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Le processus interprétatif des métaphores Approche cognitive Par Mohamed Sguenfle

Publié le 24 décembre 2013 par Dadasou

L'interprétation est définie comme étant l'attribution d'un sens à un acte de communication. Tout processus interprétatif interpelle donc les deux instances impliquées dans cet acte, le locuteur et l'interlocuteur. Ce dernier, s'appuyant sur des paramètres linguistiques et extralinguistiques, tente de saisir les intentions du premier.

Dans ce papier, nous allons essayer d'élucider les mécanismes interprétatifs dont use le récepteur pour comprendre le sens d'un énoncé et accéder aux intentions du producteur de ce message en prenant l'énoncé métaphorique comme exemple, en essayant de répondre aux deux questions suivantes

* Comment accède-t-on au sens métaphorique?

* S'agit-il d'un sens préétabli, a priori, ou est ce qu'il est construit dans un processus de collaboration émetteur I récepteur?

1. La métaphore : caractérisation

Omniprésente dans presque tout type de discours, la métaphore a suscité depuis Aristote un intérêt particulier:

Philosophes, psychologues, grammairiens, linguistes, ... ont tenté de caractériser cette forme langagière et de mettre en exergue ses spécificités saillantes. La métaphore a donc une histoire puisqu' " elle s'est incessamment modifiée, transformée" (J. Molino et alu, 1975).

Les approches récentes'36 insistent sur deux traits définitoires de la métaphore. Toute métaphore implique:

* une dualité interactive entre deux notions ou catégories conceptuelles, source d'une certaine déviance, incongruité ou conflit conceptuel'37. " la métaphore, quelque conception que l'on en ait par ailleurs, engage définitoirement une histoire de déviance " (G. Kleiber, 1994 : 36)

* un processus analogique qui permet à l'interlocuteur d'accéder au sens visé dans l'énoncé en s'appuyant sur des stratégies pragmatiques et des mécanismes référentiels lui permettant de 'corriger' "l'erreur de catégorisation "138

Etant définie comme l'assimilation de deux domaines ou concepts distincts, nous pensons que l'énoncé métaphorique implique bel et bien une incongruité catégorielle puisque une lecture littérale serait déviante sans le recours à une interprétation métaphorique. Cependant, il serait utile de considérer cette notion en termes de degré : il y a une gradience qui structure la déviance et qui dépend du type de métaphore. En effet, la pratique des oppositions dichotomiques comme métaphore morte / métaphore vivante héritée de la rhétorique traditionnelle " débouche le plus souvent sur de dérisoires réductions idéalistes" (Zumthor, 1983 41). Il s'agit d'un phénomène historique, donc mouvant, projeté en gammes : la métaphore 'morte' était auparavant 'vivante'. Le fait qu'une métaphore soit morte, affirme U.Eco (1992 : 153) "concerne son histoire sociolinguistique, pas sa structure sémiotique, sa genèse et sa possible réinterprétation ". Soit t titre illustratif les énoncés suivants

(a) awal iga tisnt ad han s lmiqdar ns

La parole, c'est du sel, elle doit être dosée

(b) ddunit tga astta gan w°ssan falan assna ira rbbi bbint ur ak° ikmmil

La vie est un métier à tisser, les jours en sont les fils

Lorsque Dieu en décide, il coupe le fil même si (l'ouvrage) n'est pas fini.

(a) est un proverbe caractérisé par une métaphore nominale assimilant la parole au sel. Une telle assimilation entraîne une incongruité puisque awal "la parole" n'appartient pas à la catégorie de tisnt "re sel" ; (b) est un énoncé poétique rapprochant la vie au métier à tisser, lequel rapprochement provoque un conflit conceptuel entre deux domaines totalement différents. Dans les deux exemples, la métaphore fournit une nouvelle façon de conceptualiser et de comprendre les deux notions : la parole et la vie. La sagesse populaire dans (a) et le poète dans (b) imposent une réorientation conceptuelle qui réorganise le déjà acquis, afin de former de nouvelles conceptualisations. Or, si une telle réorganisation est imposée à l'interlocuteur, ceci est dû essentiellement au fait qu'un heurt s'est produit entre les informations déjà disponibles et les nouvelles ; entre ce qui est admis- la vie d'un être en tant que portion de temps divisée en jours - et son assimilation à un domaine nouveau, distinct, celui du métier à tisser. En termes de degré, il est vrai que (a) est moins déviant que (b). En effet, étant conventionnelle, la métaphore proverbiale fait partie des conventions sociales et n'a donc pas un grand effet sur le savoir catégoriel de l'interlocuteur, contrairement à la métaphore poétique qui, sous l'effet du degré de déviance élevé, bat en brèche notre savoir catégoriel; d'où, d'ailleurs, sa force cognitive et sa valeur informationnelle. "Plus l'invention métaphorique aura été originale, plus le parcours de sa génération aura violé les habitudes rhétoriques précédentes" (Eco, 1992 :152).

Face à cette incongruité, comment accède-t-on au sens visé par l'auteur? Comment opère-t-on la réorganisation du déjà acquis pour corriger l'incongruité et interpréter adéquatement l'énoncé?

2. Le processus interprétatif des métaphores

L'interprétation est un acte coopératif entre les interlocuteurs dans une situation de communication. Interpréter une métaphore nécessite de la part du récepteur une approche analogique lui permettant de dégager les similarités entre les deux concepts impliqués dans le même énoncé. Or, les traits de similarités peuvent varier d'un interprétant à l'autre comme l'a démontré Searle en examinant la métaphore suivante:

(c) Juliette est le soleil

Dont les interprétations peuvent être:

- la journée de Roméo commence avec Juliette

- Juliette éclaire la vie de Roméo

Est-ce à dire que l'acte interprétatif est plus au moins libre. Autrement dit, l'accès au sens est-il un travail constructif, subjectif, variant d'un individu à l'autre ou y a-t-il des éléments qui contraignent cet acte ?

a. Métaphore et contexte

Le contexte'39 joue un rôle fondamental dans la compréhension des énoncés, il est partie prenante dans tout processus interprétatif. Son rôle dans la compréhension des textes a été bien souligné en psychologie cognitive et en intelligence artificielle. Il peut être défini comme l'ensemble des informations linguistiques (contextuelles) et extralinguistiques (pragmatiques) nécessaires à la compréhension d'un discours donné. "Context is information that is available to a particular person for interaction with a particular process on a particular occasion "'40.En sémantique cognitive, il subsume non seulement l'environnement linguistique et extralinguistique mais également les états mentaux telles les intentions, la perception, etc.

Considérons les énoncés suivants:

(d) Ur iswwiq yassad abla willi ibb°k uzzway

Il n'est venu au souk aujourd'hui que ceux qui sont battus par azzway

(e) Tamtnt iggutn ar tzbzak 1 in

Trop de levure gonfle la pâte

(d) est lié à une situation précise et ne peut être interprété en dehors de son contexte de production: (d) est énoncé par un commerçant dont la journée n'a pas été très bonne ; i.e. ses bénéfices de la journée sont maigres à cause des clients, au pouvoir d'achat faible, qu'il a reçus ce jour-là. Ces clients sont assimilés métaphoriquement aux olives qui sont battues, lors de l'opération

Du gaulage grâce à de longues baguettes flexibles que l'on nomme azzway. Quels rapports y a-t-il entre l'activité commerciale et l'opération du gaulage, entre les clients au faible pouvoir d'achat et les olives battues par azzway ? Quelle intention le locuteur vise-t-il en opérant un tel rapprochement?

Le contexte, en tant qu'élément catalyseur, actualise cette intention: un commerçant de produits aluminium, par exemple, constate que tous les clients qu'il a reçus un jour J n'ont, pour la plupart, pu acheter un seul produit; ils demandent le prix et ils partent sans passer à l'acte d'achat, puisqu'ils n'ont pas le pouvoir de le faire à cause de leur situation financière. Une telle situation provoque chez le commerçant cette image des olives abattues, non profitables pour l'agriculteur, d'où l'analogie suivante : telles ces dernières, les clients sont abattus par "la baguette du temps ".

Considéré en dehors de tout contexte, (e) est interprété littéralement et renvoie à une réalité communément admise relative au domaine culinaire (le sens de la phrase est la somme des éléments qui la compose comme le prévoit l'analyse compositionnelle héritée de la sémantique générative). Contextualisé, en tant que proverbe, (e) est interprété métaphoriquement: les paroles mensongères ne peuvent passer inaperçues. Telle la levure, le mensonge gonfle le discours.

Comme en témoignent les deux exemples analysés ci- dessus, le contexte joue un rôle primordial pour distinguer l'interprétation métaphorique d'une interprétation non métaphorique et intervient comme guide dans la perception des attributs similaires entre les domaines impliqués dans la métaphore. G. Ltidi (1991 : 93) a raison d'insister, à cet effet, sur " la fonction métaphorisante du contexte ".

b. Stratégies interprétatives et motivation cognitive

L'acte interprétatif fait appel à des opérations cognitives mettant l'accent sur le rôle actif de l'interlocuteur. Celui-ci, s'appuyant sur les éléments du contexte, les présomptions d'arrière plan et certaines inférences, tente de comprendre le sens visé par l'auteur. La notion de stratégie valorise ce rôle actif de l'interlocuteur / interprète mais aussi du locuteur puisque le travail de construction du sens est collaboratif et se base sur une forme de négociation entre les interlocuteurs : "La notion de stratégie est l'instrument d'une rupture avec le point de vue objectiviste et avec l'action sans agent que suppose le structuralisme" (Bourdieu, 1987 : 79).

Comment ces présomptions d'arrière plan, les inférences et le contexte en tant qu'outils stratégiques nous permettent d'accéder au sens métaphorique et de saisir les intentions de l'auteur?

Soit le corpus suivant:

(f) Han rad qqdy i tyuyyit

Attention, je vais faire un scandale

(g) A yyi ka ur tsfiyyis

Arrête! Tu me gènes!

(h) Tssugt aman j w°yunk

Tu exagères dans tes propos

Les trois énoncés ne peuvent être interprétés qu'en fonction du contexte de leur énonciation. Pour le premier exemple, il s'agit d'une situation où un monsieur est en train de taquiner une petite fille qui s'exclame et énonce (f). La paraphrase de la métaphore paraît difficile'41. La traduction de l'énoncé reste, d'ailleurs, d'une certaine façon non pertinente parce qu' elle gommerait toute une partie de la signification véhiculée par la métaphore ; d'où sa force cognitive et sa pertinence informationnelle. L'image crée en (f) renvoie à toute une activité concrète, usuelle, "attisement du feu " : l'action d'élever le ton en criant est perçue comme l'action d'attiser le feu. La valeur informative de l'énoncé est globalement véhiculée par le verbe métaphorique, chose qu'une paraphrase ne peut adéquatement faire. "Ce sont, comme le confirme Searle (1982: 129), des lacunes de cet ordre que les métaphores servent souvent à combler". L'utilisation de l'image du "feu qui s'enflamme" en tant que domaine source pour la métaphore est pertinemment représenté dans ce verset du coran (sourat maryam,V. 3-4):

(i) " id nada rabbahu nida 'an xafiyyan. Qala rabbi inni wahana I 'admu minni wa sta 'ala rra 'su sayban (...) "

(Lorsqu'il -Zakarie- invoqua son seigneur d'une invocation secrète et dit :" O mon seigneur, mes os sont affaiblis et ma tête s'est enflammé de cheveux blancs (...) ").

L'attisement du feu est utilisé ici métaphoriquement par Zakarie pour décrire la canitie qui a couvert toute sa tête.

L'évocation d'image mentale constitue une élément important dans le processus interprétatif des métaphores "l'évocation d'images, la suggestion d'un état d'esprit par exemple, sont précisément caractéristiques des énoncés figuratifs et relèvent de la rhétorique" (D. Sperber, communication, 30, 1979).

Le contexte d'énonciation de (g) est un peu similaire au précédent: un enfant X était en train de taquiner son amie Y en le 'froissant' par ses mains. Y, contrarié, mal à l'aise, s'exclama et produit (g). Pour pouvoir produire uii tel énoncé, le locuteur, en l'occurrence, un enfant doit déjà avoir fait l'expérience d'éplucher le fruit d'arganier : flyyi. La sensation qu'éprouve Y au contact de son ami X qui le froissait lui rappela l'image du frottement que subit le fruit de l'arganier quand on l'épluche. Ainsi, cette métaphore est née d'un choc perceptif, d'une façon de se mettre en rapport avec le monde qui précède le travail linguistique et le motive. "On crée souvent de nouvelles métaphores justement pour rendre compte d'une expérience intérieure du monde née d'une catastrophe de la perception " (Eco, 1992 :162). La similitude entre les deux expériences - celle vécue par Y pendant l'interaction et celle qui renvoie à l'acte d'éplucher le fruit de l'arganier ne préexistait pas à la métaphore ; elle en résulte: c'est l'expérience nouvelle, vécue par Y qui fait émerger les similarités; lesquelles similarités sont perçues et senties par le corps. Nous avons en notre possession plusieurs moyens pour percevoir la similitude, comme le signale W. Nith (1985 : 12) " Qualitative similarities are not only visual ; they can also be perceived by means of other sensory channels ". Est-ce à dire que le processus analogique est totalement construit et purement subjectif? La liberté individuelle n'est-elle pas assujettie à certains principes ?

A l'instar de (g), (h), étant un proverbe, il ne peut être interprété que via son contexte de production. Considéré en dehors de ce contexte, il dénomme une vérité générale, en l'occurrence ici, l'idée d'exagération: Face à un bavard (A), dont le discours est truffé de digressions, (B) qui s'ennuie, réagit en énonçant le proverbe pour reprocher à (A) sa prolixité

et son discours inconsistant. Le petit lait ayu est un produit très apprécié chez les icheihin, surtout à la campagne où on le consomme presque quotidiennement. Un bon petit lait se prépare avec mesure en y ajoutant à petites doses de l'eau. Quand on a raté sa préparation, il devient très fluide, insipide et perd toute sa saveur; d'où la métaphore : une parole abondante et trop diffuse, à l'instar d'un petit lait trop fluide, perd toute sa saveur et sa cohérence. Les deux exemples interpellent la compétence socioculturelle de l'interprétant. En effet, une personne qui parle le tachelhit mais qui n'a jamais assisté aux étapes de préparation de l'huile d'argane, ni à celles de la préparation traditionnelle du petit lait, aura des difficultés à accéder au sens des deux énoncés. Ainsi, une approche sémantique se doit donc de ne pas ignorer le vécu et le milieu culturel de l'usager du langage (cf. Lakoff & Johnson, 1985) puisque ceux-ci sont à la base de l'acquisition des modèles conceptuels qui permettent à l'homme d'interpréter, de catégoriser et d'exprimer une expérience quelconque. On peut donc dire que le jeu interprétatif est codé culturellement. L'intérêt de considérer cette composante socio culturelle dans le processus interprétatif transparaît clairement avec le phénomène de la traduction comme le montre l'exemple suivant: quand on reçoit une bonne nouvelle de la part d'un ami, on peut lui répondre en disant:

(j) La nouvelle m 'a réchauffé le cœur

Mais peut-on traduire en arabe standard ou en arabe marocain la phrase mot à mot? On obtiendra un sens opposé. La traduction adéquate doit utiliser un verbe qui connote l'idée de froid:

(k) Al xabaru atiaja sadri

L'analyse présentée ci-dessus montre donc que l'interprétation n'est pas faite de façon hasardeuse et elle n'est pas totalement construite de façon subjective par l'interlocuteur. Elle est contrainte par cette composante socio culturelle qui constitue une sorte de socle permettant de garantir une certaine stabilité intersubjective de sens.

3. Le mécanisme référentiel dans le discours métaphorique

Considérons les vers suivants:

(1) Ma ygan attan itbbin ixsan imdu Ilun

1g tiferzin i tasa ig imndel i wul

D uhbib iy ak ur inni riyk ula nberrak

Quelle est la maladie qui écorche les os et fait disparaître la couleur

Qui est amère au foie et attriste le cœur

C'est l'être aimé quand tu ne sais pas s'il t'aime ou non.

Dans ces trois vers, le concept de l'amour est assimilé métaphoriquement à une maladie. Comment arrive-t-on à référer à tayri "l'amour" alors qu'on décrit un autre concept attan "la maladie ". Tayri, tel qu'il est vécu en tant que sentiment, est un domaine conceptuel réfractaire à toute fragmentation interne en termes de traits inhérents ; il ne peut être caractérisé que par référence à un autre domaine notionnel, attan par exemple, qui le détermine par localisation externe à travers, entre autres, les effets produits par l'amour sur la personne amoureuse : os écorchés, coeur attristé, etc. ; lesquels effets se trouvent être similaires à ceux provoqués par la maladie. Il y a donc une certaine homologie entre l'expérience de l'amour telle qu'elle est vécue et celle de la maladie. Ainsi, la métaphore permet de créer une nouvelle perspective qui permet d'accéder au sens. Cette nouvelle perspective apporte de nouvelles descriptions pour le concept métaphorisé et qui sont normalement utilisées pour un autre concept. Ce faisant, la métaphore altère en quelques sorte la frontière du concept, voir du référent qui se trouve ainsi localisé d'une façon nouvelle et selon une perspective nouvelle. C'est ce changement de perspective qu'opère le locuteur qui permet d'attribuer à la métaphore un contenu référentiel et par là même une force cognitive. En effet, quand nous parlons de tayri en tant que concept abstrait qui se rapporte au domaine des sentiments, nous ne pouvons pas dire qu'il n'a pas d'existence objective (objectivité ici veut dire consensus intersubjectif) ; il l'a mais à travers une modélisation métaphorique dont la fonction essentielle est de permettre la compréhension du concept, en nous fournissant un accès épistémique pour le référent. Comment se fait cet accès? C'est ce que nous allons voir à travers l'analyse des trois vers suivants:

(m) Maniy iii wakal iyusn ur ikki §'itan maniy iii uggug idusn ur issan aman

Maniy iii yan bnadm nssen fit S islh

Où est ce qu'il y a une terre propre qui ne soit pas touché par le vice?

Où est ce qu'il y a un barrage solide qui n'absorbe pas l'eau? Où est ce qu'il y a un homme qui soit vraiment correct?

Le poète critique l'absence de relations saine dans notre vie: l'ami sincère que le poète recherche est décrit littéralement dans le vers (3), bnadm iseihen "homme vertueux, et métaphoriquement dans les vers (1) et (2), akal iyusen et uggug iôusen, respectivement. La vertu étant un concept abstrait, on recourt à la métaphore pour le concrétiser et le bien comprendre. Ainsi, nous avons plus d'un chemin pour accéder au référent, soit par une description littérale, soit par une métaphore. Le groupe nominal bnadm iseihen va priver les deux groupes nominaux, akal iyusen "terre propre" et aggug idusen "barrage solide" de leur fonction désignative intra notionnelle et les dote d'un référent médiat lié au contexte. L'homme non corrompu est métaphoriquement décrit comme une terre propre, un barrage fortement bâti. Une telle interprétation est facilitée par le processus cataphorique qui est renforcé par un lien phonique : iyusen 'être propre'! idusen 'être fort'! iseihen 'être vertueux'. Un homme corrompu est donc assimilé métaphoriquement à un barrage qui absorbe de l'eau ou à un lieu infect. C'est le contenu descriptif du contexte linguistique qui permet à une expression de référer métaphoriquement. En fait, le contexte, en tant qu'instruction, guide l'interprétant à accéder au référent grâce à une chaîne anaphorique ou cataphorique. Nous pouvons ainsi avoir plus d'un 'chemin' pour accéder à un référent:

En le décrivant littéralement, en le montrant par le doigt, etc. ou par métaphore, à travers l'emploi de traits descriptifs d'un autre référent. La maladie, la guerre, ... constituent des domaines notionnels source qui fournissent des éléments descriptifs nous permettant de référer métaphoriquement au domaine de l'amour et d'y accéder sur le plan épistémique. Ces domaines naturels, concrets, permettent de saisir ce référent abstrait en tant que quelque chose, et plus particulièrement en tant que quelque chose qui sert à une fin conceptuelle. C'est de cette façon que la métaphore fournit un accès épistémique au référent et, par conséquent, nous pousse à affirmer que le discours métaphorique est "branché" sur la réalité.

Il s'ensuit que l'interprétation d'un discours métaphorique n'est pas une entreprise incontrôlable. Il y a des principes qui la gouvernent, notamment certaines connaissances partagées relatives au domaine source de la projection métaphorique.

L'attribution du sens à un acte de communication n'est pas fortuite. Elle se fonde sur des principes linguistiques et extralinguistiques ainsi que sur des connaissances partagées par les deux interlocuteurs. Loin d'être une affaire individuelle et subjective, le sens est intersubjectivement partagé, objectivement préétabli par les conventions d'une culture donnée.

Références bibliographiques

Bourdieu (P.), 1987, Choses dites, Minuit, Paris

Eco (U.), 1992, Les limites de l'interprétation. Grasset & Fasquelle, Paris

Kittay (E.F.), 1287, Metaphor: its cognitive Force and Linguistic structure. Clarendon Press, Oxford.

Kleiber (G), 1994, "Métaphore: le problème de la déviance " en Langue française, 101.

LÛdi (G.), 1991, " Métaphore et travail lexical " in Tranel, 17.

Lakoff (G.) & Johnson (M.), (1985), Les métaphores dans la vie quotidienne, Paris,Minuit.

Molino (J.) et alu, 1979: " Présentation " in Langages, 54.

Nôth(W.), 1985, " Semiotic aspects of metaphor ", in Paprotte & Driven (eds.) Tire Ubiquity of Metaphor. Amsterdam / Philadeiphia.

Ricoeur (P.), 1975 : La métaphore vive, Seuil, Paris.

Searle (J.), Sens et expression, Minuit, Paris.

Sguenfel (M.), 2002, La métaphore dans la littérature berbère,

Thèse de doctorat soutenue à la FLSH, Université Med V, Rabat.


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