Lorsque la lettre est arrivée par porteur, elle a d’abord pensé qu’il s’agissait d’une erreur d’adresse mais devant l’insistance du messager elle a dû s’incliner. Rentrée dans sa chambre, Bethsabée s’est empressée de lire la missive, curieuse autant qu’étonnée. Qui donc pouvait bien lui écrire ? Elle qui vivait seule, pour ainsi dire ignorée de tous, une ombre invisible dans la ville, résignée à son sort.
La signature, c’est ce qu’elle a regardé en premier évidemment. D’une belle écriture, ferme mais souple pourtant, la main avait écrit « David ». Elle n’en revenait pas et dans sa hâte affolée, elle relut au moins cinq fois la lettre avant de pouvoir se persuader que ce David était bien « le » David auquel elle avait immédiatement pensé. Le sceau au bas de la missive, le porteur en riche tenue, les termes employés et les faits auxquels il faisait allusion étaient sans équivoque. Le roi David, second roi d’Israël, lui donnait rendez-vous ce soir. Le roi David ! L’air lui manquait, son esprit s’embrouillait.
Maintenant elle se rappelait très bien de la scène. Il y a dix jours exactement, la canicule commençait à assommer bêtes et gens, n’en pouvant plus elle s’était rendue vers le fleuve ou ce qu’il en restait en cette saison et elle s’était baignée nue, se croyant cachée par les roseaux d’éventuels regards indiscrets. Rafraîchie, comme elle se préparait à retourner chez elle, un éclat lumineux attira son regard, scrutant l’origine de l’éclair, elle distingua sur l’autre rive et venant du palais royal, un homme planté sur une terrasse, la main en visière, regardant attentivement dans sa direction. Même à cette distance, l’équivoque n’était guère possible, il s’agissait bien du monarque, elle le reconnaissait parfaitement, sa stature, son torse musculeux, son visage qui ornait les pièces de monnaie, aucun doute n’était envisageable. Et si elle pouvait le voir, lui aussi en faisait tout autant et il en prenait un plaisir évident si l’on en jugeait au pli incongru de sa tunique. Rouge comme une tomate, Bethsabée s’était enfuie en courant.
Mais depuis, elle repensait à ces instants chaque jour et presque chaque minute. Et voici que le miracle se produisait. Ayant appelé sa servante au plus vite, elle se fit couler un bain et tandis que la vieille lui récurait les doigts de pieds avant de lui faire un épilage brésilien, très en vogue depuis le retour au pays d’un grand voyageur ayant parcouru le monde, elle relisait encore et encore cette lettre désormais bien chiffonnée, se laissant aller à la rêverie.
Rembrandt Bethsabée au bain (1654) – Huile sur toile 142cm x 142cm – Musée du Louvre
En décembre 2013, le Louvre entame une restauration du tableau.