et son orchestre
Paris. Salle Pleyel.
Diffusé en direct le 20 novembre 1958 par l'ORTF.
Diffusé en différé par Mezzo le jeudi 2 janvier 2014 à 20h30.
DVD en vente libre.
Après son triomphe au Newport Jazz Festival, édition 1956 (60e édition du 1er au 3 août 2014, si vous êtes en vacances sur l'East Coast), Duke Ellington et son orchestre repartirent à la conquête du monde. A Paris, salle Pleyel, ce soir d'automne 1958, Boris Vian était dans la salle, forcément.
Si, contrairement à Boris Vian, vous n'étiez pas présents à ce concert, lectrices bluesy, lecteurs swinguants, voici, brièvement, ce qui s'y est passé.
L'orchestre joua surtout des thèmes récents. D'abord " Such sweet thunder " car, comme aime à le dire le Duke, " la pluie sur les toits, le tonnerre qui gronde dans le ciel, voilà ce qu'est la musique ". L'élégance du Duke se manifeste à tout instant: qu'il joue, qu'il dirige ou qu'il parle à son public.
Le Duke est toujours à l'affut de nouveautés qu'il asaissonne à sa sauce. Ainsi, il a écouté l'afro cubain de son admirateur Dizzy Gillespie. Il en a profité pour donner un coup de jeune au " Caravan " de Juan Tizol. Clark Terry est aux maracas. Sam Woodyard à la batterie, implacable et léger.Un solo de trombone à pistons pour commencer. Logique puisque Juan Tizol était tromboniste. Il était aussi Porto-Ricain d'où la couleur latine du morceau. Les observateurs avertis, les observatrices avisées auront noté que Juan Tizol ne jouait plus dans l'orchestre de Duke Ellington en 1958. Trop de tournées. Il préférait rester près de son épouse à Los Angeles. Respect. " Cette musique est si érotique qu'elle en devient mystique " (Boris Vian). La modernité du Duke au piano est stupéfiante. Comment jouer férocement avec le sourire. Solo de clarinette de Jimmy Hamilton. La couleur Nouvelle Orléans. " Je travaille comme un peintre. L'orchestre est ma palette et chaque musicien représente une couleur " (Duke Ellington). Solo de trompette de Clark Terry, le maître de Miles Davis. Ca joue, ça swingue, ça chauffe tout en douceur. Retour au thème et aux percussions avec un nouveau solo de trombone à pistons. Ce thème est toujour joué en 2013 mais seul l'orchestre de Duke Ellington le jouait comme ça. Un intermède où le pianiste de l'orchestre dialogue avec son batteur. Ouh l la, ça fait mal aux imitateurs! Il y en a qui se sont cachés dans leur piano depuis ce concert. Si ce n'est pas fait, ils devraient le faire. Et le final à l'unisson, saperlipopette!
" Newport up " avec les soli de Jimmy Hamilton (clarinette), Paul Gonsalves (sax ténor) et Clark Terry (trompette). " Pour l'avant-garde, j'ai Paul Gonsalves " (Duke Ellington). Là, ça swingue plus vite. " S'il devait y avoir un tremblement de terre pendant le concert, que la scène devait s'écrouler, une fois le calme revenu, on entendrait Sam Woodyard qui aurait gardé le beat " (Duke Ellington). Comment faire un solo exalté en pleine relaxation? Paul Gonsalves avait ce truc alors que tant de saxophonistes ténors hurlent, s'excitent, partent dans tous les sens, Paul Gonsalvec jouait à bloc et droit devant. Les 3 solistes se retrouvent et l'orchestre pousse. Le final à l'unisson, nom de nom!
" MC Blue " en souvenir de Newport encore qui marqua la résurrection de l'orchestre. " MC means Multi Colour Blue " explique le Duke. Rien à voir donc avec un quelconque Maître de Cérémonie. Ca commence avec un solo de Johny Hodges et, à, à moins d'avoir les oreilles bouchées, un coeur de pierre et une âme de fer, vous fondez comme neige au soleil. Est-il possible de jouer un Blues au sax alto plus doucement? Vient ensuite le crooner de l'orchestre. Mesdames, Mesdemoiselles, préparez vos mouchoirs car c'est à vous qu'il s'adresse. Les Messieurs peuvent sortir. Le spectacle n'est pas pour eux. Ce gars là a du métier et du savoir-faire. Quand il chante le Blues, il vous fait des bleus à l'âme. L'orchestre s'anime, Johny Hodges aussi. Ce n'est pas du velours, c'est du tweed, que dis-je du cachemire! Le crooner attaque de nouveau. Mesdames, Mesdemoiselles, prévoyez un second mouchoir propre. Johny Hodges ne s'en laisse pas conter. Ah, Johny Hodges! Un sax alto sur lequel le style de Bird a glissé comme l'eau sur les plumes d'un canard. ll n'en avait pas besoin. Son art était déjà parfait avant Charlie Parker. Pourquoi changer?
Encore un nouveau morceau. " El Gato " défi de trompettistes entre Clark Terry, Shorty Baker, Cat Anderson et Ray Nance. Ca swingue, pétarade comme un feu d'artifices de cuivres, avec ce Latin Tinge cher à Jelly Roll Morton. Leandro Barbieri, né en 1934, a forcément écouté ce morceau avant de se faire appeler " Gato ". Duke Ellington se lève pour veiller sur l'orchestre. ay Nance joue de la trompette avec un chapeau melon devant l'embouchure. Ca fait un sacré wouah wouah, nom d'un chien! Sam Woodyard tient le beat alors que l'orchestre se déchaîne derrière les trompettistes. Rappelons que Ray Nance était violoniste classique de formation. Aucun orchestre classique de l'époque n'aurait voulu d'un Nègre parmi ses membres. Alors, il est devenu chanteur, violoniste et trompettiste de Jazz. Tant pis pour le classique. Tant mieux pour le Jazz.
" Take The A Train " (Billy Strayhorn). Le thème habituel d'ouverture clôt ici ce concert de Duke Ellington. Numéro vocal de Ray Nance en duo avec Paul Gonsalves. Et les accords de Duke Ellington au piano! Quelles grandes délices musicales! Paul Gonsalves enchaîne en jouant le thème au ralenti. Il était alcoolique et pouvait s'endormir durant le concert. Ses voisins le réveillaient avant son solo mais, une fois lancé, personne ne le revoyait. Quelle accélération! et sans brutalité. Sam Woodyard marque un tempo de cheval au galop. L'orchestre se tait pour laisser jouer Paul Gonsalves jusqu'à la claque finale.
Lectrices bluesy, lectrices swinguants, si, contrairement à Boris Vian, vous n'étiez pas présents à ce concert de Duke Ellington, à Paris, salle Pleyel, le 20 novembre 1958, remerciez la télévision française qui en diffusa 31'48s en direct, images conservées pieusement par l'Institut National de l'Audiovisuel, vendues en DVD et diffusées par Mezzo le jeudi 2 janvier 2014 à 20h30 suivies d'une Jazz Session de Dizzy Gillespie en 1970. Une belle soirée de digestion du réveillon en perspective.
En 2014, cela fera 40 ans qu'Edward Kennedy " Duke " Ellington aura quitté ce monde. Il conviendra donc de célébrer comme il le mérite le plus grand compositeur et chef d'orchestre de l'histoire du Jazz tout au long de l'année. En commençant dès le jeudi 2 janvier sur Mezzo.