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Voyage en Villégiature au Français

Publié le 21 septembre 2013 par Morduedetheatre @_MDT_

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Critique de La Trilogie de la Villégiature, de Goldoni, vu le 21 septembre 2013 à la Salle Richelieu

Avec Anne Kessler, Éric Ruf, Bruno Raffaelli, Florence Viala, Jérôme Pouly, Laurent Stocker, Guillaume Gallienne, Michel Vuillermoz, Elsa Lepoivre, Hervé Pierre, Georgia Scalliet, Adeline d'Hermy, Danièle Lebrun et Benjamin Lavernhe, dans une mise en scène d'Alain Françon.

Françon. Il est pour moi, comme Peter Stein, un metteur en scène à placer parmi les plus Grands. Pour la troisième fois, en signant la mise en scène de La Trilogie de la Villégiature, il me fait passer un moment inoubliable, privilégiant le texte et sa mise en valeur, recréant l'atmosphère de cette Italie du XVIIIe siècle avec aisance et simplicité. Une fois de plus, il touche à la perfection.
Le spectacle, il faut avoir envie de le voir : 4h30 de spectacle, c'est spécial. Je n'avais testé les spectacles à longue durée qu'une fois, avec Peer Gynt, et j'en gardais un excellent souvenir. Alors, avec une telle distribution et un metteur en scène pareil, l'envie de voir La Trilogie ne s'est pas fait attendre. Si le spectacle est si long, c'est que le metteur en scène a choisi de regrouper les trois comédies en un seul spectacle, à la suite : nous passons donc tout un été en compagnie d'une famille bourgeoise vivant au-dessus de ses moyens mais cherchant à passer outre. Des histoires de mariage, de jalousie, d'amour et d'honneur entrent en jeu. On assiste à la vie de ces personnages entre le moment où ils décident de partir en Villégiature, puis leur séjour à Monténero, et leur retour à Livourne. 
Je me rends compte que j'aime de plus en plus ce genre d'histoire. Ou peut-être est-ce la mise en scène de Françon qui me les fait apprécier ? J'aime voir une tranche de vie se dérouler sous mes yeux, la vie avec ses moments intenses où une certaine tension se fait sentir, avec des choix importants à faire, mais également des moments d'ennui, de paresse et de lenteur. La vie, monotone et pourtant si imprévue, c'est ce qu'on retrouve dans cette Trilogie. Plusieurs histoires de mariages et de couples en parallèles, paraissant si banals, et pourtant ayant chacun sa spécificité, sa beauté ou sa raison.
Et au même titre que ces histoires, chaque personnage est unique, chacun a son propre caractère et se définit sous nos yeux. Je l'avoue, j'ai eu du mal à détacher mes yeux de Laurent Stocker, qui est pour moi un immense acteur. Touchant et attachant, il compose ici un Leonardo jaloux et amoureux, mais qui n'obtient pas l'amour qu'il désire en retour. Entre angoisse et énervement, il ne semble pas un instant accéder au véritable bonheur. Il ne crie pas sur scène, il s'énerve réellement. Il n'aime pas Georgia Scalliet, il dévore Giacinta des yeux. Le talent de ce comédien est incontestable, et il est pour moi un pilier du spectacle. Il forme avec Anne Kessler un très bon duo, qu'on avait déjà su apprécier dans Le Mariage de Figaro. Elle incarne sa soeur, Vittoria, et compose une jeune fille immature et hystérique comique à souhait ... dans ses moments de crise. Lorsqu'elle se voit prise en dépit d'une autre, en revanche, des larmes noient ses yeux et sa petite voix tremble. Hypocrite comme il convient de l'être dans la société où elle se trouve, elle tente de cacher son visage de peste lorsqu'elle est en présence de Giacinta, entre autres, mais les apartés sont hilarantes. Scalliet ... fait, comme à son habitude, du Scalliet : une voix monocorde, dénuée de toute intonation ... qui, pour une fois, s'accorde assez bien au personnage. Il faut avouer que son jeu m'a moins dérangée qu'à l'habitude : peut-être commence-je à m'y faire ? Il faudra bien, puisqu'elle est "la découverte" de Françon et que je compte bien suivre ses futurs mises en scène ! Si Leonardo aime Giacinta et la demande en mariage, celle-ci est également aimée de Guglielmo, incarné par Guillaume Gallienne. Voici un rôle dans lequel je ne l'attendais pas, et où il excelle. Semblant sombre et inquiétant dans la première partie de la pièce, il se dévoile comme amoureux et mélancolique, on finit par s'attacher au personnage et le prendre en pitié. Gallienne est séduisant et impressionnant de tant de retenue, comme s'il voulait se mettre à pleurer à chaque moment de la pièce. 
Pour équilibrer ce côté quelque peu sinistre de la pièce, des personnages à tendance plus comique sont présents. Je pense particulièrement à la si géniale Danièle Lebrun, composant une Sabina se jouant des situations de chacun, taquinant sans limite, abusant des sous-entendus, se complaisant dans la critique d'autrui. A chacune de ses apparitions, un éclat de rire. [J'attends avec grande impatience La Visite de la Vieille Dame en février : elle interprétera le rôle titre.] L'actrice était, comme à son habitude, au sommet. A son bras, un Michel Vuillermoz bien détaché de tous les malheurs qui arrivent autour de lui. Toujours gai, s'amusant aussi des circonstances, mais peut-être avec moins de cynisme, il est un type de personnage à lui tout seul : on ne sait pas grand chose de lui, si ce n'est qu'il profite des situations des autres et que c'est un bon vivant. Le personnage est lui aussi très réussi. Dans cette catégorie "à part", on retrouve également Hervé Pierre, père adorable et souhaitant principalement le bonheur de sa fille - ne pouvant en tout cas rien lui refuser. Sa tendresse et sa gentillesse, trop poussées, font de lui un homme faible, et l'acteur sait jouer de tout cela pour nous rendre son personnage comique et charmant.
On trouve aussi chez Goldoni les vies des valets. Ici, c'est Eric Ruf et Elsa Lepoivre : là encore, on ne les attendait pas dans de tels rôles, qu'ils interprètent pourtant à merveille. Le malheureux Paolo en voit de toutes les couleurs par les demandes contraires de son maître, quand Brigida tente de réconforter sa maîtresse en proie à une passion amoureuse. Ils sont sans cesse occupés et leurs rares moments de libre sont destinés à l'échange de mots doux ... Moments calmes et doux, ils contrastent avec les difficultés qu'ont leurs maîtres à entretenir une relation simple. Sur le même plan, on retrouve Rosina et Tognino (Adeline d'Hermy et Benjamin Lavernhe) qui rient de tout et s'opposent radicalement au reste des couples : pas un instant sombre, que des sourires et des échanges amoureux, les deux tourtereaux sont ravissants et Lavernhe incarne un Tognino à la gestuelle impeccable et remarquable, vif, et au caractère insupportable !
Si la réussite du spectacle réside donc en partie dans la distribution, la mise en scène y est aussi pour beaucoup. L'évolution de la situation, lente, est visible. La tension devient de plus en plus présente, les lumières s'assombrissent, les personnages parlent plus lentement. La gêne des autres, la honte de soi, le choix entre honneur et amour, tous ces sentiments se font omniprésents. Les déplacements se font plus rares, l'entrain se perd. On sombre peu à peu. De la comédie, on passe au drame, et rien n'indiquait qu'on pouvait s'y attendre. 

Un Goldoni sublimé par une performance impeccable. L'esprit de troupe est là. A voir. ♥ 

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