Les Jeux Olympiques de Sotchi démarrent dans cinquante jours, à savoir cette station balnéaire des bords de la mer noire, accueillant les J.O. d’hiver 2014. Plusieurs associations de défense des droits de l’homme ont appelé à boycotter l’évènement. François Hollande a d’ores et déjà annoncé qu’il ne se rendrait pas en Russie, alors que Vladimir Poutine montre des signes d’assouplissement. En tout cas, pour Vladimir Poutine, les jeux sont clairement un enjeu politique. Vladimir Poutine est-il contraint à une relative ouverture politique, pour réussir ces jeux ? Libérer des opposants politiques, pour montrer qui commande, est-ce vraiment un signe d’assouplissement ? L’important n’est-il pas que le monde ait les yeux fixés sur des pays comme la Russie, ou précédemment la Chine, pour l’avancée de la démocratie ? Poutine ne plaisante pas avec ces jeux, c’est un projet à la fois politique, personnel, et national pour la Russie, car il veut apparaître comme le dirigeant qui aura contribué à la grandeur de la Fédération de Russie, en amenant cet évènement sportif mondialisé.
Entre parenthèses, il veut oublier et faire oublier le boycott des J.O. de Moscou, en 1980. Il aura mieux fait que du temps de l’U.R.S.S. Et puis, il y a aussi un projet national, la Russie ayant de nombreuses difficultés, et le sport pour Poutine est un moyen de régler les problèmes de santé publique, les problèmes d’alcoolisme qui sont très forts dans la société russe. Donc c’est à la fois un projet sociétal, un projet politique et un projet très nettement nationaliste. C’est la grandeur de la Russie qui est en cause pour lui, dans les jeux de Sotchi. Il a fait investir par l’Etat russe, des sommes absolument considérables dans ces J.O., qui auront coûté plus cher que la plupart des autres évènements sportifs analogues, du moins d’hiver. Cela veut dire que nous assistons à une grande opération de relations publiques russe, à l’échelle de la planète, mais aussi qui a des conséquences de politique intérieure. Et puis d’autre part, et c’est là très important, parce qu’il y a un enjeu très sérieux dans le domaine économique. Dans ce domaine-là, la Russie est dans une situation difficile, puisque le taux de croissance de son économie a baissé de deux points entre 2012 et 2013, retombant au niveau de 2005, ce qui est significatif et lourd de conséquences, aussi bien économiquement, que politiquement, socialement, et sur le plan international. Ainsi, Poutine a fait gracier récemment deux Pussy Riot et un oligarque russe, ce qui est tout de même un signal, parce qu’il ne veut pas que les jeux soient pollués par trop de débats sur la situation des droits de l’homme, pour les prisonniers dits politiques et que la presse occidentale soit essentiellement critique de sa politique.
Donc, il anticipe, tout en gardant la maîtrise des calendriers, parce qu’il ne veut surtout pas donner le sentiment qu’il cède à la pression internationale, et qu’il fait des concessions aux occidentaux. Et effectivement pour les Russes, il veut donner l’image d’une Russie qui accueille le monde, qui est au centre du monde et qui peut être fier d’elle. Effectivement, au vu des difficultés notamment économiques, que connaît le pays, c’est une façon de redorer le blason. Mais les J.O. ont toujours été pour le pays qui les reçoit, un moment de propagande nationale. Tout pays qui reçoit les jeux, veut en faire un instrument de grandeur ou une vitrine commerciale, comme les J.O. de Pékin en 2008 ou ceux de Londres en 2012. Selon les régimes – libéraux ou non -, ceci n’étant pas la même chose. La politique s’empare souvent du mythe olympique. D’ailleurs, dès le départ, les J.O. sont essentiellement politiques. C’est le sport, mais plus que le sport. Et malgré l’affirmation du C.I.O. qui est hypocrite, sport et politiquement sont étroitement liées, ce qui peut être valable également pour d’autres évènements, à l’image de la coupe du monde du football et l’émirat du Qatar sélectionné en 2022. Toutes les élections des villes olympiques sont politiques. Et évidemment, à chaque fois que les jeux sont attribués à des régimes controversés, ce fut le cas de Pékin, des questions ressurgissent. Beaucoup de chefs d’Etat étrangers ont déjà fait savoir qu’il ne participerait pas à la cérémonie des J.O. d’hiver de Sotchi. C’est une façon feutrée, d’exprimer un désaccord vis-à-vis du pays hôte. La question est contournée. Le boycott des J.O. n’est pas forcément efficient, car l’on ne peut empêcher éventuellement certains athlètes de s’y rendre, ni les relations commerciales. En 1980, alors que Carter boycottait les jeux, pendant ce temps-là, les producteurs américains livraient du blé à l’armée rouge. Par contre, les sportifs ont toujours été la monnaie d’échange. Mais aujourd’hui, un tel boycott ne serait envisageable, si ce n’est pas des pays très curieux, mais plus par les nations centrales. C’est aussi un moyen de mettre la lumière, sur des dysfonctionnements.
En 1980, les J.O. de Moscou seront boycottés par les Etats-Unis et une soixantaine d’autres pays, en réponse à l’intervention soviétique en Afghanistan, un an plus tôt. Sans surprise, la réponse soviétique est cinglante. Et pourtant, quatre ans plus tard, les Russes rendent la pareille aux Américains, en 1984. Les Etats-Unis accueillent les J.O. à Los Angeles, à leur tour, et sont boycottés par une quinzaine de pays, la plupart du bloc de l’est. Vingt après la chute du mur, les J.O. de Pékin sont marqués par la polémique. A Olympie, des militants perturbent la cérémonie de la flamme olympique. Ils protestent contre la répression au Tibet, quelques mois plus tôt. Partout sur son passage, à Londres, à San Francisco ou à Paris, la flamme déclenche des manifestations contre un régime chinois répressif. Pacifier les nations par le sport, l’objectif du rénovateur des J.O. modernes, Pierre de Coubertin, ne reste trop souvent qu’un lointain souvenir, à cet effet. Par leur médiatisation planétaire, les jeux sont aussi l’occasion de gestes symboliques qui marquent les esprits, comme en 1968, au Mexique, où deux sprinters afro-américains entrent dans l’histoire, respectivement 1er et 3e du 200 m, en levant deux poings gantés, sur le podium, le salut du « Black power », pour dénoncer la ségrégation raciale aux Etats-Unis. Mais pas ce geste, ils seront exclus à vie des J.O. Les jeux sont un outil politique, parfois détournés pour mettre en scène la violence aussi. En 1972, à Munich, les membres de l’équipe olympique israélienne sont pris en otage, puis assassinés par des terroristes palestiniens, tous membres de l’organisation « Septembre noir ». Mais les jeux sont aussi et d’abord une comparaison de performance entre les nations, alors le sport bascule en outil de propagande redoutable. En 1936, le centre du monde sportif est à Berlin. Pour Hitler, il s’agit de montrer au monde entier que l’Allemagne nazie est une terre d’excellence.
A cette image, François Hollande se réfugie facilement, derrière le fait que les présidents français ne se rendent jamais aux J.O. d’hiver, si ce n’est quand ils sont organisés en France, comme à Albertville en 1992. D’ailleurs dans l’histoire de l’olympisme, Nicolas Sarkozy a été le seul chef d’Etat et pour la 1ère fois, à se rendre à une cérémonie d’ouverture, à Pékin, en 2008. En fait, Georges Pompidou s’est rendu aussi, aux J.O. à Munich, mais après l’ouverture, tout comme François Hollande, à Londres, trois jours après. En libérant trois détenus récemment, ce n’est pas une révolution, mais c’est un assouplissement, en effet. En l’occurrence, Poutine se sert de ces grands évènements, les J.O. aujourd’hui, la coupe du monde de football plus tard, le championnat du monde d’athlétisme, l’été dernier, pour lancer des opérations de relations publiques, et montrer un visage plus adouci. Le pouvoir russe reste dur et autoritaire, les prisonniers libérés l’ayant été aussi dans le cadre de l’amnistie consécutive au 20e anniversaire de l’adoption de la constitution de la Fédération de Russie. Une partie des détenus, pas tous politiques, tels l’adjoint de M. Khodorkovski (oligarque récemment élargi), qui n’a pas été gracié, se trouve toujours sous les verrous.
Vladimir Poutine termine l’année sur une bonne touche, quoi qu’il en soit, avec la libération de l’opposant politique Mickaïl Khodorkovski et de deux Pussy Riot. Il est aussi sorti vainqueur du grand bras de fer diplomatique sur le sujet de la Syrie. Il est vrai qu’Obama n’est pas Bush, et que Poutine, comme l’analyse Eric Zemmour, s’est très intelligemment appuyé sur les réticences du président américain à remettre le doigt dans le guépier du Moyen-orient. Poutine a remis le couvert avec l’Iran, servant d’honnête courtier aux Américains et en empêchant le ralliement de l’Ukraine à l’Union européenne, en y mettant le prix. Poutine n’est pas en odeur de sainteté, ni dans les médias français, ni au Quai d’Orsay. On évoque, non sans raison, ses penchants autoritaires, ses accointances avec certains cercles, son incapacité à couper l’économie russe de sa dépendance pétrolière et gazière. Mais personne ne peut contester qu’il a été élu démocratiquement. La classe moyenne citadine conteste ses manières, mais la majorité du peuple russe provincial, lui est gré d’avoir restauré l’Etat. Poutine a mis au pas les oligarques d temps d’Eltsine, qui dépeçaient la Russie et rétabli la souveraineté. On lui reproche sa nostalgie de l’U.R.S.S, mais on ne sait aujourd’hui que la révolution orange en Ukraine avait été soigneusement préparé, appuyé et financé par des ONG américaines. Pas étonnant que dix ans plus tard, Vladimir Poutine est tout fait pour retenir le président ukrainien de se jeter dans les bras de l’UE.
Ainsi, Poutine a peu à peu endosse les habits de nouveau tzar, dans la grande tradition russe. Il s’allie à l’Eglise orthodoxe et défend les chrétiens d’Orient. Il a nettoyé la place, mettant au pas les oligarques et cie, après l’ère Eltsine et il refuse de se laisser intimider par les lobbies féministes ou homosexuels, parmi d’autres.
J. D.