Mémoire de sable et d’eau salée
d’écailles, de nageoires et de peau
de battures, de rivages et d’orageuses traversées
quand aujourd’hui il nous faut naître
à mille lieues de l’océan
Et parfois n’être qu’à grand cri
comme si c’était le tout dernier
Elle a crié au plus fort de la tempête. Plus d’une fois en suppliant la mer. Plus d’une fois crié à tue-tête tout simplement pour s’entendre crier. Tout simplement pour se sentir vivante. Même impuissante, même fragile, perdue dans cette immensité. Forcée de s’encorder à sa barque, d’attendre que cesse la tourmente.
Souvenirs de périlleux voyages
cartes marines, images anciennes
sirènes ou bien serpents de mer
nés du délire de quelques marins ivres
Souvenirs de périlleux voyages
pourtant instruits des astres, des vents et des courants
De ce corps à corps avec la mer, elle prend tout. Tout ce qui s’offre à elle. La fureur, la beauté. Les voiliers d’oiseaux de passage, le reflet de la lune sur les eaux, les ébats des baleines nageant dans son sillage. Et encore et toujours, tout autour, l’infini de la mer. Le soleil, la pluie, la morsure du froid sur la peau et le goût du sel sur les lèvres. Et le silence… Et le silence, pas tout à fait. Car ici la solitude aiguise les sens. D’abord il y a le clapotis des vagues et puis, là-bas, à peine audible, le bruit étouffé d’un moteur.
Une odyssée sans le chant des sirènes. Dans sa barque, point de mat pour s’y attacher. Mais chaque instant confronté au réel, un geste mille fois, mille fois répété. Ramer. Sentir le sang circuler dans ses veines. Ne jamais perdre sa chaleur. Ramer, ramer encore. Vaincre le doute et puis la peur. Peur d’être avalée par la mer. Et peur de voir d’un coup se rompre le fil ténu et invisible qui la relie à la terre ferme. Qui la rattache en temps réel à la course effrénée des humains.
Aujourd’hui, de la Côte on a vu sa barque émerger du brouillard.
« Elle a réussi. Elle a traversé l’Atlantique ! », s’exclame une vieille dame à l’autre bout du monde. 129 jours, la jeune femme a mis 129 jours à traverser l’océan. La vieille, autant de jours à suivre son périple. Sur l’écran plat de son ordinateur, pas un seul matin sans prendre de ses nouvelles, sans s’inquiéter pour elle. Comme elle l’aurait fait pour sa fille. Même que, au plus fort des tempêtes, elle a prié. Prié pour la voir arriver à bon port. Mais cela, elle ne l’avouera à personne. Elle préfère déjà l’oublier. Et ce soir devant les images sur l’écran, elle laisse enfin couler ses larmes. Des larmes de joie, de soulagement. Et dans sa chambre juste assez grande pour tous ses rêves d’océan, un goût de sel sur les lèvres, elle va enfin pouvoir dormir.
Mémoire de sable et d’eau salée
d’écailles de nageoires et de peau
de battures, de rivages et d’orageuses traversées
quand aujourd’hui il nous faut naître
à mille lieues de l’océan…
(Texte inspiré de l’odyssée de Mylène Paquette, première Québécoise à avoir réussi en solitaire la traversée de l’océan Atlantique à la rame.)
Notice biographique
Claude-Andrée L’Espérance a étudié les arts plastiques à l’Université du Québec à Chicoutimi. Fascinée àla fois par les mots et par la matière, elle a exploré divers modes d’expression, sculpture, installation et performance, jusqu’à ce que l’écriture s’affirme comme l’essence même de sa démarche. En 2008 elle a publié à compte d’auteur Carnet d’hiver, un récit repris par Les Éditions Le Chat qui louche et tout récemment Les tiens, un roman, chez Mémoire d’encrier. À travers ses écrits, elle avoue une préférence pour les milieux marins, les lieux sauvages et isolés, et les gens qui, à