Avant 1995, le nom de Nicolas Peyrac était pour moi synonyme de chanteur ringard qui avait eu un ou deux tubes 20 ans auparavant ("Je pars" ou "so far away" que Radio Nostalgie diffusait constamment et que je n'aimais pas particulièrement) mais qui, depui,s n'avait plus aucune actualité digne de ce nom.
Et puis, un peu par hasard, d'après mes souvenirs, c'est en voyant une publicité sur TF1 (oui, à cette époque, je devais mater TF1, du moins plus que maintenant) sur le CD qu'il sorti cette année là," j'avance", que je me suis mis à regarder d'une autre façon l'artiste.
Il faut dire que j'aimais bien le single extrait de l'album ( "Quel que soit le mauvais temps j'avance / Vers ce qui reste de lumière j'avance / Tant pis pour les orages j'avance j'avance", qui s'en souvient à part moi?), j'ai donc acheté le CD dans un hypermarché près de chez moi ( le genre de souvenir totalement anodin qui reste en mémoire), et malgré les sarcasmes de mes proches, pour qui Peyrac c'était vraiment ringard, je l'ai écouté et alors, je me rappelle parfaitement être tombé totalement sous le charme de son univers.
J'aimais notamment la manière dont il agençait ses vers et ses mots, cette façon un peu particulière d'y intégrer des verbes et des adverbes pas forcément dans le sens attendu, mais dans une position, qui tels quels, donnaient une vraie beauté et une vraie émotion aux textes, servis par des mélodies souvent épurés mais assez poignantes aussi.
Du coup, je me suis mis à prendre dans les bibiliothèques parisiennes (pas de deezer à l'époque, of course) tous les CD qu'il avait pu sortir entre 1980 et 1995, puis à continuer à acheter les CD de l'artiste parues dans les années postérieures, à savoir en 1998, en 2004 en 2006, alors même que ces disques sortaient sans aucune promotion( plus de TF1 à l'horizon) et que je me demandais même comment il arrivait à sortir ces disques vu qu'il me semblait que j'étais le seul en France à les écouter ( il faut dire qu'il était parti s'exiler au Canada pendant plus de 10 ans, ca aide pas)...
Et pourtant, j'aimais toujours autant ces chansons, et les phrases parfois magnifiques qui en ressortaient, des phrases souvent mélancoliques, souvent tristes, mais qui rejoignaient totalement les reflexions que je pouvais avoir de mon côté.
Je me retrouvais tant dans les mots de Peyrac que j'ai poussé le vice à aller lire 2 des 3 romans que Nicolas Peyrac a publié dont le premier en 1194 (Qu'importe le boulevard où tu m'attends,) puis l'excellent polar sorti en 2006 J'ai su dès le premier jour que je la tuerais.
Bref, fan de Nicolas Peyrac sans l'assumer totalement (tant on est très peu de ma génération à l'être), j'ai été ravi de voir qu'en cette rentrée 2013, il était pour la première fois depuis bien longtemps, revenu un peu sous les feux de l'actualité avec deux oeuvres différentes, un livre et un disque qui bénéficie visiblement d'une exposition médiatique un peu plus poussée que lors de ces 20 dernières années.
Commencons par le livre, So Far Away, Un certain 21 mars paru le 10 octobre dernier aux éditions de L’Archipel et que je viens de finir. Pas vraiment ses mémoires, comme il le dit dès le début, mais plutot une sorte de carnet de route mélangeant un récit mélangeant anecdotes, souvenirs, rencontres, instantanés d'une vie, le tout raconté de façon totalement anti-chronologique, dans une espèce de récit-poupée gigogne, où chaque souvenir en appelle d'autres plus ou moins liées.
On s'y perd parfois un peu à cause de cette construction qui a au moins le mérite de l'originalité ( moi qui lis tant de biographies académiques) et le procédé n'évite pas quelques répititions, mais l'ensemble reste passionnant pour qui comme moi aime le bonhomme et l'artiste.
Ce récit nous confirme surtout que le type est à la fois pudique, modeste, pétri d'humanité et de principes, et toujours animé par l'amour de l'écriture et des mots, ainsi que d'autres fils conducteurs que sont les voyages, les guitares, la photographie qu'il exerce en amateur, et aussi et surtout l'amour de ses proches et de ses quelques fidèles sur qui il a pu compter lorsqu'il a connu de longues années de depression, suite à un divorce tout juste esquissé, l'homme n'aimant pas s'épancher sur des douleurs qu'on devine encore un peu vives, malgré le bonheur retrouvé.
Dans ce récit de 300 pages qui se lit bien vite avec un réel plaisir, vont se méler petits drames et grands bonheurs privés et quelques anecdotes plus ou moins croustillantes mélant Patrick Sebastien, Serge Lama, Michel Berger, Barbara et bien d'autres encore....
J'ignorais que Nicolas Peyrac avait été étudiant en médecine avant d'être happé par la chanson devenu chanteur, mais ce qu'on voit surtout à travers ces 300 pages, c'est sa foi inébralanble envers le pouvoir de l'écriture, plus que son amour pour la scène, qu'il a visiblement longtemps appréhendé avant de la maitriser un peu mieux depuis peu.
Et même si l'homme est très pudique, il nous raconte quand même en exergue l'événement qui le pousse à écrire cette autobiographie : "Le 21 mars 2012, on m’a diagnostiqué une leucémie. Il s’agit d’une forme légère de cette maladie, avec laquelle certains vivent de nombreuses années. L’annonce a pourtant créé cette sensation d’épée de Damoclès au-dessus de ma tête : ce face-à-face avec ma propre mortalité a provoqué l’urgence. Je ne pouvais plus différer mes impératifs. Je voulais, en ces pages, rendre hommage à mes belles rencontres, à ceux qui m’ont tendu la main, qui ont cru en moi, les passeurs d’énergie, d’idées, de confiance… Raconter aussi ces expériences qui détruisent, reconstruisent, renforcent, nous affaiblissent : l’alchimie d’une vie."
A la lecture de ces 280 pages pleine de sensibilité, on peut dire que l'exercice est pleinement réussi, Monsieur Peyrac!!
Cette epée de Damoclès lié à l'annonce de la maladie est certainement aussi à l'origine de l'autre actualité de Nicolas Peyrac , aussi, explique la parution d'un album de duos. C'est ainsi qu'est né « Et nous voilà ! », un album de duos qui métisse le timbre si reconnaissable de Nicolas Peyrac avec les voix de Bénabar, d'Anaïs, d'Emmanuel Moire, de Sofia Essaïdi, de Mickaël Furnon, de Julie Zenatti, de Serge Lama, de Sanseverino, de Carmen Maria Vega. Comme un riche carrefour des générations.
Un homme est à l'origine de ce projet, son ex-manager Mathieu Johann (pour suivre les deux sur leurs comptes Twitter, je connaissais leur complicités, mais je ne savais pas avant de lire le livre que Mathieu Johann, que j'aimais bien du temps de la Star Academy 4 était le manager de Nicolas Peyrac ) qui a lourdement insisté pour qu'il se réalise.
Visiblement, Nicolas Peyrac a éprouvé quelques réticences à ce projet , jugeant l’idée trop convenue. Et moi même j'étais plus que sceptique lorsque j'avais appris que Nicolas Peyrac allait lui-aussi céder à la mode de l'album de duos, après le succès de celui de Michel Delpech ou de Gérard Lenorman. Ce genre d'albums m'a toujours semblé inutile et puis ce sont toujours les chansons les plus connues qui sont mise en avant, jamais les raretés. Les arguments du jeune homme, producteur du disque, vainquirent la résistance de Peyrac, et le résultat final, eu raison de la mienne.
Car certes Nicolas Peyrac n'a pas pu éviter les 2/3 incontournables, mais ceux ci sortent plutot grandis de l'affaire: Ainsi, Et mon père, interprétée avec la truculente et lyonnaise ( cocorico!) Carmen Maria Vega, Je pars, avec le fidèle ami Lama, et So Far Away from L.A., partagé avec une vraie sensualité bienvenue avec la splendide Sofia Essaïdi( tiens une autre de la Star Ac),
Pour le reste, d’Anaïs à Mickaël Furnon, de Julie Zenatti à Bénabar, de Sanseverino à Enzo Enzo, d’Ycare à Emmanuel Moire, en passant par l’improbable François Morel, (pour une reprise de De l'autre côté de la lune, que j'aimais déjà infiniment et que le duo Nicolas Peyrac / François Morel contribue à me faire apprécier davantage encore), on constate Peyrac a su s'entourer de bien belle façon.
Et l'ensemble des titres a vraiment été retravaillé dans des versions souvent bluffantes qui apportent finalement un vrai plus aux chansons d'origine. Habilement rhabillées par Michel Coeuriot, le fameux arrangeur d'Alain Souchon et de Laurent Voulzy, ces tubes, mélangés à d'autres petites merveilles plus récentes de Nicolas Peyrac ( "La Soustraction", dans une version très subtile partagée avec Enzo Enzo, ou encore "Vice Versa", ou encore "S'aimer encore 1/4 d'heure", qu'est que j'ai pu les écouter ceux là il y a quelques années!!), retrouvent de nouvelles couleurs, une réelle modernité
Nicolas Peyrac, qui dit notamment dans ses mémoires qu'il n'était hélas connu que pour les deux ou trois mêmes chansons qui passent en boucle sur les radios, montre ici, s'il était encore besoin de le préciser, qu'il a énormément marqué de son empreinte le paysage de la chanson française et que son talent de mélodiste aura traversé sans contestation possible les décennies. Et en esperant qu'il continuera à traverser celle ci, et celle d'après, leucémie ou pas leucémie..