Claudio Espector chez lui (photo Ezequiel Torres, pour Veintitrés)
Le jour de Noël, Claudio Espector a été interviewé sur les ondes de Fractura Expuesta, l'émission sur le tango et la culture populaire, dont je vous parlais souvent il y a quelques années (je dois avouer que le temps me manque parfois pour le faire avec la même régularité maintenant). Une interview d'une dizaine de minutes, avec quelques problèmes de communication au départ. Claudio Espector y déclare qu'il se maintient à la tête du programme et qu'avec le soutien des syndicats, il se prépare à attaquer en justice la décision du Gouvernement portègne, qui ne lui a toujours pas été formellement notifiée.
Tels que je les ai vus en août dernier, il est probable que le soutien de tous les enseignants lui est acquis et qu'aucun d'entre eux ne veut avoir affaire au clarinettiste de troisième zone que la secrétaire adjointe à l'équité musicale a nommé à sa place. La résistance peut donc durer longtemps, pour autant que la mobilisation des parents se maintiennent elle aussi.
Dans cet entretien, Claudio Espector expose les contradictions des explications que le Gouvernement portègne donne à l'arrêt du budget alimentaire du Programa. L'exécutif dit vouloir obliger les parents d'élèves à prendre en charge la nourriture des enfants (1) mais d'un autre côté, rappelle Claudio, dans le peu d'habitations que la Ville a fait construire dans ces quartiers populaires, les architectes ont omis d'intégrer une cuisine et pour ce qui est des meubles, ils n'ont même pas pensé qu'une famille avait besoin de chaises et d'une table. On se croirait revenu en France au temps de l'épopée minière lorsqu'un patronat arrogant et méprisant justifiait l'absence de salle de bain dans les corons : "une baignoire, pensez-donc, ils y mettraient le charbon !". (2)
Cette interview décapante, vous pouvez l'écouter en ligne et même la télécharger gratuitement en cliquant sur le lien.
Deux jours plus tard, le 27 décembre, le magazine hebdomadaire Veintitres a consacré au musicien et enseignant un article élogieux. Le journaliste remarque que Claudio Espector a échappé au système des dépouilles qui existe en Argentine comme aux Etats-Unis et qui veut que chaque nouvel exécutif, au moment où il prend ses fonctions, renouvelle l'ensemble du personnel dépendant d'une nomination gouvernementale. Il rappelle le parcours de Claudio et la façon dont a surgi l'idée du Programme : lorsque le gouvernement de la ville, sous l'impulsion de Fernando de la Rúa (pourtant de sinistre mémoire), avait créé, sur le modèle français, des Zones d'Action Prioritaire, dans le but de combattre l'absentéisme scolaire et le fort taux de redoublement des enfants issus des populations les plus fragiles. C'est dans ce cadre que Claudio proposa de créer dans ces écoles des ZAP des orchestres pour redonner aux enfants le goût d'apprendre et des savoir-être socialisants, comme le fait de s'écouter mutuellement, de se respecter, de travailler en équipe. Il a fondé le premier orchestre dans le quartier de Villa Lugano, un quartier du sud-ouest de la capitale argentine. "[A Villa Lugano], aller à l'école avec un violoncelle, une flûte ou un violon, ça faisait son effet", raconte Claudio Espector, dans cet article interview que vous pouvez lire en cliquant sur ce lien.
“Me quieren hacer creer que me convierten en maestro de los maestros pero claramente me corren, eufemísticamente y mintiendo. Más allá de lo personal, es una decisión política. No les parece bien que visualicemos las carencias que existen. No acuerdan con que vayamos a los barrios y no le pongamos límites a la educación de los pibes, pensamos que los chicos pueden hacer todo. Ellos le ponen techo al desarrollo de los pibes. Cuando viajaron a Berlín les dijeron: ‘Esto es un privilegio para ustedes’, a lo cual una de las chicas de la orquesta les contestó: ‘Esto no es un privilegio, esto es un derecho’. Para el Pro, en un barrio pobre la educación tiene que ser pobre. Nosotros creemos que tiene que ser la mejor”. Claudio Espector, dans Veintitres
Ils veulent me faire croire qu'ils me reclassent comme formateur de formateurs (3) mais il est bien clair qu'ils me foutent à la porte avec des euphémismes et des mensonges. Au-delà de l'aspect personnel, c'est une décision politique. Ils n'aiment pas que nous ayons identifié les éléments qui font défaut (4). Ils ne sont pas d'accord qu'on aillent dans les quartiers et qu'on ne mette pas de limite à l'éducation des gamins, que nous pensions que les mêmes peuvent tout faire. Eux ils mettent un plafond au développement des gamins. Quand ils sont allés à Berlin, ils leur ont dit : C'est un privilège pour vous. Ce à quoi une des gamines de l'orchestre leur a répondu : Ce n'est pas un privilège, c'est un droit (5). Pour le PRO (6), dans un quartier pauvre, l'éducation doit être pauvre. Nous, nous croyons qu'elle doit être la meilleure. (Traduction Denise Anne Clavilier)
Pour en obtenir une traduction complète, utilisez le service Reverso, dont vous trouverez le lien dans la rubrique Cambalache en bas de la Colonne de droite de ce blog.
(1) En Argentine, l'école publique et obligatoire jusqu'à 12 ans prend en charge gratuitement les repas des enfants qui ne peuvent pas rentrer déjeuner à la maison, tout au long de l'année scolaire (et même parfois pendant les vacances). Ce service de cantine est suffisamment stigmatisant pour qu'aucun parent de la classe moyenne ne songe à essayer d'en profiter (et en plus, comme les moyens sont maigres, ce n'est vraiment pas fameux). Il s'agit de garantir que, dans la République argentine, tous les enfants bénéficient de bonnes conditions pour étudier même si leurs parents sont trop pauvres pour les nourrir convenablement. La politique de Mauricio Macri tend à tout individualiser, à dévitaliser la solidarité effective et il cherche donc à criminaliser la pauvreté et en particulier le fait que les parents n'assurent pas eux-mêmes un régime alimentaire équilibré à leur enfants, par manque de moyens matériels et de connaissance diététique. Lui et ses ministres insinuent ainsi que les pauvres vivraient en assistés aux crochets de la collectivité (c'est-à-dire de la classe moyenne où se recrute le gros de l'électorat macriste). Il prétend donc qu'il faut les obliger à s'occuper de leur progéniture. Voir à ce propos la letra de tango de Raimudo Rosales, Mañana Clara, que j'ai traduite dans Deux cents ans après, Tarabuste Editions, janvier 2011, sur la vie d'une cuisinière de cantine scolaire qui tous les matins fait la polenta pour les estomacs des écoliers qui arrivent à l'école à jeûn. (2) N'oublions pas qu'à la même époque, dans nos pays, il existait aussi un patronat social, qu'on a plus tard taxé de paternaliste, que sa conscience obligeait à créer dans ses cités ouvrières une école (avant que l'instruction soit obligatoire), un dispensaire, une pouponnière dont l'accès était de droit pour leurs salariés et leurs familles. Une tendance patronale qui n'a jamais existé significativement en Argentine. (3) La secrétaire adjointe à l'équité musicale Soledad Acuña, en le recevant le 20 décembre, a proposé à Claudio Espector un poste d'enseignant pour former des professeurs de musique. (4) Claudio fait ici référence aux nombreux chapitres du budget de fonctionnement qui ne sont pas pourvus par le Gouvernement portègne : achat et entretien des instruments, matériels auxiliaires tels que sièges et pupitres, partitions et goûter des enfants. (5) Qu'une gamine voie si clair dans leur jeu, ça n'a pas dû leur plaire, en effet. Et pourtant, la petite avait raison. Dans son interview, Claudio souligne que lorsque les enfant ont reçu des reconnaissances internationales après certains concerts, il n'y a jamais eu un seul représentant du Gouvernement portègne pour les féliciter ni par écrit ni par la moindre visite. (6) Parti politique de Mauricio Macri, qui forme la majorité relative à la Legislatura de Buenos Aires et auquel tout le gouvernement municipal appartient, directement ou par alliance stratégique.