Taxe à 75% : le foot doit-il payer ?

Publié le 31 décembre 2013 par Delits

Adoptée définitivement par l’Assemblée nationale le 19 décembre dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014, la taxe « à 75% » a été validée par le Conseil constitutionnel. Cette taxe, qui concerne des rémunérations annuelles supérieures à un million d’euros aux salariés, va notamment toucher les clubs de football.

En dépit d’un lobbying intensif de la Ligue de Football Professionnel (LFP) et des présidents de clubs, en particulier les premiers concernés, François HOLLANDE est finalement resté inflexible. Les clubs ont répliqué avec une menace de grève, qu’on devrait plutôt qualifier de « lock-out » à l’instar de ce qui s’est déroulé en NBA, ou de « boycott », puisque la décision vient des employeurs et non des salariés. Cette menace, finalement non exécutée, a pu choquer une partie de l’opinion, eu égard au niveau de revenus des footballeurs, qui, selon certains, ne sont pas franchement à plaindre.

La plupart des Français se montrent d’ailleurs totalement opposés à cette possibilité : une enquête de fin octobre montre que 83% d’entre eux estiment qu’un pareil mouvement serait injustifié1. 85% se déclarent d’ailleurs favorables à l’application de cette taxe sur les très hauts revenus aux clubs de football professionnels.

Cette cause était-elle si injuste ?

Au global, la taxe devrait coûter 44M au football français, déjà peu compétitif au niveau européen. L’argument parfois utilisé mettait en avant que 75% des clubs de ligue 1 seraient touchés.

Dans le détail, on pourra noter que la facture a été fortement allégée par un plafond à 5% du chiffre d’affaires. Autre point, seuls les clubs les plus riches seront réellement concernés. 3 clubs concentrent 75% de cette somme : Paris devrait payer aux alentours de 20M, l’OM et Lyon 5M.

Les autres clubs, notamment les plus petits budgets, ne paieront que des contributions symboliques, à l’instar de Guingamp ou d’Ajaccio (autour de 50 000€). Autant dire que ça ne changera absolument rien pour ces clubs. Il est ainsi pour le moins étonnant d’entendre Bernard Caïazzo, président de l’AS Saint-Étienne, expliquer que cette taxe relève d’un enjeu « de vie ou de mort » pour le football français. Notons que son club paiera 900 000€ pour un budget de 40M, hors cessions de joueurs (le club a vendu pour plus de 23M de joueurs l’été dernier).

Or, si l’on s’intéresse à la situation des trois principaux contributeurs, ils ne sont pas franchement à plaindre. Pire, les difficultés sportives et financières de certains principaux clubs français semblent bien plus dues à aux erreurs de leurs dirigeants, qui tentent, grossièrement, de cacher leur incompétence derrière un environnement législatif défavorable.

Le Paris SG

Le club ne craint plus la crise depuis l’arrivée de l’argent qatari. Il peut ainsi se permettre de compter aujourd’hui 21 joueurs concernés par cette taxe, dont certains, aux côtés des superstars, présentent une rémunération décalée face à un talent limité (on peut penser notamment à Jallet ou Camara). Parallèlement, le plafonnement de la taxe permet d’économiser 24M au club de la capitale (soit plus que la totalité du budget de plusieurs clubs de ligue 1…). Or on comprendrait mal de voir l’Etat se priver de recettes fiscales alors que la puissance financière d’un club contrôlé par des fonds étrangers paraît sans limite. Le club se montre d’ailleurs, à raison et avec une certaine habilité, relativement discret sur la question.

Les difficultés du foot français : problème de charges ou problème de compétences ?

L’Olympique de Marseille

Le club du sud est le deuxième concerné par cette taxe avec 17 joueurs. Propriété de Margarita Louis-Dreyfus, la veuve de Robert et dirigeante du groupe familiale qui pèse plus de 20 milliards d’euros, le club est le deuxième budget de la ligue aux alentours de 135M.

Or si on s’intéresse à l’histoire du club, on découvre une gabegie gigantesque. Ses dirigeants actuels n’échappent pas à cette vague d’incompétence. Actuellement on trouve à sa tête Vincent Labrune, dont la plupart des supporters se demandent encore ce qu’il fait à ce poste et comme directeur sportif José Anigo, dont le nom est plus généralement associé à la rubrique faits divers ou au grand banditisme qu’aux trophées glanés par le club. Vincent Labrune réussit l’exploit, en moins de deux ans, d’avoir à peu près tout raté : à mi-saison l’OM a déjà raté ses principaux objectifs sportifs, financièrement le club n’a pu se développer comme espéré, la plupart des cadres parmi les joueurs sont annoncés partants en fin d’année et sa communication est largement critiquée. Ces échecs multiples n’ont d’ailleurs rien d’étonnant lorsqu’on regarde le parcours du Président actuel de l’OM qui ne justifie d’aucune connaissance du football, ni même de compétences particulières pour un tel poste.

On pourrait ainsi tout autant s’étonner de voir le Gouvernement accorder un cadeau quelconque à ceux que les supporters surnomment « la blonde, labrune et le truand ».

L’Olympique Lyonnais

L’exemple du club lyonnais est encore plus révélateur. Son médiatique président est monté au créneau de manière répétitive en criant au drame pour son club. Il en avait fait de même quelques années de cela au moment de l’abrogation du droit à l’image collectif. Pourtant, lorsqu’on s’intéresse au fort déclin économique et financier de sa structure, on se rend compte qu’il est plus dû aux multitudes d’erreurs de gestion et de choix calamiteux, tant sur le plan sportif que financier. En effet, on ne compte plus les erreurs de casting, comme entraineurs ou comme joueurs et les nombreux fiascos de « stars » payées à prix d’or. Makoun, Keita, Delgado, Ederson, Fred et l’ex future star du foot français Yoann Gourcuff : au total près de 130M, sans parler des salaires, ont été investis dans des échecs prévisibles.

Le marché a rapidement sanctionné ces nombreuses bévues et le titre OL GROUPE a chuté pour perdre pratiquement 80% de sa valeur par rapport au plus haut atteint juste après l’introduction. Aujourd’hui, la valorisation boursière de ce groupe ne vaut est ridiculement faible (27M, soit un seul très bon joueur), les déficits cumulés sur les 5 dernières années dépassent les 100M et la prochaine étape de ce fiasco se déroulera avec la probable non rentabilité du nouveau stade.

Cours d’action d’Ol Groupe depuis 2007

Les footeux : des « jeunes » comme on les aime pas

Non seulement les difficultés du football français sont bien plus causées par l’absence relative de professionnalisation de ses dirigeants, mais en plus les Français ne comprendraient probablement pas un cadeau à des joueurs qu’ils n’aiment pas et qui selon eux concentrent une partie des travers de la société actuelle.

Il est bien loin le temps où les Français adulaient les bleus. Le meilleur joueur français actuel, Franck Ribéry, est également l’une des personnalités parmi les plus détestées des Français2. Parmi les moins aimés, il n’est pas étonnant de trouver Samir Nasri ou Karim Benzema, qui concentrent les défauts de cette équipe. 86% des personnes interrogées les considèrent « trop payées », « individualistes » (84%) et « grossiers » (73%). Le souvenir de l’affaire du bus de Knysna était « encore à l’esprit » de 76% des personnes interrogées quand ils pensent à l’équipe de France3. Moins d’un quart les considèrent talentueux (24%).

Plus tôt dans l’année, c’est 96% des Français qui jugeaient les footballeurs professionnels de ligue 1 « trop payés ».4. Entre temps, les footballeurs cités, notamment Karim Benzema, se sont fait remarquer pour des affaires extrasportives du même ordre que l’affaire Zahia ; auxquelles s’ajoutent ses performances sportives désastreuses en bleu, comme en club et son refus de chanter la marseillaise.

Il n’est ainsi pas étonnant que nos concitoyens jugent que c’est avant tout aux footballeurs eux-mêmes (67%), plus qu’à leurs employeurs (31%), de payer cette taxe5.

Il est en outre également frappant de voir la comparaison avec les critiques adressées à l’égard de notre jeunesse. « Individualistes », « malpolis », « paresseux » : les critiques à l’encontre des footballeurs renvoient directement à celles dont on affuble les jeunes Français6.

En conclusion, il est assez logique de constater l’inflexibilité du Gouvernement, pourtant prompt cette année aux reculs, sur ce dossier. Les clubs professionnels de football ne disposent pas d’arguments sérieux pour s’exonérer de cette taxe face au secteur marchand traditionnel et la défiance à l’égard des footballeurs, spécifiquement les plus connus d’entre eux, rend peu pertinente une exception à leur avantage. Ainsi, il n’est finalement pas étonnant de constater que les dirigeants de clubs se soient finalement couchés en abandonnant l’idée de grève pour revenir à la réalité de leur situation.

  1. selon une enquête Tilder-LCI-OpinionWay [Revenir]
  2. Selon un sondage Voici-Harris Interactive de mi-décembre). Plus largement, nos concitoyens n’aimes pas leur équipe : 82% déclarent en avoir une mauvaise opinion ((Enquête BVA du 9 et 10 octobre 2013 [Revenir]
  3. sondage BVA pour Le Parisien-Aujourd’hui en France d’octobre 2013 [Revenir]
  4. CSA pour M6-Capital en avril 2013 [Revenir]
  5. enquête d’OpinionWay pour l’UCPF [Revenir]
  6. voir les observatoires réalisés par l’ANEV [Revenir]