Excepté quelques rares projets en cours confrontés aux pires difficultés qui soient, l’investissement productif est en panne à Annaba et cela risque de durer longtemps au vu des freins et facteurs négatifs tendant à perpétuer cette situation. En effet, l’état des lieux n’est guère reluisant pour une région qui se targue d’être un important pôle industriel, commercial et touristique : des zones industrielles fantômes où presque rien n’attire l’investisseur, un portefeuille foncier industriel dilapidé et bradé, des lourdeurs administratives décourageantes et des banques qui ne jouent pas leur rôle. Près de deux décennies après l’octroi de terrains dans les différentes zones industrielles (Meboudja, Pont Bouchet, Berrahal ou El Bouni) censés servir d’assiettes pour la réalisation de projets, le nombre d’unités industrielles entrées en production se compte sur le bout des doigts. Pour le reste ce sont des terrains clôturés nus ou abritant des hangars servant de dépôts à différentes marchandises. Les terrains détournés de leur vocation première malgré les engagements pris par ces faux investisseurs et la signature d’un cahier des charges dont les clauses sont claires, ont été soit revendus au prix fort soit loués, si bien que l’on se retrouve avec des terrains nus dans ces zones industrielles que l’on ne peut pas reprendre parce que devenus propriétés privées et de l’autre un déficit en foncier industriel que l’on ne peut combler à moins de créer de nouvelles zones industrielles. Sur cette situation pour le moins insolite, le président de la Chambre de commerce et d’industrie d’Annaba (CCI-Seybouse), Abderrachid Ghimouz, a bien voulu répondre à nos questions
Entretien réalisé par notre correspondant à Annaba Mohamed Rahmani
LA TRIBUNE: D’une manière générale, que peut-on dire sur l’investissement à Annaba ?
Abderrachid Ghimouz : Cela va un peu mal, il y a beaucoup de freins qui bloquent l’investissement si bien que cela décourage les plus téméraires des
investisseurs. Mais on peut redresser la barre et inverser la situation. Le gouvernement s’est penché sur la question et a pris des mesures incitatives visant l’investissement productif dans
les secteurs de l’industrie, du tourisme et de l’agriculture. Une partie du taux d’intérêt du crédit accordé par la banque est prise en charge par le Trésor public en plus de l’exonération
des droits d’enregistrement, de frais de publicité et de rémunération domaniale. Le problème c’est qu’il n’y a pas de coordination entre les institutions censées apporter leur soutien à la
relance du secteur industriel, Calpiref, Domaines et Andi ce qui provoque des lenteurs et des lourdeurs qui tuent l’investissement. Le déficit du foncier industriel ainsi que l’octroi des
crédits bancaires aggravent encore plus cette situation.
Justement, sur ce déficit dont on parle beaucoup ces derniers temps, quelle en est la cause et quelles seraient les solutions les plus appropriées ?
Actuellement dans les zones industrielles d’Annaba, il y a, à peu près, une douzaine d’unités qui sont en activité, pour les autres, la plupart des projets pour
lesquels ont été affectés les terrains n’ont pas été réalisés pour diverses raisons. Il y a des terrains clôturés qui sont restés nus, pour d’autres des hangars ont été construits pour être
loués. Une zone industrielle c’est censé être un espace où l’on produit et où l’activité est intense. Ce n’est pas du tout le cas et il s’agit pour les pouvoirs publics de se pencher sur
cette question pour amener ces investisseurs à réaliser lesdits projets ou trouver une formule pour récupérer ces terrains, quitte à les racheter. On pourrait également créer d’autres zones
industrielles et c’est le cas mais cela occasionne beaucoup de retards. Il y a urgence car au niveau du Comité d’assistance à la localisation et à la promotion des investissements et de la
régulation du foncier (Calpiref) 600 dossiers d’investissement attendent toujours faute de terrains, ce qui freine considérablement la réalisation des projets portés par les
investisseurs.
Et dans tout cela, le système de concession n’a-t-il pas réglé le problème du foncier du moins en partie ?
Non pas du tout parce que les prix pratiqués sont prohibitifs. Pour exemple un terrain de 2 ha est attribué pour une valeur locative de 9 millions de dinars par
an pour une durée de 33 ans, renouvelable tous les ans avec une révision des prix. L’investisseur est tenu de payer 10% de la valeur locative les trois premières années, les trois suivantes,
il devra s’acquitter de 50% et pour les autres années il devra débourser 9 millions de dinars par an. Cela décourage l’investisseur qui doit payer la location du terrain et rembourser le
crédit bancaire à la 3e année alors que son projet n’est pas encore entré en production car construire une unité, importer les équipements et les installer, former les personnels, disposer de
la matière première et ensuite mettre en service l’unité industrielle cela prend beaucoup de temps, et avec les lourdeurs administratives que tout le monde connaît, le projet est voué à
l’échec, en somme c’est un investissement mort-né.
Mais vous avez parlé de mesures incitatives accordées par le gouvernement pour l’investissement productif, exonération, prise en charge en partie du taux
d’intérêt appliqué par les banques…
Oui, c’est un pas en avant, mais cela reste insuffisant car le remboursement du prêt bancaire avec un différé de seulement 2 ans, c’est relativement court pour
un projet industriel, et il faudrait rallonger ce différé d’au moins 2 autres années pour donner du temps à l’investissement de se réaliser et d’entrer en production, ce qui amènera une
aisance financière à même de permettre le remboursement du crédit sans qu’il n’y ait d’incidence négative sur le projet.
Venons-en maintenant au financement des projets par les banques, qu’en est-il vraiment et quelles sont les difficultés rencontrées par les investisseurs pour
réaliser leurs projets ?
Normalement 45 jours après le dépôt du dossier de prêt auprès d’une banque, vous avez la réponse, ce n’est pas le cas à Annaba et cela peut aller jusqu’à 9
mois, je vous cite le cas d’un investisseur qui a pu acquérir un terrain en 2011, entre le Calpiref, les domaines, la banque, le permis de construire, il est en train de patauger et son
projet n’a pas encore vu le jour. Dans d’autres pays pour un investissement productif créateur d’emplois, on vous déroule le tapis rouge et on vous facilite la tâche, ici, on fait tout pour
freiner l’investissement alors que le gouvernement a mis en place une batterie de mesures pour sortir de ce carcan.
Et l’Andi dans tout cela, quelle est sa place, son rôle?
L’Andi est là pour avaliser les dossiers d’investissement pour bénéficier des avantages fiscaux et parafiscaux, exonération des droits d’enregistrement, de la
TVA, des frais de publicité, de rémunération domaniale, de la TAP et de l’IBS. S’il n’y a pas agrément par l’Andi, on ne bénéficie pas de ces avantages et l’administration des domaines s’en
tient à cela alors que dans la loi des Finances en son article 36 portant, modifiant et complétant l’article 9 de l’ordonnance n°01-03 du 20 août 2001, il est fait mention clairement de
l’exonération en question et il n’est fait aucunement mention de l’obligation de passage par l’Andi pour bénéficier de ces avantages.
Cela prouve qu’il y a mauvaise interprétation de la loi. Autre chose, au niveau de l’Andi, si un investisseur se présente avec un projet dont la valeur est de
150 milliards de centimes, il doit passer par le ministère et c’est ce dernier qui doit statuer sur le projet.
Ce qui n’est pas du tout pour encourager l’investissement. A notre connaissance il n’y a pas mieux que l’investisseur pour juger de la viabilité de son projet
car après tout c’est son argent et c’est à ses risques et périls s’il veut investir dans un créneau.
Pour clore, quelle serait d’après vous la solution pour booster l’investissement dans la wilaya d’Annaba ?
Il faut libérer l’investissement, et la liberté d’entreprendre doit être une réalité. On doit faire plus confiance au secteur privé et surtout appliquer les
textes de loi. La création de nouvelles zones industrielles est une urgence car c’est le seul moyen d’en finir avec ce déficit du foncier industriel qui est aujourd’hui un vrai casse-tête
aussi bien pour les investisseurs que pour les responsables du secteur.
M. R.
http://www.latribune-dz.com/news/article.php?id_article=2332