Venir au monde par Gabriel Okoundji

Publié le 26 décembre 2013 par Eric Acouphene

Un matin, au sein de l’équipe où je travaille, est arrivé un faire-part envoyé par une collègue. Au recto, la figure d’un bébé émergeant de l’aube existentielle ; au verso : « Nous avons le bonheur de vous annoncer la venue au monde de notre petit Gaspard, le 19 septembre 2013. Nathalie et Pierre. »

À la découverte de cette carte, bien évidemment, comme tous mes collègues, c’est vers ce visage au regard à peine éclos que nous avons porté toute notre attention. Chacun semblant chercher la trace, le signe qui lui ferait affirmer que ce bout d’homme ressemble bel et bien à ses parents ! Mais ce qui a fait écho en moi, ce sont ces mots : « la venue au monde ». Car venir, c’est avoir parcouru un chemin, c’est avoir quitté un lieu, c’est recourir au monde.

Quel lieu le petit Gaspard a-t-il donc quitté et quel chemin a-t-il emprunté pour venir au monde ? Me posant la question, je me suis tout naturellement tourné vers les représentations de la naissance sur les terres où j’ai vu le jour, en Afrique noire. Pour la pensée traditionnelle africaine en effet, l’univers est divisé en deux parties : le monde visible, qu’encercle le monde invisible. Ces deux parties, visible/monde des mortels et invisible/monde des ancêtres, composent le monde tout entier, tout comme la lumière et les ténèbres composent le jour tout entier.

Il est dit que venir au monde, c’est emprunter un sentier singulier qui mène du monde invisible au monde visible. Car tout enfant qui naît n’est pas le produit du hasard ; il est indubitablement l’envoyé des ancêtres. Il est leur messager, il est leur parole. L’enfant est une parole : parole de création, de procréation, de reproduction, de relais d’une génération à une autre. Parole sur laquelle s’est inscrit un corps, le corps de l’humain à la ressemblance des humains.

Il est dit aussi que l’enfant n’est pas la simple graine biologique issue de l’union d’un spermatozoïde et d’un ovule ; cette graine est avant tout le symbole d’une bénédiction, un don de la providence et des ancêtres. Car l’enfant qui recourt au monde jamais n’oublie son chemin, dit-on. Et les parents à leur tour ne doivent pas oublier qu’ils ne sont que les simples intermédiaires missionnés pour accompagner dans le bonheur et l’harmonie ce corps d’homme dans la traversée des sentiers de la vie. Voilà pourquoi, en Afrique noire, l’enfant n’est jamais considéré comme n’appartenant qu’à ses seuls parents. Il est un lien, il est la richesse collective de la communauté tout entière, qui doit veiller à sa protection et à son éducation.

Et il est dit aussi que l’homme lui-même est déjà un monde enfermé dans un corps. Le monde est le corps de l’homme. Subséquemment, naître au monde, c’est ajouter un monde au monde qui existe.
Venir au monde n’est donc pas un acte fortuit, mais assurément une formidable aventure dans l’énigme de la vie, au carrefour du biologique et du symbolique. Quelle belle affaire !

Alors, à nous de tendre les bras vers ­Gaspard et de vivre avec lui, avec à ses parents, le bonheur de son arrivée.
par GABRIEL « MWÉNÉ » OKOUNDJI 
Poète-écrivain Grand prix littéraire d'Afrique noire
source : La Vie