La journaliste Olivia Mokiejewski. | FRANCE 2/JULIEN CAUVIN
S’il avait voulu se la jouer espiègle, le hasard n’aurait pas pointé son index ailleurs sur la carte. Rendez-vous dans un restaurant de la rue de la Roquette, à Paris, un rien branché d’ordinaire. En arrivant, surprise. Ce jour-là, sans que l’on sache pourquoi, l’établissement est entièrement transformé en basse-cour. Le sol a été couvert de paille ; entre les tables, poules, chèvres et moutons goûtent une certaine forme de liberté, indifférents à la ronde et à l’agitation des hommes. On ne le savait pas. Peu importe : le décor semble taillé sur mesure pour la journaliste et réalisatrice Olivia Mokiejewski.
Olivier ZilbertinC’est qu’avant d’être « L’Emmerdeuse » qui s’invite à l’assemblée générale de Coca-Cola et cherche à lever le mystère sur la composition de ce soda, avant d’être « L’Emmerdeuse » qui enquête sur la filière porcine en France, il se trouve qu’Olivia Mokiejewski, 36 ans, se fit d’abord un nom dans le documentaire animalier. Un nom… Le mot nous a échappé. On savait qu’on y viendrait de toute façon, qu’il faudrait bien buter à un moment où à un autre sur ce patronyme. Nous y voilà. Mokiejewski. Toujours une lettre qui se dérobe sous le stylo, un son qui reste coincé dans la bouche. Toujours un couac.
EXISTER PAR SOI-MÊME
Oui, mais surtout un nom complet, bien à elle, avec ces deux syllabes à la fin qui parlent polonais, et les deux du début qui causent cinéma. Elle a tenu à le garder intact, ce nom, quand la télé, avide de raccourcis, lui suggérait de prendre un pseudonyme. Pas question. Elle y tenait trop, Olivia, aux quatre syllabes qui la faisaient exister par elle-même, à cette terminaison qui prouve qu’elle s’est « débrouillée toute seule ». « Je suis très fière de mon père, mais je ne suis pas une “fille de” », insiste-t-elle. Jean-Pierre Mocky l’aurait préférée sur grand écran plutôt que sur petit. On peut voir la maman, Marisa, dans quelques films du père. On croit comprendre que le cinéma n’a pas soudé très solidement la famille. Et, quand des tournages appelaient au loin la troupe, Olivia se retrouvait chez sa grand-mère, à Grenoble. C’est peut-être là qu’elle a tissé les liens très forts qui l’unissent à la nature.
Un DEA d’économie, des premiers postes sur la chaîne LCI, des débuts au siège new-yorkais de l’AFP, un passage à Investir : le parcours de journaliste économique semblait tout tracé. Sauf qu’Olivia Mokiejewski a vite vu qu’elle n’avait pas choisi ce métier « pour commenter le prix du mètre carré à Paris ». Changement de programme. A la rédaction en chef de « Vu du Ciel », l’émission de Yann Arthus-Bertrand, à la réalisation des « Orphelins du paradis », une série consacrée aux centres de réhabilitation pour animaux sauvages blessés et abandonnés, la jeune femme s’est sentie plus dans son élément. Une manière de faire rimer sa profession avec ses convictions.
Il lui a fallu se montrer à l’écran, bien qu’elle ne s’y sente pas à l’aise. Mais elle a pu constater combien sa propre visibilité donnait de poids aux combats qu’elle menait. Pour la cause animale : parce que l’humanité se mesure aussi au « rapport que l’on entretient avec les autres espèces ». Pour la nature, et « cette poésie d’un monde qui n’est pas marchand ». Des engagements, fruit « d’émotions particulières », qui se déclenchent au spectacle d’une nature que l’on abîme ou d’un animal que l’on fait souffrir. Durant les trois mois de son enquête sur la filière porcine, Olivia Mokiejewski a mal dormi. Dans ses cauchemars, ce n’était plus des cochons que l’on empalait sur des crochets de boucher, mais des hommes.
Depuis qu’elle campe « L’Emmerdeuse », avec ce mélange singulier d’audace et de retenue, elle a de surcroît renforcé son aspiration à la métamorphose. Comme un nouveau combat personnel, en quelque sorte, un processus de repentance : inverser le rapport des forces entre la consommatrice et la citoyenne qui se sont longtemps affrontées en elle. Peu à peu, la jeune femme a ainsi renoncé aux cosmétiques et aux apparats de la dernière mode pour acheter ses vêtements en dépôt-vente. Pour autant, elle ne fait « pas la danse de la pluie, ne mange pas de salades bio avec des hippies ». Si elle se « complique parfois un peu la vie », c’est dans l’unique but de « consommer avec du sens ».
En 2014, « L’Emmerdeuse » devrait revenir avec une troisième enquête. Pour « Grandeur nature », sur France 2, Olivia Mokiejewski a par ailleurs lancé une nouvelle idée : « Eden » ou la visite des derniers espaces sauvages, menacés alors qu’ils sont indispensables à l’équilibre de la planète. France 2 devrait également diffuser en première partie de soirée un film produit par la BBC et consacré aux grands singes. Où l’homme ne serait plus un lointain descendant, mais un singe comme les autres. Une histoire de famille et d’identité, en somme, présentée par Olivia. Olivia comment ?
(Article publié dans le Monde daté du 22 décembre 2013)