Chiffres du chômage : l’impuissance cachée de Hollande
Publié Par Léopold Saroyan, le 28 décembre 2013 dans Travail & emploiFrançois Hollande ne pourra pas inverser la courbe du chômage à court terme car il n’en n’a pas les moyens. Par contre, il peut agir sur d’autres leviers, moins visibles.
Par Léopold Saroyan.
En réalité, tout connaisseur du marché de l’emploi, de la règlementation en la matière, et de la manière de fonctionner du service public de l’emploi ne peut que rester perplexe face à cet objectif fixé par le Chef de l’État lui-même alors qu’il n’a presque aucun levier d’action. Ce que peut faire l’exécutif est assez limité : il peut changer la législation du travail mais c’est une entreprise de très longue haleine (négociation avec les partenaires sociaux, travail législatif, etc.) dont les effets ne seront observés que sur le long terme ; il peut créer des contrats aidés mais comme nous l’avons montré dans un récent article, la fonction de ces contrats est de permettre aux grandes administrations et entreprises publiques d’embaucher du personnel plus ou moins discrètement ; il peut mettre tous les acteurs du service public de l’emploi autour d’une table ; et enfin, il peut transférer des sommes considérables aux collectivités territoriales françaises afin qu’elles mettent en œuvre des politiques de retour à l’emploi, de formation, etc.
L’État, l’exécutif, n’a absolument aucun levier permettant d’accroître le retour à l’emploi des chômeurs, c’est toujours une autre institution qui a la main. Par exemple, concernant la formation professionnelle : l’État ne gère absolument rien en direct, il verse des crédits aux Conseils régionaux qui sont ensuite en charge de la mise en œuvre de la politique qu’ils décident de faire, sans avoir à aucun moment de rendre de compte à quiconque, et en particulier pas à l’État. C’est ce que l’on appelle le principe de libre administration des collectivités, garanti par l’article 72 de la Constitution française. En particulier, un Conseil régional peut recevoir de l’État des fonds pour la formation professionnelle et s’en servir pour construire un aéroport ou rénover un lycée, selon que cela soit ou pas dans ses priorités. François Hollande peut claironner qu’il verse X millions d’euros à tel Conseil régional, soulignant ainsi son combat contre le chômage, mais il se peut très bien qu’il n’y ait en réalité absolument rien derrière cette annonce, c’est au bon vouloir du récipiendaire du financement.
Autre exemple : lorsque François Hollande dit que son gouvernement va mettre le paquet sur la lutte contre le chômage des jeunes, il oublie de préciser que l’acteur qui va prendre à bras le corps ce problème n’est pas l’État, mais les missions locales, co-financées par l’État, Pôle emploi, et les collectivités locales, et présidées par des élus locaux et non par des fonctionnaires de préfecture dépendant de l’État. Là encore, l’exécutif parle, mais les missions locales décident à peu près de faire ce qu’elles veulent. Miracle de la décentralisation à la française.
Dernier exemple : l’acteur majeur du retour à l’emploi qu’est Pôle emploi est financé à 35% par l’État, et à 65% par l’Unedic, organisme géré par les partenaires sociaux, syndicats de salariés et de patrons, ces deux ratios indiquant qui détient le pouvoir réellement dans cette institution. Le fonctionnement de Pôle emploi est régi par une convention tripartite signée par l’État, Pôle emploi, et l’Unedic, cette dernière n’hésitant jamais à faire valoir ses « droits ». À titre d’illustration, allez jeter un œil à une récente résolution du Conseil d’administration de Pôle emploi, qui n’est rien d’autre qu’une fronde à l’égard de l’exécutif, le refus catégorique d’une décision politique prise par un exécutif qui est supposé avoir du pouvoir, mais pas sur Pôle emploi. De même, le dernier point d’étape de la mise en œuvre de la dernière convention tripartite de 2012 qui a eu lieu le 21 mai 2013 va dans le même sens : son compte-rendu ne cite pratiquement pas l’État, réduit ici au rang de spectateur quasi-impuissant.
Tout ceci montre bien que l’exécutif n’a en réalité que peu de leviers pour imposer des choses au service public de l’emploi et que par conséquent lorsqu’il affirme qu’il va faire baisser le chômage, il fait une promesse qui pourra ou pas se réaliser mais sur laquelle il n’a pas vraiment prise.
Donc reprocher à François Hollande de ne pas avoir fait baisser le chômage, ou de ne pas inverser la courbe du chômage comme il l’a lui-même dit est presque une ineptie ou une sottise : lui reprocher c’est rejoindre la meute des journalistes qui se contente des communiqués de presse des uns et des autres pour évaluer les mérites et défauts des politiques publiques, c’est rester à la surface des choses. Le pire étant que se focaliser sur ce fameux objectif d’inversion de la courbe du chômage fait que l’on rate complètement le vrai sujet : il existe en la matière deux choses bien plus graves à reprocher à François Hollande.
Le premier reproche a trait à la posture politique du Président : nous avons démontré ci-dessus qu’il enfume le peuple français, le reste de la classe politique, les journalistes, soit pratiquement tout le monde. Dans quelques mois si le chômage baisse, il se félicitera de cela comme il pourrait se féliciter qu’il fasse beau en août 2014. Que je sache, François Hollande n’a pas le pouvoir de contrôler la météo, et la question posée ici est grave : exerce-t-il réellement un contrôle sur les politiques publiques dont il parle ? N’est-il pas en réalité impuissant ?
Le second reproche que l’on pourrait faire : l’un des rares pouvoirs de François Hollande sur le service public de l’emploi est de changer totalement les règles du jeu, la manière de fonctionner de celui-ci, notamment en clarifiant les responsabilités et en mettant fin au capharnaüm absolument épouvantable dans ce domaine (à ce titre, voir l’excellent livre de Bertrand Martinot sur le sujet) : tous les acteurs publics (conseils généraux, mairies, Pôle emploi, etc.) font tout à la fois (formation, retour à l’emploi, etc.) sans aucune concertation, sans aucune évaluation, et surtout sans aucune stratégie globale.
C’est donc à un nettoyage des écuries d’Augias que doit se consacrer François Hollande, certainement pas au commentaire mensuel des chiffres de l’emploi sur lesquels il n’a qu’une prise très indirecte. Il tarde à le faire car cela demanderait un courage exceptionnel que de se lancer dans une telle entreprise étant donné qu’il aurait face à lui tous les conservatismes de France : syndicats, élus locaux, etc. C’est sur ce sujet-là qu’il faut mettre la pression sur l’exécutif, certainement pas sur des petites anecdotes comme les chiffres du chômage.
è