Il aurait pu surmonter la pression générée par son nouveau poste, il aurait pu redonner un nouvel et bel élan à son couple. Oui, il aurait pu. Seulement tout part en vrille au moment où il croise une vieille connaissance dans le quartier d'affaires de Manhattan. En guise de connaissance, un homme qui, à l'âge de 17 printemps avait violé Richard 12 ans d'âge. Richard ne parvient alors plus à refouler cet épisode comme il était pourtant parvenu à le faire jusque-là. De bien drôles d'idées le submergent alors et un air de vengeance s'infiltre dans les vapeurs d'alcool qu'il laisse à nouveau échapper.
On a tout dans ce bouquin d'à peine plus de 300 pages : le noir, le grinçant, la critique sociale - parce que sinon ce ne serait pas marrant - et une chute qui vaut à elle toute seule tout le plaisir de la lecture. Jason Starr est épatant dans sa description de l'univers impitoyable du travail en entreprise et de la course au fric. Pour vous donner une idée : pas de contrat(s), pas d'ami(s) ; des contrats et c'est tout le personnel qui vient vous manger dans la main, qui vous porte aux nues et ne jure que par vous ! De l'individualisme, de l'opportunisme, du faux-cuisme à la solde d'une société de consommation pas du tout, mais alors pas du tout repliée sur elle-même.
Jason Starr excelle aussi dans les émotions qu'il parvient à susciter, grâce à son style, à son humour dévastateur et à un sens du dialogue qui fait mouche à tous les coups. Tout ceci s'affiche à travers le prisme de Richard, narrateur de l'histoire, pour lequel on éprouve une sorte de pitié à double sens. On devient révolté lorsque le souvenir du viol se rappelle à lui, on est sensible à sa fragilité devant son incapacité à trouver des prises pour éviter de sombrer et, d'un autre côté, on le trouve pathétique dans son recours à l'autoappitoiement permanent ainsi que dans son aspiration au bonheur, aspiration travestie par le système pourri dans lequel il végète. Autant vous le dire, se glisser dans sa tête revient à pénétrer dans une antre de complexité renversante.
N'ayez crainte, on en ressort indemne.
Enfin, normalement...
Mauvais Karma, de Jason Starr, traduit de l'anglais (Etats-unis) par Marie Ollivier-Caudray, Rivages (Rivages/noir), 2005, 304 p.