Critique de Psyché, de Molière, vu le 21 décembre 2013 à la Salle Richelieu de la Comédie-Française
Avec Claude Mathieu, Sylvia Bergé, Coraly Zahonero, Françoise Gillard, Jérôme Pouly, Laurent Natrella, Benjamin Jungers, Félicien Juttner, Jennifer Decker, Pierre Hancisse, Claire de la Rüe du Can, Heidi-Eva Clavier, Lola Felouzis, Matëj Hofmann, Paul McAleer, Pauline Tricot, Gabriel Tur, et au piano, Véronique Briel et Vincent Leterme, dans une mise en scène de Véronique Vella
De Psyché, je ne connaissais qu'une réplique : la déclaration d'amour de Psyché à Éros, dans laquelle on entend ces vers, il faut le dire, si touchants et si beaux :
Plus j'ai les yeux sur vous, plus je m'en sens charmer :
Tout ce que j'ai senti n'agissait point de même,
Et je dirais que je vous aime,
Seigneur, si je savais ce que c'est que d'aimer.
Je trouve ces vers frappants de véracité, d'authenticité. On ne peut parler de l'amour en meilleurs termes, me semble-t-il. Voilà pourquoi j'ai été si déçue d'entendre des vers plutôt plats, bien moins profonds que ceux qu'on peut attendre de Molière. Mais l'explication est simple : ce n'est pas DE Molière, mais bien de Molière, Corneille et Quinault, ce dernier étant plus un versificateur qu'un poète. Le trio d'écriture est dû au fait que Psyché est une commande de Louis XIV à Molière, quelque chose qui devait être réalisé très vite, d'où l'appel à l'aide de Poquelin à Corneille et Quinault. C'est donc à cause des délais que les vers sonnent si mal, ils sont écrits à la va-vite. On entend des vers, soit, mais ils heurtent l'oreille ; moi qui pensais que tous les vers étaient beaux, quelle naïveté ! Lorsqu'on devine aisément la fin d'un vers, où est toute la particularité que l'on cherche dans la versification ? Pourquoi ne pas rester alors en prose ? Les seuls beaux vers qu'on a pu entendre sont ceux ci-dessus, écrits par Corneille. Et lorsqu'on sait que la pièce originale, "tragi-comédie ballet" - vaste programme ! - dure 5 heures, on comprend pourquoi elle est si peu jouée. Alors pourquoi la ressortir de l'ombre ?
Psyché est une jeune femme d'une beauté incroyable, de sorte que tous les hommes sont à ses pieds, toutes les femmes la jalousent, de ses soeurs à Vénus, déesse de la beauté. Pour la punir de tant de charmes, de tant de faveurs des autres mortels, Vénus lui envoie son fils Éros, pour qu'il la charme, et qu'elle en tombe amoureuse, sans être aimée en retour. Mais devant tant de beauté et de grâce, Éros n'est pas plus fort qu'un autre, et tombe fou de la jeune femme, ce qui provoquera la fureur de sa mère. La pièce a donc quelque chose de merveilleux, puisqu'elle se déroule autant sur Terre qu'à l'Olympe, qu'elle fait intervenir des mortels et des immortels.
Parmi les immortels, citons immédiatement Sylvia Bergé. L'actrice incarne avec brio la grâce et les fureurs de la déesse de la beauté, et surtout, surtout, quelle voix ! A partir du moment où on l'entend une fois, on attend ses parties chantées avec une impatience démesurée ! Je savais qu'elle chantait bien, mais c'est un véritable talent de cantatrice qu'elle dévoile sous ses habits de déesse. L'émotion traverse la salle à chaque vibrato de sa voix, les frissons nous parcourent le corps, c'est un moment de plénitude totale. Benjamin Junger est un Amour plus que crédible, tant par son physique de petit ange que par un jeu d'acteur qui ne nous a jamais déçus. Il a cette beauté des hommes romantiques, une forme d'innocence dans le regard, et, il faut le dire, son costume lui va comme un gant. Plus encore, il feint l'amour sans artifice, transmettant son émotion, ses sentiments, dans des regards emplis d'ébahissements et de tendresse. Et Françoise Gillard, sa Psyché, le lui rend bien. Je n'avais pas pensé à l'actrice dans le rôle, et à présent c'est comme une évidence. Lorsqu'elle entre en scène pour la première fois, lorsqu'elle dit sa première réplique, avec cette voix comme des clochettes, c'est un véritable enchantement. Le contraste est d'autant plus important qu'elle parle après Jenifer Decker, à la voix si plate. Psyché entre, amenant avec elle une certaine grâce, de la beauté et de la finesse, sa naïveté d'enfant et son sourire lumineux. Le reste de sa prestation suit cette entrée si réussie. Son duo avec Jungers est ravissant et envoûtant, son affrontement avec Vénus assez électrique. Elle donne à Psyché l'âme qu'on attendait. Je me dois également de parler de Coraly Zahonero, soeur jalouse et géniale dans l'incarnation de ce sentiment. Je l'ai souvent vue interpréter ce genre de rôle, un peu peste, où elle excelle tout particulièrement. Ses geignements sont hilarants, ses mimiques tout à fait dans le ton de jeu, tout jusqu'à sa démarche trahit une jalousie à peine cachée. Dommage qu'on lui ait assigné comme partenaire Jennifer Decker qui, même si son ton geignard s'accorde assez bien à ce rôle-là, continue de savonner son texte, de jouer platement, de ne transmettre aucune émotion. Seul leur numéro de claquette - muet donc - montre le duo sous un beau jour.
Véronique Vella a su tirer le meilleur de chacun : je pourrais parler de l'humanité du grand Laurent Natrella, roi obéissant et père torturé, de l'imposant Jérôme Pouly, un Zéphire sans accroc et à la facheuse manie de souffler sur tout le monde, ou encore du duo de jeunes prétendants, Pierre Hancisse et Félicien Juttner, tous deux très justes dans leur interprétation de ces princes courageux et guidés par l'amour. Elle signe une mise en scène respectueuse de l'oeuvre, et qui sauve cette pièce réputée immontable - et pour cause. Les coupes, obligatoires pour raccourcir ce texte qui s'étire, entraînent malheureusement parfois quelques incompréhensions de l'action. Mais l'invention, le merveilleux, la grâce sont tout de même présents, et ce également grâce aux costumes. Je les ai trouvés ravissant, et tout particulièrement celui de l'Amour, qui lui sied à merveille. Psyché est également à tomber dans sa robe blanche et parme, légère, aérienne et délicate. Mais ils nous éblouissent tous, et nous ravissent les yeux.
Cependant, en plus d'un bémol lié au texte, ce spectacle présente un défaut non négligeable, en l'utilisation de micros. Je peux concevoir que les micros soient indispensables lors des parties chantées, pour éviter que la voix ne soit couverte par le son du piano. Mais pourquoi ne pas les désactiver le reste du temps ? Cela éviterait les craquements désagréables à l'oreille d'un micro mal réglé. De plus, on sait tous que les comédiens Français n'ont pas besoin de tels appareils ! Et quelle cristallisation de leurs voix... Le spectacle gagnerait à voir ces micros utilisés seulement le temps des parties chantées. Parties chantées, dont je ne dirai qu'un mot : entraînantes et enthousiasmantes, sans être d'une grande qualité musicale, mais tous les comédiens se prêtent au jeu et le résultat est agréable à l'oreille.
Cette fois, le spectacle est l'inverse absolue d'Hamlet, que l'on a vu il y a quelque temps. L'oeuvre qui nous est présentée ne trouve plus beaucoup d'intérêt à nos yeux, c'est une pièce qui aurait pu rester dans l'ombre, mais elle est tout de même sauvée par une mise en scène et des acteurs dignes du Français. Le ♥ manquant sera donc dû à la pauvreté du texte, le texte étant, selon moi, la base de toute création théâtrale. ♥ ♥