La crise que nous vivons, est telle que, si nous continuons dans la direction actuelle, nous allons, au XXIe siècle, vers un naufrage planétaire. A la fois parce que les inégalités croissantes conduisent à des explosions sociales violentes par la réaction des communautés foulées aux pieds, qu’elles prennent la forme soit de nationalismes xénophobes et invivables, soit d’intégrismes de repliement et de refus, et, dans les deux cas, de terrorisme ne débouchant que sur des anarchies sanglantes, et des répressions féroces de ceux qui essayent de masquer sous le prétexte «d’ingérences humanitaires» de nouvelles formes du colonialisme et de l’hégémonie du plus fort ... sous des prétextes « humanitaires », appelant hypocritement «communauté internationale» le club des anciens colonialistes rassemblés sous le talon de fer du plus fort.
Ce siècle, dans la poursuite aveugle de telles dérives, ne peut durer cent ans, non seulement par le massacre des hommes mais aussi par la destruction de la nature, l’épuisement des ressources fossiles de son sous-sol, la pollution de son atmosphère par les trous dans l’ozone, conduisant à des transformations des climats, l’extermination des ressources vivantes de la terre et de la mer, que ce soit par les manipulations transgéniques, l’abus des pesticides, la déforestation, par exemple, en Amazonie ou en Indonésie détruisant, pour l’intérêt mercantile de cultures plus rentables ou de barrages aberrants, les poumons de l’humanité, le saccage des mers par des techniques anéantissant des espèces entières de poissons, la rareté croissante de l’eau et surtout de ses réseaux de distribution, réduisant les possibilités de l’agriculture. En un mot, sur la terre, et sous la terre, dans les océans et dans le ciel, comme dans les rapports avec les vivants, la destruction, par la nouvelle barbarie, baptisée productivité technologique, modernisme et même progrès, de ce qui avait permis, pendant des millions d’années, le déploiement de la vie et de l’humanité.
Une manipulation médiatique des foules, infantilisées par la fascination des télés et de la «communication» (du téléphone portable à l’Internet) permet d’anesthésier les consciences au point de leur faire oublier le gouffre et la mort où les conduit la «pensée unique», c’est-à-dire l’absence de réflexion sur les fins et le sens de l’histoire humaine.
D’une telle décadence, dont les précurseurs américains nous donnent l’image la plus meurtrière : ses deux cent cinquante millions d’armes pour deux cent cinquante millions d’habitants, ses milliers de prisonniers et sa peine de mort, ses trente-trois millions d’indigents d’où émerge un pour cent qui dispose de soixante-dix pour cent de la richesse nationale, (un enfant sur huit ne mange pas à sa faim dans le pays «le plus riche du monde»), avec ses trois milliards de dollars de dettes, (trois cents pour cent de plus que l’ensemble du Tiers Monde, parce qu’il vit au dessus de ses moyens et aux dépens du reste du monde), ses enfants meurtriers à six ans, ses spéculateurs écumant le monde, et son outillage militaire permettant de détruire des populations et leurs infrastructures, et de faire régresser de plusieurs siècles leur histoire, par une guerre «zéro mort» (américain, bien entendu), c’est-à-dire menée avec des moyens techniques sans commune mesure avec la puissance de riposte de 1’adversaire, la mitrailleuse contre la sagaie, comme dans les guerres coloniales du siècle dernier, soit la guerre prédatrice des lâches, autre signe de la décadence, morale, cette fois, d’un monde où a totalement disparu la notion d’ « honneur ».
L’ordre de grandeur de cette crise exige tout autre chose qu’une révolution politique. Les véritables et plus profondes mutations de l’histoire sont l’œuvre du surgissement de nouvelles «religions». Or, jusqu’à aujourd’hui, nous l’avons vu, après avoir opéré une rénovation radicale dans le cœur et l’esprit des masses, toutes (en particulier en Occident, avec le judaïsme et le christianisme, et, plus tard, au Proche Orient, avec l’islam) sont liées ou parfois intégrées aux pouvoirs dominants si bien que, loin d’opérer leur renouvellement, elles ont le plus souvent servi au maintien ou à l’affermissement des pouvoirs en place, et attisé les affrontements politiques en leur donnant un «arôme» spirituel.
Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est de quelque chose de totalement nouveau : un renouveau non plus de telle ou telle religion, mais une prise conscience de la foi comme dimension constitutive de l’homme dans son unité, pour sortir de notre sordide préhistoire rendue plus destructive qu’elle ne le fut jamais par la maîtrise des techniques, devenues nos maîtresses, par une «religion des moyens», qui nous a fait perdre jusqu’au désir de réfléchir aux fins et au sens de notre propre vie et de notre commune histoire.
C’est dans la tête et le cœur des hommes que commencent non seulement les révolutions, mais les véritables mutations du destin des hommes. Malheureusement trop de révolutionnaires veulent tout changer – sauf eux-mêmes.
Ce dont nous avons besoin aujourd’hui (Yehudi Menuhin, est de ceux qui l’ont annoncé avec le plus de lucidité) ce n’est pas, à un moment où la sclérose des Églises institutionnelles, juives, chrétiennes, musulmanes, aiguise les conflits sous le masque de paroles faussement «pieuses», ce n’est pas de la levée d’une «religion nouvelle», c’est de la prise de conscience de l’unité humaine à travers l’unité de la foi.
Cela exige d’abord qu’aucune des religions dites «révélées» ne prétende à l’exclusivité de la foi: la transcendance du Dieu qu’elles invoquent, exige que nous prenions conscience de nos insuffisances et de nos provincialismes. Il ne peut s’instaurer aucun dialogue si chacun, au départ, est assuré de posséder la vérité totale, absolue. Nous ne pouvons, au contraire, engager un dialogue qu’à partir de ce qui manque à chacune de nos religions et qui l’empêche de participer à la foi unique.
Pour cela l’éducation ne doit pas se contenter d’une «réforme de l’enseignement». Ce dont nous avons besoin c’est d’une subversion radicale, c’est à dire portant non sur les moyens de modifier le système mais sur les fins qui doivent être les siennes.
Contre les abandons à la jungle du monothéisme du marché et du « libéralisme totalitaire » qui engendrent et nourrissent les intégrismes, les nationalismes, tous les archaïsmes générateurs de guerre...il est encore temps de vivre, nous en avons le pouvoir ... Ce ne sera pas l’œuvre d’un seul ni d’une secte. Nous jetons une bouteille à la mer, pour dire seulement que la mort de la planète n’est pas notre destin. Contre toutes les résignations du «c’est ainsi», il peut en être autrement.
Une question est posée. Un appel dans la nuit pour rappeler chacun à participer à la naissance du jour.
Roger Garaudy
Qui sera ton Dieu ? (Texte intégral sur le blog "Roger Garaudy-A contre nuit")