Bonheur sans nuage que cette reprise de "My Fair Lady", vue pour la première fois en 2010, permettant de constater que l'oeuvre de Lerner & Loewe, pépite de l'âge d'or des comédies musicales (1956 pour la création), n'a pas pris une ride, contrairement à certaines de ses contemporaines. Livret brillamment structuré, mélodies inspirées, modernes, élégantes, malicieuses (la plupart sont devenues des tubes), personnages à l'épaisseur appréciable, dialogues irrésistibles... Grâce à un casting quasiment irréprochable, aux dizaines de musiciens de l'orchestre Pasdeloup, aux sublimes décors, aussi imposants qu'aériens, de Tim Hatley, et surtout à la mise en scène d'une évidence et d'une fluidité rares signée Robert Carsen (d'après l'originale), la petite marchande de fleurs enchante à nouveau la capitale dans l'établissement de Jean-Luc Choplin.
En quelques mots, pitchons l'intrigue de ce musical célébrissime adapté du "Pygmalion" de George Bernard Shaw. Londres. Epoque Victorienne. Eliza Doolittle, vendeuse de bouquets à la sauvette dont l'accent cockney à couper au couteau et les manières on ne peut plus populaires ne laissent aucun doute sur sa condition, se voit prise en main par le professeur Higgins, aristocrate, célibataire endurci, spécialiste du langage, toqué de phonétique, qui à la suite d'un pari avec son ami Pickering, décide de s'amuser avec elle et d'en faire une femme du monde en moins de six mois. Ses efforts seront payants, le pari gagné, mais ses rapports avec la volcanique Eliza s'avéreront sacrément tumultueux...
Pas un interprète qui ne soit à la hauteur de sa partition. Non seulement, tous se révèlent dignes des plus grandes scènes lyriques, mais dévoilent également un jeu d'acteur exceptionnel, point non négligeable lorsqu'on sait que "My Fair Lady" comporte 60% de dialogues pour 40% de moments chantés (chose inhabituelle dans le monde des musicals qui affichent généralement des proportions inverses). Parce qu'on ne pourra citer ici la cinquantaine d'artistes présents en plateau, évoquons simplement les deux rôles principaux. Alex Jennings campe un Higgins drolatique, suffisant, caractériel et machiste à souhait, à l'ambiguité savoureuse, véritablement hilarant lorsqu'il redevient petit garçon devant sa mère. Sa virtuosité, son aisance extraordinaire, lui permettent de conduire et rythmer merveilleusement le spectacle. Face à lui, Katherine Manley est une Eliza un peu âgée (trop femme) mais totalement investie et convaincante. Gouaille parfaite, efficacité comique, voix cristalline... Fabuleux duo, électrique et charmant.
Un ensemble généreusement "fourni" offrant une dimension, une puissance exceptionnelle à l'intégralité des tableaux proposés, ainsi que quelques chorégraphies heureusement pensées parachèvent un moment des plus enthousiasmants. Remercions donc le Châtelet de cette production riche, joyeuse, populaire, visible quelques jours encore... Pour qui aura la patience de tenter sa chance sur le trottoir, pancarte à la main, trente minutes avant le début de la représentation. Car c'est évidemment complet.