La retraite par capitalisation peut-elle permettre d’échapper aux liens et aux solidarités intergénérationnelles, en permettant de développer une bulle dans laquelle on pourrait passer sa vieillesse, indépendamment du contexte économique et de la situation de la jeune génération ?Une sorte de community gate économique en quelque sorte ?
Parmi les exemples concrets de capitalisation en France, on peut citer deux dispositifs.
L’un est la PREFON, un système de retraite facultative réservé aux fonctionnaires. On évoque souvent devant moi les difficultés du régime, lequel pour rester attractif et ne pas augmenter le ticket d’entrée permettant en fait le financement du système, a du revoir la situation du "stock" et sacrifier plutôt les gens déjà investis dans le dispositif. On me donne en exemple quelqu’un à qui on avait prévu un complément de retraite de 250€, et qui au final se retrouve avec 20€/mois.
Je crois que c’est Frédéric Lordon qui expliquait dans ce livre de cette excellente collection "raisons d’agir", que la retraite par capitalisation ne pouvait fonctionner en s’appuyant sur la seule rente des titres, mais qu’elle nécessitait une décapitalisation pour pouvoir payer des retraites qui ne soient pas résiduelles. Or, cette décapitalisation pouvait se produire au mauvais moment, soit parce tous les bénéficiaires parvenaient en même temps à l’âge de la retraite, soit parce que les conditions de revente au moment nécessaire ne seront pas forcément optimales.
Première information, on ne peut fonder la rente sur la seule rémunération des actions, mais aussi sur leur revente, et c’est aussi là que le bât peut blesser.
Autre exemple de retraite par capitalisation, obligatoire, mais pratiquement inconnu des intéressés, celui de la retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP). C’est, à ma connaissance, le seul exemple de retraite par capitalisation obligatoire concernant des salariés en France.
Le principe est que l’employeur et le salarié cotisent à égalité, sur la partie du salaire, dite indemnitaire, non prise en compte pour la retraite.
Or que constate-t-on en consultant le site de la RAFP, c’est que la rente sera de 4% du capital versé.
On touche cette rente dès la mise en retraite. Si l’on décompose cette rente de 4% en deux éléments, l’intérêt et le remboursement du capital, que constate-t-on ?
Considérons que sur ces 4%, 1,5% correspondent à de l’intérêt, qui est grosso modo celui de la Caisse d’Epargne, mais versé avec des décennies de retard, ce qui en fait un placement beaucoup moins intéressant que le livre A. Les 2,5% restant correspondraient à l’amortissement, ou remboursement du capital versé. Au taux de 2,5%, on récupère son capital en 40 ans. Pour quelqu’un qui prend sa retraite à 65 ans, on touche donc pendant 40 ans un intérêt comparable à celui de la Caisse d’Epargne, mais avec retard, sans rémunération durant les décennies de la vie active et bien sur, sans disponibilité du capital. A 105 ans, on a récupéré son capital, et c’est seulement à ce moment là que le placement devient intéressant puisqu’il rapporte 4%. La RAFP choisit des fonds éthiques, mais selon les syndicats, elle aurait pris des risques lors de la crise financière, par ailleurs, je m’étonne d’y trouver des amis de Bernard Tapie, comme cet administrateur qui a du démissionner.
Des gestionnaires ayant assisté à des réunions portant sur l’intérêt de la capitalisation ont été frappés par la position prise par les défenseurs de la capitalisation : le raisonnement ne concernait que le court terme et la nécessité de provoquer un afflux d’argent à la bourse pour entretenir le mouvement de hausse, ces préoccupations exposées étaient de court terme, concernaient les intérêts, disons des 1% dont le patrimoine est constitué de valeurs mobilières, mais dénué de toute prise en compte du long terme, et insoucieux des problèmes de retraite. La retraite par capitalisation est un terrible malentendu entre ceux qui travaillent à très court terme, et qui ne voient de positif que ce qui concourt à ce court terme, et l’immense réservoir des épargnants qui attend une prise en compte du temps long.
Il est donc faux que l’on puisse s’abstraire de la solidarité avec les jeunes générations par ce type de dispositif, la société restera toujours un système par répartition, où les retraités verront leur destin lié à celui des générations actives, pour le meilleur et pour le pire.