Le Poète de Gaza, Yishaï Sarid

Publié le 05 juillet 2013 par Cloizzo @mange_livres


"- On vous a recommandée à moi comme étant la personne qui pourrait m'aider. Je veux apprendre à écrire.
- A quel point- est-ce important pour vous ? Êtes-vous prêt à y consacrer du temps ? "

Hani rencontre Dafna. Ca commence comme un cours de littérature, au rythme lent d'une relation qui se tisse entre deux personnages que tout semble opposer (la vieille star de la littérature engagée et un quarantenaire au bord du burn out) ... et ça continue comme un roman d'espionnage drôlement bien ficelé. On ne peut pas en dire grand chose sans mettre en péril l'intelligence d'une construction qui dévoile pour petites touches un tableau d'ensemble de plus en plus glaçant au fils des pages, dans un dispositif narratif d'une finesse rare. Un roman qui se dévore - je l'ai ouvert, et je ne l'ai plus lâché, emportée dans son tourbillon quelque peu vertigineux.Le Poète de Gaza est autant l'histoire d'un naufrage personnel avec recherche de rédemption introuvable, qu'une analyse plus large, menée sans concession. Avec son écriture fluide, parfois tranchante, dont toute la beauté et la mélancolie réside dans les détails, Sarid définit des personnages d'une rare complexité dans ce type de genre, avec le duo-duel inoubliable de Dafna et Hani.
Dans une veine assez différente que Yehoshua dans Le Responsable des ressources humaines, mais avec le même vitriol, Sarid livre un questionnement troublant sur la société israélienne contemporaine. C'est que Sarid appartient à cette nouvelle génération (il est né dans les années 1960) d'écrivains israéliens, plus distanciée que ses prédécesseurs vis-à-vis de la Shoah et de sa mémoire - d'où un regard novateur, mais en revanche marquée par la guerre du Liban au début des années 1980, et les conflits régionaux, notamment dans le rapport avec les Palestiniens.
C'est ici le syndrome de citadelle assiégée d'Israël qui est passé au crible, au sein d'une société étrange, balançant entre la psychose et la quotidienneté acceptée du risque. Dans une vision tout sauf manichéenne, c'est la question éthique de la légitimité de l'utilisation de la violence qui est au centre du roman, qui, au final, soulève avec un certain brio le toujours le délicat problème du "vivre ensemble"et de l'humanité. En somme : hautement recommandé.
"J'avais l'impression d'être en compagnie d'adultes intelligents, et j'étais très surpris qu'ils prennent la peine de me parler. Jusqu'à ce qu'un sursaut de professionnalisme me traverse l'esprit et remette les choses en place, m'infligeant des élancements dans les tempes et des picotements dans les yeux."