Ni Naissance (Yann Moix) du reste, qui remportait le Renaudot ; j'y aurais survécu...
Bouleversant, grandiose, beau, sobre, majeur.. les mots me manquent pour qualifier ce chef d'oeuvre d'humanité, d'amitié, de plume, de guerre et de paix. Un roman qu'il faut lire à tout prix, Sorj Chalandon: MERCI!
Noeud de l'intrigue: un serment d'amitié. Tandis que Sam résistant grec, juif de Salonique se meurt d'un cancer, Georges (Sorj?) ,le narrateur, promet à son ami de mener à terme le projet de sa (fin de ) vie: donner à Beyrouth, en guerre -nous sommes en 1982- , une représentation d'Antigone de Jean Anouilh qui produira une troupe hétérogène, syncrétique, chrétienne, chiite, musulmane, palestinienne, druze ... en une parenthèse sublime et utopique, de paix. L'occasion pour le jeune idéaliste de confronter sa révolte soixante-huitarde, gauchiste, ses préjugés en matière de conflit israélo-palestinien à la réalité fracassante et absurde de la guerre.
"Alors je lui ai raconté Anouilh. Je lui ai avoué Samuel. J'ai expliqué que mon ami avait eu l'idée de voler deux heures à la guerre, en prélevant un coeur dans chaque camp."
"Le quatrième mur, c'est ce qui empêche le comédien de baiser avec le public" Rempart imaginaire d'une scène qui sépare la fiction de la réalité, qui doit protéger les personnages du trac, du public, il lui arrive de s'effondrer sur les acteurs. La guerre le veut, qui l' érige parfois infranchissable, irrémédiable couperet entre les populations en paix et celles qui connaissent la guerre. La découverte de la violence, des exactions sordides et atroces empêchera Georges de vivre normalement parmi les siens à son second retour du Liban.
" Il ne manquait plus que moi pour faire nous"
Mise en scène, analyse actualisée d'une Antigone créée par Jean Anouilh au plus sombre de la seconde guerre mondiale , Le quatrième mur lui donne un souffle nouveau, puissant, époustouflant.
Le style est maîtrisé, soigné, fluide, imagé, dense et percutant. Simplement grandiose.
Un chef d'oeuvre, je l'affirme
Apolline Elter
Le quatrième mur, Sorj Chalandon, roman, Ed. Grasset, septembre 2013, 332 pp, 19 €
Billet de erveur
AE : Le théâtre est-il lieu de résistance ? Albert Camus, Jean Anouilh, …le voyaient comme un vecteur d’idéaux.
Sorj Chalandon : Je ne sais s’il est un lieu de résistance. Aucune réplique théâtrale n’obligera jamais un fusil à se taire. Mais le théâtre est un autre moyen de raconter la vie et de rester en vie. Monter Antigone à Beyrouth, pour Georges et Sam, est un acte majeur : Obliger chaque camp ennemi à offrir non un combattant à la guerre, mais un acteur à la paix. Que la pièce soit jouée ou non n’est pas au cœur de cette tragédie. L’essentiel est que des hommes de bonne volonté aient tenté de le faire
AE : Avez-vous connu, rencontré Jean Anouih ?
Sorj Chalandon : Son travail, oui. L’homme, non. Dans ce livre, il offre à Georges une lettre de recommandation pour jouer son Antigone à Beyrouth. Ce fait est de pure fiction. Mais la fille de l’écrivain, très émue par ce texte, m’a dit qu’un tel geste aurait pu être celui de son père.
AE : Le quatrième mur, c’est aussi celui que franchit Georges et qui rend son retour à la paix, parmi les siens, impossible ?
Sorj Chalandon : Oui. Au-delà du mur invisible qui protège les acteurs des spectateurs au théâtre, j’ai envoyé Georges traverser le mur qui sépare le paix de la guerre, puis la vie de la mort. Georges est un emmuré. Je voulais qu’il ne revienne pas. Contrairement à lui, j’ai fait le chemin inverse, traversé le mur qui me ramenait à la vie et à la paix. Mais ici, il n’y avait plus de place pour deux.