La manie des inventaires vient du petit commerce. Il s’agit de savoir ce qu’il reste en rayonnage pour faire les réassorts de la prochaine année. Derrière les vitres passées au blanc on s’active dans les magasins avant la reprise qui viendra, c’est sûr, avec la fin de la trêve des confiseurs. Fermé pour cause d’inventaire ! Puis cette pratique a gagné le champ médiatique. Chaque année, il faut honorer le meilleur en tout, le ministre le plus détestable, le people le plus sexy, les meilleures vannes, le footeux au ballon d’or, le prénom le plus godiche, la petite phrase qui a fait le plus mouche, l’actrice à la taille la plus de guêpe, l’image qui va rester, etc. La liste pourrait s’allonger à l’infini tant l’imagination des rédacteurs, nommés journalistes dans les générations précédentes, prend de l’ampleur. La com’ tourne à plein régime toujours à la recherche d’oscars à décerner. Cette folie classificatoire est désormais au zénith avec le développement de l’Internet.
Les réseaux sociaux bruissent d’une info présentée comme une réflexion, forcément éclairée. Quel est le meilleur communicant ou la meilleure communicante de l'année ? And the winner is… LE PAPE ! Sans
S’il est indéniable que ce pape s’inscrit en contrepoint du précédent en ce qui concerne la relation aux médias et du comportement en public, il n’en demeure pas moins qu’être subjugué à ce point révèle que l’observation ne porte que sur la partie visible et spectaculaire de la tentative vaticane de moderniser une institution fatiguée et dépassée.
Le Monde Magazine 21 décembre 2013
Pratiquer une communication actualisée ne fait pas le communicant nouveau. Nul doute que dans l’entourage du Pape on réfléchit à la communication et à la gestion de l’image de ce pape là. Exemples : veut-on montrer l’empathie du locataire du Vatican ? L’action est là bien sûr mais les caméras aussi ! Laisse-t-on entendre l’humilité du comportement ? Avec un air bonhomme et simple, le Pape quitte son hôtel et paie sa note. Les photographes sont là pour immortaliser une si ordinaire scénette ! L’humilité est mise en scène. Le pape communicant n’a pas résisté à la tentation de l'oxymore. Est-il, pour autant, délivré du mal ? Il est trop tôt pour affirmer ex cathedra que la communication papale est définitivement sur les rails du changement.
Se fonder sur quelques apparitions publiques pour élaborer les éléments d’une évolution de la politique de communication du leader catholique est aller vite en besogne. Pour trois raisons. D’abord, les éléments captés pour échafauder une nouvelle approche de la communication vaticane ne concernent que le Pape lui-même. Prendre la partie (le Pape) pour le tout (Le Vatican), c’est se priver d’une vue d’ensemble. La synecdoque, par définition, mobilise une petite focale. Ce pape pourrait être bien seul à s’affranchir des règles en usage. En second lieu, le comportement repéré d’empathie et de compréhension des autres ne devrait-il pas être aussi celui de l’institution qu’il représente ? Faire apparaître l’ouverture aux autres comme une nouveauté qui éclaire d’une lumière glamour la réalité de la « cathospère » et des réseaux catholiques qui n’ont pas fait beaucoup preuve de modernité au moment du débat sur la loi officialisant le mariage entre personnes de même sexe, c’est mettre en avant l’écart qui reste à accomplir pour aboutir à une communication modernisée. Déjà aux oubliettes, les outrances verbales et les références aux Ligues factieuses ? L’acharnement sur le film Tomboy qui raconte l’histoire d’une petite fille de 10 ans qui se fait passer pour un garçon montre le nouveau combat des groupes catholiques sectaires vis-à-vis des théories du genre. Il n’y a pas beaucoup de neuf dans cela ! Enfin, valoriser la com’ sans communiquer sur la doctrine et le fonctionnement interne de l’institution, revient à singer le comportement des entreprises dont la publicité est soignée et réussie mais qui, en interne, organisent les rapports sociaux de façon calamiteuse par un management de la tension.
Aujourd’hui, dans les organisations, les différences entre l’interne et l’externe tendent à s’estomper et à s’homogénéiser. Les petites trouvailles du nouveau pape pour s’imposer dans le paysage médiatique montreront vite leurs limites quand il faudra communiquer sur les grandes questions sociétales. Se définir comme normal, en rupture avec le prédécesseur, ne réussit pas forcément à assoir une bonne image dans l’opinion. Un exemple devrait faire école ! Valoriser quelques actions de communication personnelle, par ailleurs non réitérées à ce jour, c’est faire mine d’oublier que la communication d’une institution ne peut opérer sans l’identification d’une vision, d’un projet, de valeurs qu’elle diffuse en interne et au sein de ses réseaux. Aussi spectaculaires que soient ces incursions dans la médiasphère, elles resteront une démarche à court-terme si le travail sur l’image tient lieu de projet.
Affirmer ainsi que le Pape est le communicant de l’année apparaît en définitive comme saillie bien-pensante. C’est en tout cas demander beaucoup à la communication que de compenser les signes du lent déclin d’une institution qui dit être moderne en jetant un voile sur les questions du temps présent.