Le Yoga tantrique de Julius Evola est un ouvrage fondamental pour tous ceux qui s’intéressent à la
Il serait trop long, dans cette chronique, d’expliquer tout ce qu’Evola nous apprend de la métaphysique et de la cosmologie tantrique ; je me contenterai donc d’indiquer quelques thèmes qui me paraissent essentiels.
Contrairement au Vedanta, le tantrisme ne pose pas au principe du monde manifesté (qui comprend aussi bien le Dieu personnel que les dieux et que toute créature) le Brahman neutre, mais la Çakti, la puissance. Cette puissance se différencie en deux formes : une forme mâle, immobile et active, nommée Çiva (prononcez Shiva) ; et une forme mobile mais passive, qui s’extériorise dans la manifestation, Çakti (le mot dans cette acception étant pris dans un sens plus restreint, soit celui d’épouse – et de puissance – de Çiva). Çakti comme épouse de Çiva se perd dans ce qui est manifesté jusqu’à devenir mâyâ-çakti (pouvoir d’illusion) alors que Çiva représente le pôle transcendant. Or, le but de l’adepte est d’une part de réunir en lui-même Çîva et Çakti afin, d’autre part, d’éveiller la kundalini, une énergie occulte qui est la Çakti primordiale en chaque être humain. Une éthique, des rituels magiques et un yoga en partie apparenté au yoga classique permettront à quelques-uns d’atteindre la fin ultime.
Il faut d’abord être conscient d’un fait : cette pratique, ce sâdhana, s’adresse à un type d’hommes spécial appelé vîra, qui signifie littéralement héros. « Ce terme, nous dit Evola, désigne une catégorie spéciale d’initiés tantriques caractérisés par une qualification virile, le courage et une inclination vers les rites outrés à caractère ” dionysiaque “. » Le tantrisme est une voie radicale qui ne peut convenir à tous. L’éthique qu’on y pratique est ce que d’aucuns nommeraient une contre-éthique ou encore l’anomie pure et simple. Ainsi, le vîra doit d’abord détruire ce qu’on appelle les pâça, les liens. Ces liens (qui sont ceux de l’homme ordinaire) sont les suivants : la pitié (mais le premier envers qui l’adepte doit se montrer sans pitié n’est nul autre que lui-même) ; la désillusion (l’homme ordinaire va de l’espoir à la désillusion parce qu’il dépend d’éléments externes) ; la honte ; la peur ; le dégoût ; la famille ; la caste ; les préceptes, rites, observances et autres interdictions variées. À tout cela, il faut ajouter que le tantrisme incorpore la consommation de breuvages alcoolisés et des rites sexuels.
Je crois que le tantrisme a beaucoup à nous enseigner sur les effets de l’alcool et des autres drogues. Ce n’est pas un hasard, à mon avis, si tant de poètes et d’artistes ont abusé de l’alcool. Alors que chez l’homme commun le vin ne provoque qu’une ivresse grossière, purement sensuelle, chez l’homme différencié, il provoque l’affleurement d’un plan subtil qui est celui des énergies occultes qui nous maintiennent dans l’être alors même que nous en sommes inconscients. Évidemment, en dehors d’un contexte métaphysique fort, ces expériences demeurent embryonnaires, mais elles n’en sont pas moins décisives.
Enfin, le livre d’Evola, dont je ne vous ai offert qu’un aperçu, est un ouvrage profond que je recommande à tous les chercheurs de vérité. Il faut ajouter que l’un de ses mérites est de présenter de très nombreux parallélismes entre le tantrisme et la pensée ésotérique de l’Occident (il y a d’ailleurs un très bel appendice sur les Fidèles d’amour).
Evola, Julius, Le Yoga tantrique : sa métaphysique, ses pratiques, Fayard, 1989.