs du producteur sont empêtrés dans une mélasse où le consensus semble plus impossible que l’artiste qui sortirait enfin ses unreleased. D’un côté, les gens veulent que Burial change, de l’autre, les gens veulent qu’il continue à faire des choses comme Untrue. Des deux côtés, par contre, il est évident que quoiqu’il fasse c’est génial. Avec Rival Dealer, le premier camp est servi : Jamais Burial n’a sonné comme ça. C’est totalement différent de ce qu’il a fait avant, aussi bien au niveau des genres que des enjeux etc. mais ce qui est sûr, c’est que cet EP ne réconciliera jamais les deux camps.
Quand un producteur développe un son aussi distinct, c’est difficile de s’en séparer mais ici on dirait presque qu’il a dénudé sa musique de certains éléments primordiaux de ses sonorités. Je parle surtout des drums. L’argument principal anti-Burial est oui mais non tous les drums sont les mêmes. Ici les drums ne sont pas simplement différents entre eux, ils sont différents des drums de Burial tout court. La première partie de Rival Dealer utilise un break de jungle, Hiders utilise des drums quasi-similaires à ceux qu’on pourrait écouter lors d’une mi-temps du Superbowl et ceux de Come Down To Us sonnent comme du trap, ce qui est presque ironique quand on connaît les remixes trap sarcastiques d’Hyperdub sur internet. Pourtant, il pourra faire tous les efforts qu’il veut, sa musique ne cessera jamais d’être émouvante. Les samples baignent dans l’ambient, la pluie claque sur la basse, les synthés percent…
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Prenez le title track, qui reste le plus Burialesque de l’EP : durant la première partie, des samples au genre ambigu répètent I’m gonna love you more than anyone, l’ambient et les bruits familiers de son univers brumeux prennent place avant de se crasher dans une orgie de breaks de jungle et de hardcore qui rappellent son Stairwell et ce n’est que vers cinq minutes qu’on plonge dans une basse saturée et des samples de chatter de MCs qui font penser à son premier album et ses drums habituels. On passe de l’émotion pure à la rave mais la fin justifie les moyens, surtout quand la troisième partie est beatless et s’aligne avec ses travaux les plus touchants.
Hiders, quant à lui, est encore plus différent. En plus de durer moins de cinq minutes – exploit pour le Burial de la nouvelle décennie – il est propulsé par des drums très EDM (ou dadrock, c’est vous qui voyez) et si le résultat est hit-or-miss, il y a quand même de fantastiques samples, des voix qui fusent de partout et une outro splendide qui conduit vers le dernier track, pinacle de l’EP et son meilleur track depuis Kindred. Le manque de cohérence (ou le surplus de variété ?) entre les tracks est rattrapé par une suite logique et un build-up vers la centerpiece de l’EP : Come Down To Us. Les deux premiers tracks répètent le titre de la chanson à un moment donné et guident doucement vers la conclusion, les come down to us nous envoutant comme des chants de sirènes prêtes à nous happer dans le monde de Burial. Il se passe toujours énormément de choses sur ses chansons mais là le tout vit dans une symbiose parfaite. Qu’il s’agisse des snares, des samples, des mélodies… La première partie est déchirante, avec un beat downtempo presque hip-hop et ses strings aux sonorités asiatiques, les breakdowns de basse, etc. mais le gagnant reste la suite. Quand il parlait de faire des chansons joyeuses, sa conception de « chansons joyeuses » était peut-être une chanson comme Shell Of Light, où la voix de la première partie se répétait closer sur un beat optimiste, comme pour se redonner confiance. Ici, c’est son victory lap, c’est sa chanson de Noël, c’est les synthés glorieux et euphoriques qui explosent, les voix qui fredonnent ouh-ouhouh, les nombreuses pauses pour autant de reprises, la conclusion joyeuse a 28 minutes d’émotion, les chants, tout ça à la fois. Je vois difficilement comment on peut faire plus cheesy et niais que ça mais il est temps que les gens comprennent que Burial a toujours été cheesy et niais… à sa manière. Sa musique a toujours été de l’émotion pure, enrobée dans de la basse et des influences de hardcore et de rave. Pensez-y, tout ce qu’il a fait a été à la limite de l’émo, le personnage aussi flirte avec ça. Rappelez vous aussi tout le côté cliché : la pluie qui tombe, le personnage timide, la musique faite pour des moments qu’on pourrait retrouver dans un statut facebook… Burial, comme Daft Punk, a toujours accepté sa niaiserie les bras ouverts. Rival Dealer est juste un pas de plus vers l’acceptation… de la part des auditeurs.
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Rival Dealer est loin d’être parfait. Ca n’a rien à voir avec le changement, c’est simplement qu’il n’est peut-être pas aussi impeccable qu’il en a l’air. Oui, l’EP est particulièrement excellent mais on parle de Burial. C’est l’un des rares artistes dont chaque sortie est au minimum excellente– je me souviens d’un topic sur dubstepforum qui classait ses sorties et où le dernier tier (le moins bon) était god tier, l’auteur argumentant que même les « pires » releases de l’artiste étaient tout de même excellentes. Rival Dealer n’est pas le monument qu’est Kindred, mais ça reste un excellent EP. Meilleur que beaucoup des sorties électroniques de 2013 mais assez pâle dans la discographie de l’artiste. Excellent pour les autres n’est pas pareil pour Burial… mais le tout est rattrapé par le côté symbolique dont on va parler à la fin de l’article.
Même s’il a changé, il revient à beaucoup de choses dont il parlait en 2007. Evidemment, il y a la jungle, mais il y a beaucoup d’autres choses. Rival Dealer remplit l’Ouroboros de Burial. Déjà, lui qui a commencé en étant fasciné par la jungle, il sample aujourd’hui un break (non pas l’amen break) sur le title track en le faisant sonner comme ce qu’il a toujours voulu : un souvenir d’une chanson. Ici, la référence est double : ça résonne comme le souvenir de l’écho de chansons de jungle diffusées par une radio pirate dans l’immeuble voisin en plus de sonner comme un souvenir tout court. Les chansons sont beaucoup plus « joyeuses » et upbeat, lui qui parlait de vouloir faire des chansons plus joyeuses. Rough Sleeper était en quelque sorte une esquisse, avec ses the light surrounding you ou les bells.
Mais bien entendu, l’élément primordial de l’EP est surtout le côté engagé. Le sample à la fin de Come Down To Us prédomine l’EP, les samples des deux premiers tracks faisant office d’indices. En fait, tout l’EP est plein de messages de confiance en soi, d’affirmation, d’aide et de courage. This is who I am. It’s about finding the person who you are. You don’t have to be alone, proclame Rival Dealer. Le dernier track “explique” le tout, se concluant sur un sample de Lana Wachowski qui explique qu’elle a subi une opération de changement de sexe et qu’elle a été persécutée mais qu’elle reste courageuse et forte. Si certains ont d’abord vu ça comme un coming-out de la part du producteur, il est évident qu’il s’agit d’un simple message de courage. Lui-même l’a ensuite confirmé, en disant qu’il s’agissait de messages anti-brutalisation. En 2007, il a dit “Some people get suicidal because they’ve been bullied by someone at school […] I’ve been in situations and there’s no rule book of what you’re meant to do. But then you might listen to some song, some pop song, that gets it just right.” Tout comme Kanye combat le racisme à sa façon, Burial combat la persécution à sa façon. Les gens semblent oublier que la musique électronique est la musique de l’émotion. La majorité ne pense qu’à danser. Qui, aujourd’hui (et je précise bien aujourd’hui), lutte contre ce genre de choses dans son milieu, à part une poignée d’artistes ?. La sexualité est toujours un sujet difficile dans la musique électronique, avec les grands noms de l’EDM comme Borgore qui hypersexualisent leur musique ou la house dépeinte par des femmes quasi-nues. Même le future garage se voit vendu par des gens tels que Majesticcasual avec des images de femmes suggestives. Burial, lui, pitche tellement les voix qu’on ne sait plus si les femmes sont des hommes ou si les hommes sont des femmes, les barrières de genre sont détruites. Comme l’a dit DJ Sprinkles, l’un des meilleurs artistes house de tous les temps (et lui-même travesti et se considérant comme une femme) sur son classique album Midtown 120 Blues :
There must be a hundred records with voice-overs asking, « What is house? » The answer is always some greeting card bullshit about « life, love, happiness… ». House is not universal. House is hyper-specific. The contexts from which the deep house sound emerged are forgotten: sexual and gender crises, transgendered sex work, black market hormones, drug and alcohol addiction, loneliness, racism, HIV, ACT-UP, Tompkins Square Park, police brutality, queer-bashing, underpayment, unemployment and censorship—all at 120 beats per minute.
En bien des façons, Come Down To Us est la réponse de Burial à ces voice-overs. La réponse d’un artiste qui a un jour proclamé qu’il voulait que les gens puissent s’associer à sa musique et qui a dit qu’elle était faite parce que les gens ont besoin d’un ange-gardien. Burial est l’ange-gardien de tous ceux qui un jour se sont sentis seuls, persécutés, isolés ou peinés et on peut dire ce qu’on veut sur sa musique mais damn, je connais peu d’artistes dans le milieu de la musique électronique qui peuvent se vanter d’être engagés et de servir d’avocat des parias de la société. Bien sûr, les haters continueront de haïr, qu’il change sa musique ou pas, qu’il s’engage ou pas. Fuck Yeezus, Burial died for your sins.