Saisons 1 et 2
Le 1er janvier, ce sera le Nouvel An, mais ce sera aussi la diffusion, sur la BBC, du premier épisode de la saison 3 de la série britannique Sherlock, créée par Steven Moffat (également showrunner de Doctor Who) et Mark Gatiss. L’occasion pour nous de revenir sur deux saisons désormais lointaines avant la reprise de la très attendue troisième saison.
La série a en effet connu un arrêt de deux ans. Une attente que l’on doit, au moins en partie, à l’agenda très chargé des deux acteurs principaux. Mais, malgré l’impatience qu’elle a provoquée, cette temporisation trouvait aussi sa justification chez Conan Doyle lui-même : l’auteur, lassé d’être accaparé par les aventures de son héros, avait ainsi choisi de le faire mourir. Sous la pression des lecteurs, Conan Doyle fit ressusciter Sherlock Holmes dix ans plus tard. Heureusement pour nous, nous n’avons pas eu à attendre si longtemps, et le détective consultant nous revient enfin.
© BBC (British Broadcasting Corporation)
Figure la plus utilisée de l’histoire du cinéma et personnage plus que populaire, Sherlock Holmes a donc eu droit, en 2010, à une nouvelle adaptation sérielle. Sherlock aurait pu n’être qu’une énième resucée de l’univers de Sir Arthur Conan Doyle, et le projet avait de quoi inquiéter puisqu’il prévoyait la transposition des aventures du locataire du 221B Baker Street au XXI° siècle.
Un pari risqué donc, mais un pari très vite gagné car il s’est avéré, contre toute attente, très fidèle à la geste holmesienne. La plus grande difficulté narrative résidait bien dans cet entre-deux inconfortable : séduire le public en lui proposant une relecture contemporaine du personnage, sans trop s’éloigner de la figure iconique du détective. La série parvient habilement à résoudre le problème en transposant les éléments originaux dans un nouveau monde : le docteur Watson raconte les enquêtes de son ami sur un blog, Sherlock communique par textos. A bien y regarder, la plupart des éléments romanesques ont été conservés tels quels : John Watson a été médecin en Afghanistan, Sherlock est accro à la nicotine (même s’il est en passe d’arrêter), joue du violon, est un sportif accompli. Très bien documentée, la série joue même avec les invraisemblances des écrits de Conan Doyle, notamment la blessure de Watson (à la jambe ou à l’épaule ?).
La série repose en grande partie – comme les romans et nouvelles – sur le caractère souvent désagréable du détective, froid, méthodique, génie méprisant imbu de lui-même. La série ne se contente cependant pas d’un personnage principal écrasant, et consacre aux seconds rôles de belles prestations (une Mrs. Hudson aux petits soins avec les deux compères, un inspecteur Lestrade souvent dépassé). Le premier épisode de la saison 1 était ainsi une réussite truculente, posant les bases de la série et mettant en scène la rencontre entre Holmes et Watson, et la naissance de leur amitié compliquée.
La série pêche tout de même en termes de mise en scène, domaine dans lequel elle manque beaucoup d’inventivité, se contentant le plus souvent d’un découpage très classique. Quelques bonnes idées donnent heureusement à Sherlock son identité visuelle, notamment les incrustations de textes (textos reçus, mots-clés, articles de blogs). De façon générale, la série se construit autour du point de vue de Sherlock Holmes pour "illustrer" ses capacités de déduction plus visuellement qu’avec de simples dialogues : les réflexions fulgurantes du détective face à un cadavre sont signifiées par un montage très rapide accompagné de textes, imitant le regard scrutateur de Holmes.
Mais la série est d’abord une réussite scénaristique. Le défi était de taille : le succès toujours important des séries policières aurait pu ne pas être reconduit ici, les enquêtes étant basées sur les récits plus que connus de Conan Doyle. On se retrouve donc avec des enquêtes dont on connaît, a priori en tout cas, l’issue. Mais le scénario est habile et réinvente une grande partie des enquêtes, sans se débarrasser de l’essentiel du plaisir procuré par le personnage de Sherlock Holmes : la délectation référentielle. C’est sur le terrain de la référence que la série s’avère la plus réussie : les personnages emblématiques sont réinventés (Moriarty, Irene Adler), des éléments narratifs sont redistribués (les chutes de Reichenbach), l’imagerie mythique se construit peu à peu (les soupçons d’homosexualité, le célèbre chapeau deerstalker de Holmes, bientôt la moustache de Watson à en croire les premières images de la saison 3). Le format très long (90 minutes) adopté par la série permet au récit de prendre son temps et de se concentrer sur ses personnages plus que sur ses enquêtes.
L’importance des personnages dans Sherlock est telle qu’on imagine difficilement la réussite de la série sans ses deux acteurs principaux. Benedict Cumberbatch (Sherlock Holmes) excelle en génie désagréable, surexcité ou amorphe : blanc comme un linge, la voix très grave, il est toujours un peu inquiétant, à tel point qu’on l’imagine sans peine incarner de grands méchants (J.J. Abrams pour Star Trek Into Darkness et Peter Jackson pour The Hobbit ne s’y sont pas trompés). Martin Freeman (John Watson) est le relais idéal de notre oeil de quidam : il alterne habilement entre l’abasourdissement fasciné et l’intransigeance du protecteur et ami. Les acteurs secondaires sont eux aussi remarquables, et on apprécie chaque apparition (peut-être plus particulièrement celle de Mycroft Holmes, le frère de Sherlock, joué par le co-créateur de la série, Mark Gatiss lui-même !).
http://www.youtube.com/watch?v=JwntNANJCOE#t=402
Pour Noël, la BBC nous a gratifiés d’un mini-épisode plaisant, idéal en attendant la nouvelle année et le retour du détective londonien. On est d’autant plus pressé de le retrouver que la saison 3 verra nécessairement de grands changements : Moriarty mort, Watson marié, comment Sherlock Holmes va-t-il pouvoir se remettre au travail ? On attend donc avec impatience les nouvelles propositions narratives de Moffat et Gatiss pour cette saison 3, avant l’annonce officielle d’une hypothétique saison 4, à laquelle les acteurs se sont déjà montrés favorables.
Alice Letoulat
Diffusion du premier épisode de la saison 3 le 1er janvier 2014 sur la BBC