Culture visuelle : l'œil d'une époque

Publié le 27 décembre 2013 par Fmariet

Michael Baxandall, Painting & Experience in the Fifteenth-Century Italy. A primer in the social history of pictorial style, Second edition, Oxford University Press, 1972, 1988, 183 p. Index. Illustrations.
Traduction française par Yvette Delsaut : L'Œil du Quattrocento, Paris, Gallimard.
Cet ouvrage a été publié il y a une quarantaine d'années. Son auteur, Michael Baxandall, est un historien de l'art. Son approche se caractérise par une prise en compte aussi large que possible des conditions socio-économiques de production des oeuvres d'art afin de dégager la manière de percevoir et concevoir d'une époque ("the period eye", d'où le titre de la traduction française). Il s'agit des habitudes visuelles inculquées par la vie sociale et technique d'une époque, habitudes qui assurent automatiquement une correspondance entre création et réception, un ajustement entre production et consommation : "His (the painter) public's visual capacity must be his medium". L'objectif de Michael Baxandall consiste à dégager le "style cognitif" du Quattrocento, sorte de "main invisible" qui règle le marché de la peinture.
L'ouvrage comprend trois parties. L'auteur commence par l'analyse du marché de la peinture à partir des traces de la gestion courante et du commerce dans les contrats, la comptabilité, les courriers.
La seconde partie étudie les "dispositions visuelles vernaculaires" présentes à la fois dans les tableaux et dans des pratiques religieuses, sociales et commerciales. Que partage le peintre avec son public ? Un outillage technique et perceptif acquis à l'école à des fins commerciales : techniques de mesure, d'estimation (gauging), géométrie euclidienne (droites, angles, aires, volumes), arithmétique (règle de trois, proportions). Il partage aussi avec son public un catalogue de mouvements issus de la danse et de ses traités, un répertoire de gestes (sémiologie des gestes des mains à laquelle recourt aussi celui qui prêche).
Pour finir, l'ouvrage inventorie les composantes majeurs de "l'équipement intellectuel adapté à l'examen des peintures" de cette époque : 16 catégories qui définissent le style cognitif de l'époque, "a compact Quattrocento equipment for looking at Quattrocento paintings".
Michael Baxandall souligne que le peintre du Quattrocento ne montre pas tout : il complète la vision intérieure de son public en tenant compte de ce qui est déjà acquis par ce public ("He complements the beholder's interior vision"). Cette vision intérieure constitue une sorte de hors-champ qu'omettent, par construction, les analyses de contenu, si courantes dans les études des médias et de la publicité. De plus, il y a répétition entre le travail du prêtre et celui du peintre, répétition facilitant inculcation et réception.
Les concepts forgés par Michael Baxandall pour l'analyse des cultures visuelles peuvent être mobilisés pour l'analyse des médias qui relèvent aussi de la culture visuelle (gestes et expressions des acteurs et des spectateurs des séries américaines, etc.). Comment articuler les concepts élaborés pour cet ouvrage avec la notion d'habitus (Erwin Panofsky) ? Manifestement, l'histoire des média peut avec profit emprunter à l'histoire de l'art ses techniques et ses outils.