Canet, le 04 novembre 2013
Autour de La Décision par Jean Oury. La question de l'écriture et du corps
- Canet, le 4 novembre 2013
M. B. : Nous sommes le lundi 4 novembre 2013.
Aujourd'hui j'aimerais revenir sur deux textes, le premier c'est le séminaire de Jean Oury de 1986, La décision, je vous le recommande parce que c'est remarquable. Le second, c'est le mien, « Encorporation, scription, et inscription : sujet et traduction », un des chapitres de Psychanalyse, Logique, Eveil de coma. Vous y retrouverez l'histoire du croissant, le pragmatisme, et des éléments qui vont avec la décision.
Il y a notamment quelque chose qui m'a beaucoup intéressé, connaissant Oury depuis décembre 86, — là ça se termine en juin 86. Il a reçu ma thèse en septembre ou octobre, et je l'ai passée en décembre —, j'ai donc rencontré Oury en décembre 86, entre temps il n'avait rien lu de ce que j'avais écrit, et je retrouve des préoccupations qui étaient les miennes quand j'écrivais toutes ces conneries, ça me scotche, ça, non pas l'histoire du croissant que j'ai écrite plus tard, en 92 ou 93.
Ce qui m'a beaucoup intéressé c'est une référence à Viktor von Weizsäcker, l'auteur de Pathosophie, que Marc Ledoux a traduit, la chose intéressante porte sur la décision. Vous pourrez découvrir que Oury parle de la décision d'une façon extrêmement élaborée, et il en fait un concept superbe, il s'intéresse à un moment donné sur… est-ce que, à un moment donné, quelqu'un prend une décision ? Il dit qu'on ne peut dire une chose comme ça, la décision se prend, enfin il ne le dit pas exactement comme ça, je le traduis dans mon langage, dans ce que je comprends de ce qu'il écrit, parce que ce sont là des traductions, on traduit tous les textes des autres, on passe notre temps à ça.
Je me souviens de « mon bon Riguet », le mathématicien de Lacan, chez qui j'avais passé trois jours, chaque fois que je parlais il traduisait dans sa langue à lui, c'était tout à fait étonnant, il avait inventé les gractes, il traduisait tout en gractes, ce n'est pas fou, chacun est comme ça, quand je vous parle, je vous dis des trucs que vous traduisez dans votre langue… c'est la raison pour laquelle j'avais écrit un texte sur la traduction, je disais que la traduction est le minimum qu'on puisse faire, on traduit la langue de l'autre, et si on la traduit ça signifie qu'on la connaît un peu.
Il faut s'initier à la langue de l'autre, on ne peut pas se précipiter dans la traduction sans porter un minimum d'intérêt à la langue de l'autre, et en particulier quand on reçoit quelqu'un il parle une langue qui nous est étrangère, c'est un peu ce que veut dire Lacan avec lalangue, chacun parle sa « lalangue », c'est-à-dire qu'il parle son truc qui s'est inscrit dans son corps sans qu'on sache où ni comment, quand je vous parle de tessère corporelles… il parle de quelque chose qui est cette langue qu'il a en lui, qu'il présente dans la langue qui sert de médiateur un petit peu, dans laquelle il va fournir quelques éléments de compréhension à l'autre, mais il ne faut pas s'arrêter à la compréhension de ce que les personnes disent, c'est pour ça qu'il n'y a rien à comprendre dans le travail psychothérapique, la seule chose c'est de pouvoir entendre tout à coup un truc qui sonne, et qui amène la présence… on entend quelque chose de lalangue qui surgit, et qu'on traduit à ce moment-là dans ce qu'on comprend de la langue de l'autre, c'est la position d'Horace Torrubia, qui disait « notre travail c'est d'apprendre la langue de l'autre », et ce n'est pas si simple. Car ce n'est pas parce que nous parlons la même langue que l'on peut apprendre la langue de l'autre.
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