Et la Ville dans tout ça ?

Publié le 08 juin 2007 par Jean-Paul Chapon

La Ville, grande absente de la campagne des présidentielles a fait une timide réapparition dans la composition du gouvernement, en la personne de Christine Boutin, la très discrète ministre du Logement et de la Ville. Loin de l’agitation médiatique gouvernementale qui marque les premiers temps de l’an I de l’ère Sarkozy, la Ville semble toujours aussi absente. On parle logement, on parle propriété, on parle carte scolaire, mais on ne parle pas Ville.

Comme une réponse à cette absence, deux articles ce matin traitent de la Ville. Deux approches opposées pour deux visions de la Ville. Le Figaro titre Pour les offices d’HLM, la rénovation urbaine manque de souplesse et ouvre bille en tête « sur le bureau de Christine Boutin, le dossier de la rénovation urbaine figure au sommet de la pile » rappelant que pendant sa campagne, le candidat Sarkozy avait promis de pousser la rénovation des quartiers défavorisés. Rappel sur le rôle de Jean-Louis Borloo, de l’ANRU (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine) l’un des « bébés » de l’ancien ministre de la Cohésion sociale, et du « plan Marshall pour les banlieues ». Et l’on reparle du nombre de logements détruits, reconstruits, réhabilités : « la rénovation urbaine touche plus d’un office HLM sur deux » précise le Figaro. Et l’article de conclure sur une demande de refonte du système demandée par la Fédération des offices HLM dénonçant les retards de paiement de l’ANRU et la rigidité du système, et demande une « politique globale de l’habitat ».

Pourtant c’est une remarque qui a le plus retenu mon attention, car elle illustre l’incompréhension du problème ou du moins sa prise en compte trop sectorielle, qui empêche d’apporter une véritable solution au problème tel qu’il se pose aujourd’hui. Ainsi Jean Moulin, maire adjoint du Havre, et président d’Alcéane, l’office HLM de la ville, décrit un des quartiers de l’agglomération : « Caucriauville, ce ne sont que des tours et des barres. Le quartier des années 1970 dans toute sa splendeur ». Et alors ?
Où est le problème ? S’agit-il d’un problème d’architecture ? d’esthétique ? d’urbanisme ? ou d’un problème économique ? d’emploi ? d(‘)e (in)sécurité ? Ou s’agit-il plus simplement du problème de la Ville, dans son ensemble ? La Ville ne saurait se résumer au logement, et à la rénovation urbaine.

Comme pour y répondre, Libération publie dans les pages Rebonds, “un pari urbain” signé par Guy Burgel, professeur à Paris X et au CNAM, et Paul Chemetov, architecte. Parlant du Gouvernement Sarkozy et de sa « rupture », les deux auteurs pointent la politique de la Ville. « Ici, c’est la Ve République dans son ensemble qui n’a pas compris qu’en un demi-siècle, la France avait accompli la plus grande révolution urbaine de son histoire : plus du doublement de la population des villes (de 20 millions à près de 45 millions de citadins), l’étalement des agglomérations, la féminisation de l’emploi, le redressement industriel national et la mondialisation de l’économie de services, l’épaississement, puis la fracture, des couches moyennes, la démocratisation de l’instruction et du diplôme, avant leur mise en doute actuelle. Tout cela s’est passé dans la ville et par la ville. Face à ces bouleversements, les politiques n’ont su depuis des décennies qu’opposer l’urbanisme de quantité et la sectorisation des approches : construire des logements et des infrastructures il le fallait, certes, dans l’urgence plus qu’élaborer les conditions d’une nouvelle civilisation urbaine, isoler et traiter des quartiers difficiles aux localisations implacablement identiques, dont les appellations changeraient au gré des modes et des objectifs ( «Grands Projets urbains», «Zones urbaines sensibles», «Zones d’éducation prioritaire» ), plutôt que de s’attaquer aux logiques d’ensemble de la crise urbaine. La ville est un tout, qu’il faut embrasser d’une seule intelligence, et qui conditionne la quasi-totalité des problèmes de l’heure. Si la nouvelle équipe n’en prend pas une conscience rapide, tous les grands chantiers du Président sont voués à l’échec. »

Considérations sur l’emploi, avec notamment cette remarque mise en exergue par Libération « la plus grande différence entre une ville américaine (Los Angeles) et française (Paris) ne réside pas dans les métiers de la finance ou de la conception, mais dans le commerce de détail, l’aide à l’éducation et la santé, tous secteurs pourvoyeurs d’emplois nombreux, souvent de faible qualification », considérations sur le système éducatif, « Cessons donc de croire qu’il suffirait d’assouplir la géographie du recrutement des établissements, de décentraliser une université ou de conférer plus d’autonomie à d’autres, quand l’essentiel est d’abord de restaurer - d’instaurer ? - à tous niveaux et partout, et quel qu’en soit le coût, une exigence d’efficacité pédagogique, fréquemment évaluée. Dans la république des villes, la réussite de l’école est à ce prix », considérations sur le logement, « ce n’est pas en faisant imploser des dizaines de milliers de logements ou en déplaçant la spéculation foncière vers la périphérie qu’on les aidera. Mais en imaginant… et en promouvant les formes d’une ville dense, agréable et efficiente, ouverte à tous. Ce qui ne veut pas dire nécessairement mixte dans tous les quartiers et indifférenciée dans toutes ses fonctions », considérations sur l’environnement « le respect de l’environnement ne réside ni dans l’incantation ni dans l’interdiction, mais d’abord dans le mode de vie et de mobilité de nos concitoyens urbains… [il s’agit plutôt de ] mettre en cohérence les aspirations des citadins au mouvement, les formes matérielles de la ville et les modalités de déplacement», et enfin considérations sur l’identité nationale « ne pas l’associer immédiatement à l’immigration mais d’abord au creuset social et culturel que fut la ville française ».

En conclusion, je reprendrai le sur-titre de ce Rebond :
« La politique de la ville cristallise les autres. Elle doit être le chantier principal de la République. »

Les deux illustrations représentent deux “cités”, la première est à Caucriauville, je ne la connais pas. La seconde est dans le 15ème arrondissement de Paris, signée des frères Arsène-Henry, pur exemple du pompidolisme stalinien. Deux bâtiments de 15 étages en façade sur l’avenue Félix Faure, 17 étages au fond de la parcelle, légèrement décentrés, et un barre de 12 étages reliant l’un des bâtiments de 15 étages à celui de 17 étages : comme dirait Mr Moulin à propos de Caucriauville, “que des tours et des barres. Le quartier des années 1970 dans toute sa splendeur” . C’est là, au 11ème étage d’une de ces tours, que j’ai passé mon adolescence. Et depuis plus de 30 ans, bilan de la cité en termes de voitures brûlées = 0 . Mais qu’est-ce qui fait la différence entre le 106 avenue Félix Faure et une cité de Caucriauville ? le nom de l’architecte ou autre chose ?