Poésie du samedi, n°62 (nouvelle série)
De la parole vers le mot, pas n’importe quel mot, et en passant par le silence, le chemin mène des ténèbres vers la lumière… mais il est végétal, de chair et de sang, d’eau et de vent. Et sur ce chemin, le verbe est au commencement et peut-être aussi à la fin de tout, avec ce mot-clé qu’est le Lamalif, où la combinaison des deux lettres Lam et Alif est analogue à la combinaison de la Réalité divine avec les formes des créatures… Mais les sacrés secrets du Lamalif ont beau être insondables, ils nous gazouillent aujourd’hui à notre oreille intérieure…
Beau cadeau de Noël que cette visite de…
l’Oiseau de Dieu…
Laisse libre cours à ton être
Fraternise avec la parole... par ton silence
Et comme celui qui monte en haut d'un minaret
Ou descend au fond d'un puits
Sois une faim sans yeux
Une fenêtre où voir
Le tréfonds de mon âme
Sois la lumière de mes yeux
Pour franchir le seuil des ténèbres
Sois un Non-Sens
Un vrai délice dans ma bouche
Vent... et parfum
Une photo en noir et blanc
Aie l'apparence de l'eau
Si l'eau a une apparence
Je te veux
Pluie de fils gris
Plante vivace sur un mur
Un lierre qui éclate en sanglots...
Sois une rose
Non, ce n'est pas la peine
J'ai peur que tu te fanes vite dans un vase de verre
Sois un jardin
Le jardin non plus n'a rien dit de mal
Il a vu mes premiers pas
Mes premiers pas foulent sa verdure
dans le jardin où s'est troublée ma langue
Je viendrai te voir avec mes yeux en amande
Allume-moi sans feu
Viens à moi avec ton sang menstruel
Je deviendrai une tente caïdale
Une branche d'arbre
Viens à moi comme une lettre sur les ailes du vent qui t'entoure
Viens à moi comme un rire qui a l'éclat de la neige
Sois goudron, plante vénéneuse
Sois
Papier, plastique ou carton
Viens à moi comme tu veux
Fatiha ou ouragan
Sur les violons ... ou les cithares.
II
Viens me voir quand l'ombre sommeille
Quand il bruine et neige
Des mots
Ici un mot perle
Là un autre ne perle pas
N'est-ce pas
Ils ont dit : les gouttes font déborder le livre
Seul le Lamalif
A le droit
Des filles et des coupes pleines
Le mot courtois et sa dot
Il repose sur son front
Je la veux vierge
Un palmier géant dont j'escalade le sens
Je la veux
Solitaire, salée, amère, profonde à l'infini
D'origine et non une copie.
III
Pressée comme la mort
Viens me voir
Légère comme une feuille
Viens me voir au commencement du verbe
Chaude, piquante et infernale
Viens me voir LAMALIF
Le LAMALIF est l'ombre de Dieu
Le LAMALIF est l'oiseau de Dieu
Il a déployé ses ailes
En entrant
Il a laissé en moi une part de lui-même
Une adresse ?
Peut-être
Un numéro de téléphone ?
Possible
Un mot dont le secret
N'est percé que par Dieu
Probablement.
Mourad Kadiri (Né au Maroc, à Salé, en 1965) L’oiseau de Dieu (2007) extrait adapté de l’arabe marocain par Jalal el Hakmaoui et paru dans la revue Europe de novembre-décembre 2013 consacrée à la Littérature du Maroc.